L’habit et la conduite

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Nos conduites sont codifiées. Dès notre naissance, nous sommes introduit-e-s au sein d’un ensemble d’habitudes (notion d’habitus en sociologie, telle que conceptualisée par Pierre Bourdieu dans les années 1960) et de pratiques culturellement situées, mais aussi d’une manière singulière de répondre à des situations de joies ou de détresse. Nous élaborons nos propres stratégies d’interaction et de réponses en fonction de cet environnement, de ses couleurs, de ses sonorités et de ses inflexions, de son climat, de son espace, de son agitation ou de son calme. Comme il façonne notre mémoire, il devient tout autant le matériau au sein duquel nous projetons notre imaginaire. Mais aussi, les corps nous apparaissent autant tels quels qu’à travers les vêtements qu’ils portent, les mots qui sont dits, les gestes, les désignations, les représentations plus ou moins schématiques.

Tous ces processus d’acculturation (c’est-à-dire, d’introduction à une culture et d’adoption de ses codes, mais aussi d’intégration plus ou moins complète aux communautés qui les pratiquent) sont connus des anthropologues et des ethnologues, avec une vision plus ou moins européocentrée. Nous avons de fait tendance à considérer le support scientifique ancré dans un point de vue occidental comme une base neutre, en oubliant notre propre situation spécifique et singulière. Toujours est-il qu’il est attendu de nous, dès notre naissance, que nous apprenions à être plus qu’un corps, mais tout un ensemble de voies et de manières favorisées de se représenter soi-même comme un-e membre d’un ensemble ou d’un groupe sociologique.

Comme nous travaillons à partir de l’hypothèse évolutionnaire du paradoxe sensorimoteur comme fondement de notre capacité de représentation imaginaire et symbolique, on peut comprendre à quel point ces points d’ancrage culturel constituant son environnement immédiat peuvent représenter une aide, un support et une attache à l’individu-e en train de se développer. Ce phénomène d’aller-retour, de va-et-vient entre la perception de soi-même et de son environnement dans cette sensorimotricité contradictoire constitue une source d’instabilité que ces éléments répétés, simplifiés, formalisés et ritualisés viennent compenser. L’hypothèse d’artification proposée par la chercheuse américaine Ellen Dissanayake en neuroesthétique, se justifie, autant que ses suggestions sur l’importance des premières interactions entre l’enfant et son/ses parent-e-s ou donneur-euse-s de soin.1 Les éléments codifiés qui composent nos cultures, si l’on admet l’hypothèse du paradoxe sensorimoteur, constituent de fait plus que des modalités d’expression de nos modes de perceptions et d’interaction, mais aussi un foyer d’attachement et d’anticipation des imprévus venant contrebalancer une grande instabilité dans le fonctionnement et les modes d’émergence de la sensorimotricité. C’est la force de disruption du paradoxe sensorimoteur qui fait de tout élément de fixation dans la représentation de soi un si puissant repère dans la quête d’une homéostasie psychique, affective et émotionnelle chez l’individu-e, notamment face à ses figures premières d’attachement (voir les travaux du psychiatre et psychanalyste anglais John Bowlby à partir des années 1950).

De là, les éléments introduits par la théorie psychanalytique freudienne des différents stades du développement psychique, relationnel et affectif (oral, anal, génital) des individu-e-s retrouvent de leur intérêt. Toutefois, leur valeur de prescription est à nuancer. Si l’on peut admettre des aires de découverte sensorielle, motrice, physiologique et émotionnelle de soi qui soient graduées et différenciées selon la progression du développement de l’enfant jusqu’à l’âge adulte, on ne peut les séparer de leurs intrications avec l’environnement d’interaction global qui conditionne leur rencontre – ainsi, bien sûr, que les dispositions intra- et inter-personnelles. L’échelle de temps qui est fixée à cette découverte et à l’introduction aux impératifs culturels auxquels l’individu-e est soumis-e constitue en soi un facteur de dérégulation et de fixation à des éléments de repère ou à d’autres.

Nombre de cultures ont en effet tendance à prescrire des étapes plus ou moins nettes et rigides dans ce qu’il est attendu que chaque individu-e soit capable de faire à tel ou tel âge, ce qui peut ne pas correspondre avec le développement de l’individu-e constitué-e isolément comme un tout avec son rythme propre. Si un équilibre reste à trouver entre le développement harmonieux de l’enfant jusqu’à l’âge adulte et les contraintes du monde qui l’entoure, les normes constituant ces attentes n’en restent pas moins souvent empreintes de validisme, notamment dans nos sociétés occidentales. Or, la stigmatisation réservée aux personnes qui faillissent à se rendre capables de telle ou telle performance physique, intellectuelle ou relationnelle à un âge prescrit demeure très fort, pour l’enfant, l’adolescent-e ou l’adulte comme pour celleux jugé-e-s responsables d’ellui. Cela peut en outre conduire l’individu-e à développer des stratégies de sur-compensation en vue de subvenir à une demande ou à l’anticipation d’une demande d’adaptation, ce qui est généralement le cas à des degrés divers. Cela participe à la confection d’un masque social destiné à protéger l’individu-e d’une stigmatisation.

En fait, la majeure partie de nos conduites sont motivées par de telles stratégies d’anticipation de toute demande de conformation et de performance codifiées, dans un jeu où chacun-e se préserve de toute attaque ou réprimande en projetant une façade, un mode d’expression et de représentation de soi qu’on sait conforme à certains usages les plus communément partagés ou pratiqués et facilement reconnaissables. Aussi, lorsque nous marchons dans la rue, nous croisons bien plus de conduites et de modes de représentation (vestimentaires, par exemple) de soi que de personnes en pleine possession de leur corps. Une majorité de personnes vivant en société est, sans doute, plus motivée dans son expression et ses interactions par la peur de l’exclusion que par la confiance dans les possibilités d’une ouverture et d’un dialogue équilibré, bienveillant et sans jugement.

Il est important de considérer cela pour comprendre que notre corps est constamment soumis à un stress et à un réseau de contrainte, qu’ils soient liés au fonctionnement paradoxal du psychisme humain et/ou aux facteurs environnementaux qui font dépendre sa survie physique et/ou émotionnelle à sa capacité à adhérer aux structures culturelles du groupe. Nous fournissons donc constamment un travail pour suivre le rythme prescrit par les régimes de performance spécifiques aux espaces sociologiques dans lesquels nous évoluons, sauf à devoir nous positionner en faux et à devoir justifier ce positionnement, qu’il soit de résistance ou de survivance lorsque l’effort de sur-adaptation aux normes discriminantes atteint son point de rupture. A défaut de repositionnement, bien connu des structures militantes, par exemple, le risque est à l’effondrement psychique, avec toutes les conséquences que cela implique.

L’application de la théorie du paradoxe sensorimoteur au champ social et psychologique permet de fait de bien défaire les éléments d’intrication et de co-dépendance de ceux qui permettent l’élaboration des structures de dialogue et de compréhension, au-delà des formes d’attachement d’urgence et par défaut. Nous souhaitons proposer ces pistes de réflexion et souligner que dans chacun de nos gestes les plus anodins, jamais rien ne l’est.

1Lire Ellen Dissanayake, « The Artification Hypothesis and Its Relevance to Cognitive Science, Evolutionary Aesthetics, and Neuroaesthetic », Cognitive Semiotics, Issue 5 (Fall 2009). En anglais.

To the Origins of Thinking : A Human Paradox

Text in pdf : A Setting Bird – To the Origins of Thinking – A Human Paradox

 

To Marie-José

To Daniel

Introduction





An idea doesn’t belong to anyone

When it comes from and answers to the experience of many.



We have tried to answer, for quite some time now, the same question : what if ? What if we had one valuable and possible answer to one of those questions that tickles us since humans were being human ? What if we had one possible response to the question : where did our capacity to think come from ? There has been much ado about the many ways that we have tried to explain where a species such as ours could have evolve from. There has been over centuries of various cultural traditions and many passionating and beautiful insights, scientific explorations and creativity. Yet, let us just stop there and take a moment, for time is now running out. What if we could suggest one possibility, one single hypothesis that would provide us with a better chance at sorting all those questionings out ? What if, as the expression says, it was only in our hands all along and we missed it out ?

It is time to take a strong and gentle step. It is not only about knowledge. It is about a choice, a choice to make some space for imagining differently the starting point to the course of our entire common history. Some years ago, we started to develop and discuss a theory of anthropogenesis, called the ‘sensorimotor paradox theory’1. The idea was quite simple : according to biologist Gerald M. Edelman, what the human brain would have needed to develop the capacity for self-consciousness is the capacity to ‘delay or lag neural responses’.2 Indeed, if I automatically respond to a situation, I don’t take the time to think first about whether I would or not respond in the first place and how. Then, let us try something. Try to look at your own hand for a minute. Just open it in front of you and look at it as if it were any other object in your surrounding environment. Now, try to catch it without using your other hand and without withdrawing the one that stands as the object of your consideration. As much as you want to, you can’t. The need for a response is there, but forced to a delay, suspended. An image, the one of a possible action that you would like and feel the urge to do and resolve, but denied. An image, that stands for itself, as an only possibility for imagination.

The idea is simple and all the elements were there at the time of our prehistory, before engaging any semantics that would come later on with symbolic elaboration.3 The latter would not come from nothing, but be supported by an experience in the empirical world, that would develop alongside bipedal stance.4 The possibilities in the world as we perceive it would change dramatically. Our hands would become as useful as they are alien, identified to their objects, transforming the way that our body has to engage in an effort to touch and enact them.5 And, when it comes to enacting an impossible possibility, we get to a paradox, that opens room for an abyss – an abyss that only imagination and projection can fill. An abyss that we could stimulate and sustain just for the sake of its effect on ourselves. An abyss for stupefaction and the experience of the extraordinary.

Without even unravelling the whole chain of how we would have then developed symbolic and linguistic capacities, along with the transformation of socialisation and collective meaning, it seems important to stress that a robust founding hypothesis should be worth considering, if it means revisiting the whole paradigm that we use to rest our knowledge on. It means as well that we have an ethical responsability to decide where we would like to go with such a scientific and philosophical proposition, what we would do with it and why. Most of all, it may remodel many categories that were historically built on throughout the development of Western societies, very much entangled with cis-patriarcal6, capitalist, colonial, imperialist and pervasive ableist views. Our work leans then as much on Chilean biologist Francisco Varela’s work on proscriptive and permissive systems, as on intersectional social and political analysis concerning gender, race, class, sexuality or ability issues. For they are interpenetrated into the way that we make society and come to develop individually into seeing and participating of a shared world of meaning.

We will try to expose here the essential of what we need to know in order to evolve another gaze on things as they came to be where we are now. More importantly, we will try our best to make it accessible for the most, indulging the urge to overcome the exclusion of disabled and marginalised groups of people from the conversation. We will try to be thematic and as clear and interactive as possible. For this is collectively that the journey must resume.

I – ‘The natural order of things’

There are two ways of interpreting the evolution of anything, whether an individual or collective trajectory like the evolution of the various species on Earth. You can say that it happened this way but it was one possibility among many others, or that it had to happen that way. Biologist Francisco Varela argued that the second option was the one supported by neo-darwinist thinkers (like the computationist current in cognitive science), that he called a prescriptive vision of evolution.7 We know this interpretation of Charles Darwin’s theoretical work well by the expression : The survival of the fittest. In other words, it should mean that through a period of time, only the individuals of species that would adapt in an optimal way to certain environmental conditions would be the ones that eventually survive. This means that to this kind of doctrine, not only is it critical that nothing would impede the individuals’ capacity to survive and reproduce when the conditions change, but they should also do it in a certain way.

The major problem of this kind of perspective is that it takes the way that species did evolve and thrive – as much as we can observe it – as the way that had to be given the circumstances. It also gets along with the idea that all physical traits or behaviours of such or such species necessarily are or have to be adaptative. Konrad Lorenz, one of the founding figures of ethology (though controversial for his ties with Nazi’s racist ideology), warned the readers of his work about misunderstanding what he called the ‘teleonomy’ of evolutive trajectories.8 Observing the result of a trajectory would indeed be very different from expecting a specific result, which expectation may distort interpretation. Moreover, he pointed out many examples of some species with remaining physical traits or behaviours that did not apparently offer any adaptative or evolutive advantage, but did not seem to bother them either. The criterium of their ‘utility’ would depend much on whom it is useful to.

This joins with Francisco Varela’s proposition that we should switch paradigm, from a prescriptive to a proscriptive vision of evolution. According to him, so long as nothing threatens the two criteria of their survival and reproduction (that is proscribed), there is no imperative that the individuals of a given species should adapt ‘optimally’ to arbitrary rules given from the outside. They would simply create their own relation to their environments of interaction as they perceive them and in a way, recreate them constantly by interacting with them as to, so to speak, live their lives. They would do so without having to mind what researchers would come to think about it maybe centuries later with their own perspectives, imperatives and goals. (We may remind by the way that in the field of epistemology, philosopher Thomas Kuhn already suggested that Science did not form itself in an abstract or blank canvas, but by the grouping of scientists, which means actual people tied to their times, societies and belief systems.9)

One key element to the shift proposed by Varela is the concept of sensorimotricity. The sensorimotor system describes the way that each individual constantly adjust their movements to their senses. The way that those stimulations inform them of their own situation in time and space shapes their relation to their surroundings and to a world of others. If I want to move my hand or my head to catch or smell something, I should do so by guiding my body through my own perception of my hand or my head moving (that I sense and see). That means that the way that I perceive my environment is also dependent on the way that I interact with and within it, by enacting the possibilities at hand and being embedded inside them. To Varela, the concept of enaction illustrates that adapting to one’s surrounding environment is not abstract and impartial, but that the individual commits to it and actually realises something that they only could do with their own body, situated in one particular moment and space. It has to do with agency even before being conscious that a story could be told about it. In addition, the very perception of space and time is relative and co-dependent on the scales of our capacity to perform such or such action, what we are in the capacity to perceive and grasp, limited by the measure of our own body. We tend to forget that because urban infrastructures have been designed for certain types of bodies, with a certain size and ability to evolve inside them. We even come to an anthropomorphic interpretation of how other species interact with our shared environment as we witness them be, in the way that we tell the stories that we imagine that they live. However, a spider has a very different perception of what a leaf is to them than we have, as well as somebody in a wheel-chair has a very different perception of stairs than physically abled people have, or autistic people would feel when it comes to neurotypical forms of interaction.10

This means that we have to be careful with the way that we describe possible processes of evolution, if we don’t mind our own situated perspective. Feminist philosopher Donna Haraway developed in this sense the concept of situated knowledge11, that means to deconstruct the very preconceptions that we have about knowledge, the context where it takes place and emerges, the social biases that we might be subjected to without being fully aware of or daring to think them (being part of a group that exercises an influence on our judgment). This methodological principle would apply to many fields of research and dynamic analysis, to which a proscriptive approach could benefit. What does say that Imperialist, White Supremacist, Capitalist Cis-Patriarcal and Ableist societies such as ours (to take up from Black American scholar bell hooks’ terms) necessarily had to acquire hegemony over the way that we practice, make society today and treat our living ecosystems ? The practice of scientific research doesn’t escape that question. To what aim and what kind of living together do we want reality to adapt to ? Because in the end, it is not only about knowledge, it is about a decision : deciding how we want to interact with our surrounding environments, for whom and, importantly enough, for how long. And this is a political issue, for the way that we describe our lived reality says a lot about what we omit to say about it and spend time and energy to silence.12

As any species does, we make our own reality by experiencing it with the means at hand, and now is the time to lift the vail.

Therefore, why is that distinction between the prescriptive and the proscriptive so important ? Because when you state that something must be this or that way, you should better find how to justify that assumption. Most of the time, the justification of prescriptive systems such as ‘Only those who adapt optimally to the current conditions survive’ hides the motive of defending one’s own privileged position, which they feel could be threatened, whether in a direct or indirect way. German philosopher Georg W. F. Hegel illustrated this kind of relations of power in an allegory called, at the time (mid-19th century), the ‘Dialectic of the Master and the Slave’ – that would later inspire Karl Marx’s work. According to him, not only the master comes to be dependent on the work of the slave‘ that they subjugated, but also on the pressure maintained on them so that they would not revolt and try to liberate themselves. Relations of power never stand by themselves, they have to be reinforced and maintained in time. There, a strategy is needed.

For instance, the way that we describe a world that should serve as a common-base understanding for all is very much dependent on who gets to produce such a description and impose it as a collective truth. It should be reminded that the vision of Darwin’s theory that we exposed earlier served the elaboration of what is commonly called Social Darwinism, since English philosopher Herbert Spencer’s work in the 1850’s. Social Darwinism applies the idea of the ‘survival of the fittest’ to the organisation of capitalist societies, promoting a minimum implication of the State into the economy and social organisation. According to the supporters of the ideology, if we only let things go and did not intervene in social and economical issues, the latter would simply solve themselves out and acheive balance according to some ‘natural order of things’. The ‘fittest’ would then ‘naturally’ occupy the top of social hierarchy, because this was, in a way, ‘meant to be’ and fit to their satisfaction. To this view, best is not hindering those who are fitted in their access to privilege. Except that the actual state of political and social organisation is not neutral and already dictates the norms according to which some should have access to the spaces where power and its distribution are given, and many others would not. To say that those with the capacities to produce wealth and acheive a higher social position should have the liberty to thrive without restriction shouldn’t mean that most of the others, on the sole basis of their birth place and social identity (gender, race, class, …), should be denied any of those opportunities and would not even get to the doorstep of that competition or even to a sustainable living. In the end, what is at stake is often not less than the very material and moral means for their mere survival.

Defending such a vision of how a society should work eludes that there is already a social hierarchy built on inequalities, political injustice and discriminations. In fact, it would only tend to favour mostly those who already benefit from them (check the regularly updated Oxfam reports), if it were not for the institution of adequate social and regulatory policies (when they are not turned back against the already most precarious of the concerned populations, as it is often the case). Most of all, such a position likes to forget that the ruling of the privileged only comes from a particular history of establishing and maintaining the very structures of privilege that would back up the heroic striving of the fittest. Those mostly resulted from a history of violence, systematic oppression and debt contract. In fact, most people’s position of subordination to those systems of power and oppression only holds because they are taken by the economical debt for the access to a relative peace and material services, even the vital ones – as capitalism creates value from exchanging and lending them for some virtual currency. There is always someone, an intermediary that we never see that eventually sums up the bill, as we don’t directly own the means of production for those goods and services.

So we are borrowing some comfort, in exchange for an agreement to certain practices that we don’t always understand, whether concerning the way that our consumption goods and primary services are produced or the financial cost of ‘tax avoidance’. And even if we don’t accept those terms, most of the times, we are not in the position to bargin with what our States choose to close their eyes on or actively promote. In France, for instance, the ‘Yellow Vests’ movements of 2018 against anti-social policies and growing precarity resulted in brutal police repression, that ended the hope to eventually be heard by politics when going to the streets. According to French sociologist Pierre Bourdieu, it is because we can be deprived of that which is vital to our survival by an organisation of political power – in many cases, the State, which holds the legitimacy of the use of physical violence (police repression, imprisonment, confiscation of goods, …) –, that we are compelled to accept its imposed legitimacy in the use of symbolic violence (having us accept inequalities, even the most brutal).13 That is how it makes system.

There is always an ideology that then appears as a mean to justify inequalities, in order to go on making profit from them. It allows some to exercise political domination, even coming from people that do not hold the means of decision, but that are dependent on the slightest power that such a political system grants them in exchange for their obediance.14 Even oppressed people may have to accept the intolerable and ‘play the part’, sometimes reproducing onto those below them what they have to suffer, just so that they would survive themselves. Black studies, for example, from (but not limited to) W. E. B. Du Bois to Frantz Fanon, James Baldwin, Paul Gilroy, Toni Morrison or Maboula Soumahoro, analysed in that sense the impact of slavery on the colonised soul. On another subject, self-advocacy groups on neurodiversity regularly point out the effects of over-adaptating to the pressure of certain kinds of normed social interactions that autistic people, for instance, are the least comfortable with. The notion of ‘masking’ was notably developed to show how performing codified social cues was both a way to (over-)adapt to others’ expectations and to avoid negative reactions towards their autistic traits. Disability studies are also passionating when they come to cross with intersectional issues such as gender, race, class and sexuality (Crip Theory).15

All this detour is important because often, issues that are relative to social identifications have been subjected to strictly moral, then (pseudo-)medical interpretations throughout the history of Western societies and their colonies. French philosopher Michel Foucault described them as systems of control over the bodies, in the 1970’s. Thus, indigenous people, notably on the African continent, were the object of European colonisers’ curiosity, at the age of ‘biological racism’ or ‘anthropometry’, a pseudo-scientific endeavour that, for instance, promoted the measurement of skulls in order to establish an essential difference between races. Intersex people, in their turn, were (and are still in many countries, like France) mutilated and their gender scrutinised, for instance, by Neo-Zealand-American sexologist John Money in the 1960’s.16 Only in 1973 was homosexuality removed from the Diagnostic and Statistical Manual for Mental Disorder (DSM) by the American Psychiatric Association, then from the World Health Organization (WHO) in 1990 – but transidentity had to wait until 2018 to be finally removed from the same list.17 Those examples are all tied to the same prescription : one better be a cisgender heterosexual and able white man from an upper class than anything else ; and the more one diverts from that privileged model, the more difficult their road might be to access the same spaces and rights.

That is why we speak of systemic oppressions, that those who benefit at any level from them try to justify by means of statements over the ‘natural order of things’, so long as they are not impacted themselves. Feminist YouTuber Natalie Wynn analysed something interesting, by the way, concerning transphobic bigotery.18 She suggested that the slogan ‘Trans women are women’, serving as a defence of trans women against public attacks, apart from the fact that it excluded trans men and non-binary people, would focus very much attention on a metaphysical inquiry : ‘What is a woman ?’ Engaging that kind of question would surely lead to granting those who intended to do so in the first place the liberty to eventually deny womanhood to trans women. Instead, if we took another slogan such as ‘Trans Liberation Now’, this would rather stress the common political issues and discriminations that most trans people face, whether trans women, trans men, non-binary people and intersex people. Again, as long as someone’s identity is not threatening another’s physical, psychic or emotional integrity, why would anyone feel the urge to oppose and deny them the same essential rights than anyone else ? What kind of prescription is going on here ?

As well, a question that is supposedly posed as an elementary scientific conversation is merely hiding the attempt at denying and silencing the voices of minorities and their demand for social justice. It requires from marginalised groups of people to justify their own existence, already reduced to precarious conditions.19 It prevents us from recognising that their very means of living are threatened daily by discriminatory social and political infrastructures, practices and prejudices – which, in most capitalist and social class representations, mean to already objectify and alienate them into a source of disgust and rejection, inducing into others the fear of being assimilated to their distress.

Instead of saying to marginalised groups – whether they are marginalised on the basis of their gender, race, social class, of their sexual orientation or disability – : ‘We have other priorities. Why would you need to exist in public spaces and within social and political participation already ?’, we should be asking : ‘Why don’t you want us to exist and be public as well as you do ? And why would you address issues concerning our lives without even consulting us or having us invited to take part in those decisions ?’ If another example was required, on both American continents, indigenous people are dying or facing major harm, again, for asking this kind of question, whether they defend the Amazon from deforestation or sacred lands from a pipeline project.20 And they are not the only minorities that we are willing to sacrifice worldwide.

That is why such a concept as proscriptive systems is capital, precisely in order to open our vision of a shared reality to all narratives, points of view and histories that are intricated and which we depend on, especially in a globalised world. Scientific interpretation is never far from the political and never disconnected from a perspective on the kind of making society together we want to get to on this only yet livable planet. Eventually, a statement on how evolution works doesn’t only affect scientific research. It tells us something about the hierarchies that we create between living beings – those that are granted the spaces where decisions are made and those that are not. Our current competitive vision of the evolution of species tells us something about how we dare justify the destruction of our whole ecosystems with the idea that human species had to be on top of others. This vision of a ‘natural law’ to the reckless struggle for survival roots imperialist white-supremacist capitalist and ableist cis-patriarchy into defending a few people’s right to hegemony, under the pretense that otherwise, someone else would crush them first. ‘Better us than them, right ?’

Then, knowledge is indeed political, because some production of even a pretense of knowledge and its access could either benefit the inclusion of all voices, experiences and perspectives, or on the contrary, maintain the exclusion of the many to the privilege of the few. Black American lesbian poetess Audre Lorde, on that matter, stressed very well how the fact that the history of the minorities’ struggles was not compiled and transmitted in the official telling nor even that much inside the communities participated of a sense of dispossession. To her, in the context of Black feminist issues that she worked on, it was like they had to ‘reinvent the wheel’ and start it all over again from scratch at each generation.21 Further more, we cannot separate the production of knowledge from its material ends. Notably, to be visible and validated in capitalist terms, whether in the medias or in the sphere of scientific research, means that we be granted fundings. Whether those fundings depend on public or private investments, we can still ask who owns them and who decides of their attribution and to what end ? How could it orientate ongoing representations, studies and decision making ?22 It is not enough to address an issue, it should also be listened to and discussed in such conditions so it could eventually result in concrete material policies that would do justice to all parts. If the end of producing scientific knowledge is not to improve individual and collective shared means for living, what is it for then ?

That is why proscriptive systems are so important, because as long as the physical, mental and emotional integrity of each part engaged is respected and they are granted an equal right for participation, there are no reasons why we should prescribe any compulsory conduct onto them that would be preferable from establishing local and fully chosen agreements, taking the necessary time to find every moment’s balance at each place and for each situation. We need to be specific about the complexity of human and all the living’s realities. Nevertheless, in the context of societies that claim to be democratic, but developed throughout a history of colonisation, land theft and slavery and still perpetuate them through the geopolitics of global and neoliberal capitalism, we could only resist the pressure, keep thinking alternatives and wonder for the best…

All the questions raised before open to an ecological vision of knowledge, defined by Belgian philosopher Isabelle Stengers as ‘a milieu where livings with divergent interests cohabitate in an intricated way’.23 According to her, rather than clinging on exclusionary oppositions, for instance between the ‘rational’ and the ‘subjective’, we should invoke spaces that would be open for various situated experiences to be heard and considered in their participation to a same object of collective interest. They would in fact all create a different object altogether that would enrich our common perspective.

Such a separation between the ‘rational’ and objective, and the ’emotional’ and subjective often conceals an attempt at removing oneself from the possibility of being denied an affirmative position and being hurt by doing so – especially when they are not used to being criticised or rightfully suggested another possibility. It is a very prescriptive and moral attitude : ‘It is not me, it is the rule, that all must follow.’ Except that, as we saw, this affirmation almost never questions the founding grounds of those rules, nor whom they benefit to. We actually live under political systems that maintain themselves from the principle of being the tradition and inalienable law, no matter how unequal they may be. They are not supposed to be questioned since they benefit to some, and that is why there has been such a brutal backlash against movements of liberation, whether (trans)feminist, anti-racist and anti-colonial, anti-capitalist, ecologist, …

Most of the time, the resistance from tradition to self-questioning is the least rational thing. There is a symbiotic nature to our relationship with our environments of interaction that affects every part of our experience since childhood. It goes with sensorimotricity as with what English psychiatrist John Bowlby called attachment. Whatever skills that we develop in time, we develop them from a need to be granted a comforting grasp on our closest reality, notably our parents and primary caregivers. Our capacities or incapacities to formalise language and symbolic manipulations enable us, according to psychoanalytical theory since Sigmund Freud, to sublimate our insecurities towards an affective and positive response from our figures of attachment. Whatever ideal of adulthood might be this imperative to control one’s emotions, we are still built together through our sensory and emotional experiences, that means : trauma. And trauma affects and shapes what we allow ourselves to face in our daily lives.

Therefore, even observing the stars and the laws of physics cannot evade the question of whom the observation is meant for and to what purpose. The question of who receives a proposition as knowledge is both social and political, epistemological and hermeneutical, as the context of its emergence may inhibit or favour ways of expression over others. The general frame and world of meaning in which we conceive ideas may be fertile as the limits from which to create forms, as they can be desastrous as to their social implications if they come to impact political decisions in critical ways. If everything or anything cannot be taken and available as knowledge and valid as such for a vast majority of people – that means that knowledge itself is adaptable enough to various conditions –, then the contrary – the compliance of this variety of conditions to one unique set of knowledge – may resort to ideologies that may also be prejudicial. As we saw, a proscriptive frame to the production of knowledge, on the contrary, by protecting first the physical, psychic and emotional integrity of all the variety of people that may be impacted by its occurrence, would leave the door open to the conversation without threatening the very means that there would be one.

There is always a motive and conditions to the elaboration of a discourse on the reality that we try to share that is both produced by and for sentient people with a rich, diverse and often contradictory emotional experience. If one’s integration within the communities that concentrate the production of knowledge and its means of recognition appears to be a higher motive than the actual attention given to the task, relations of power within the group might cast some rigidity upon the very scope through which we conceive some discourse as knowledge or not. Then, if the general understanding of the group actually denies some portions of living experience as potentially conditioning their work field, it might result in a very partial vision of what reality is or should be. It is to forget that our very capacity to produce mental images and manipulate language structures relies on memory, that is constantly generated by our body on a sensorimotor basis and thus, always approximative and subjective. English psychoanalyst Darian Leader explored, in his book Jouissance (Paris – Stilus, 2020), 150 years of scientific literature on how the experience of pain, to whatever degree, fundamentally participates to our psychological growth. It cannot be perfect. The pretense to the production of knowledge may be of attaining a form of objectivity, but any language in itself is only a set of signs. Their interpretation, on the other hand, can never be cut off and extracted from the context through which one perceives their own world of experience to the intersection of others’, that is, in the end, always rooted in traumatic inscription.

II – Let us talk about collective trauma

We cover bodies and objects with meaning, signs that we identify as familiar, friendly or not. The idea that some thing or sign is familiar or friendly, or on the contrary, unfamiliar or unfriendly, seems to come with the more intuitive sense of feeling safe or not around them. The sense of security or insecurity prescribed onto some objects or figures might often be established by association though, rather than from direct experience with one particular person or object. Being afraid of being bitten by a dog might not necessarily mean that one has ever been bitten by a dog or this dog, but knows what it means to be bitten. Moreover, if a sign or figure is collectively pointed out as dangerous, ordering the members of the community to address their fear and insecurity at this designated cause – whether imaginary or based on experience –, we get to channel all the painful experience of a group of people into a collective traumatic response. Collective imagination would be fed by the need to respond to aggression and trauma, but designated an arbitrary expedient.

This collective response to a shared trauma finds its rationality in the cultural, political and social structures of what founds the organisation of a society, its internal hierarchies and justifications.24 It structures the elaboration of laws, whether official or not (it may be considered a kind of law within a family and taught to children that every dog bites, no matter their shape and apparent behaviour). It is true when we talk about large, deep and obvious traumas, like a terrorist attack or an economical crisis, but it is also true of slightest impressions. If attacks in the United States or in France claimed by islamic organisations did, for instance, foster the targeting of Muslim people more or less as the root of a radical opposition and problem, it was also reflecting a deeper conditioning of how we associate certain signs on the bodies (a beard, a vail, the colour of one’s skin) as a source of threat. Further more, such dynamics impact the way that sigmatised people would anticipate those associative reactions of fear toward them, affecting their relation to their own body in public spaces.25

The way that we create homogenous categories reveals the kind of oppositions that is supposed to unify a group. This is well known when we study the elaboration of racial categories throughout a history of colonialism and slavery. The political and economical goal of exploiting the bodies of the colonised and enslaved could not bear considering them as subjects capable of self-determination and free will. Even though people on the African continent before colonisation did not consider themselves as ‘Black’, for example, but as belonging to one kingdom or to one tribe or the other, all those different people were assimilated as one homogenous group, ‘Black people’, when displaced altogether on the American continents. They would become the ‘Black people’ as opposed to the ‘White people’, no matter how different those people are among each other within those arbitrary categories.

When collective trauma is used as a mean to justify discriminatory politics, whether on racial, gender, class or other basis, it durably shapes the way that a society produces imaginaries and justifies our narratives of justice, especially when it erases the traces of its own history, as the United States did with the history of Indigenous peoples. When one group casts a stigma and stereotyped attributes onto another, being associated with the sigmatised group casts onto you those presumed attributes with no regard for your own personnality and experience, but as a pre-requisite to that question : ‘Am I safe ?’ Something that Black American writer James Baldwin analysed so often, is that the oppressing group evolves motives to fear you because they don’t want to face that they are taking advantage of your situation as being oppressed by them. Therefore, it projects onto you the duty to prove that you are not a threat, that there is no need to feel in danger near you and retaliate. It shapes the perception that one has of themselves and the mental and emotional charge of adapting oneself to the gaze of someone else that doesn’t understand nor want to see them for what they are, of what kind of relation binds them together in a same though conflictual world of meaning.

In fact, the idea that trauma only affects the deeply wounded and the broken and diverts them from ‘normality’ is a very ableist view. It obliviates the fact that trauma affects us all and sometimes, not in the most overt ways. We elaborate our identity as a function of what we can allow ourselves to express among a society of others. That is why in identity issues, the personal is always tied to the political. As we saw earlier with Hegel, policies of domination often work as a contract, an exchange over someone’s life : ‘If you work for me, I’ll spare your life or won’t send you in prison and you will be able move within a certain limit’. The extent of that limit might be useful for a while when it relies on an equal treatment. It is not so salutary when it serves the domination of a group over another, not on the basis of their actions towards them, but for the simple fact that they are there.

Starting her Indigenous Peoples’ History of the United States (Boston – Beacon Press, 2014), Roxanne Dunbar-Ortiz reminds that the history of US settler colonialism is ‘the founding of a state based on the ideology of white supremacy, the widespread practice of African slavery, and a policy of genocide and land theft.’26 As James Baldwin argued, it could not be so without alienating in the mind of the oppressor those whose existence, culture and history that they destroyed : as the ‘natural’, essential enemy. According to him, nothing was more frightening to ‘the white man’ than the terror of his own guilt27, especially when it comes to white people of popular classes, who lived next to the slaves and the segregated with only the colour of their skin to tell them apart. The proximity of their social class would make their cohabitation less bearable as it would require more personal effort from the white person to push away the pain of identifying with those that they force into slavery and extreme precarity.28 French scholar Maboula Soumahoro explained that it was one of the main differences between racism in France and in the United States : French people did not have to cohabitate with the slaves that they sent to the American continents on the same territory as people in the US had to, so it is still easier to pretend that racial issues do not exist or are neglectable in France, an ‘universalist’ and colour-blind country.29 However, what the establishment of the United States and their extension was even more radical, according to Roxanne Dunbar-Ortiz, as they had almost totally erased all the traces of the Indigenous life and history before colonisation – if it weren’t for Indigenous peoples’ resistance to only survive and manage to preserve and pass on their culture.

That results over time into a system of intergenerational oppression and trauma that would establish the oppressor’s law : ‘Such category of people has always worked for us or others, it is in their nature to be servile, so this is the way that things are and any other way would be subversive, dangerous and unnatural.’ Of course, this goes on as well for discrimination and oppression against women and gender minorities, popular classes, disabled people, … If we question our ‘traditions’, we might sometimes discover actual skeletons in the closet. How to build one’s own identity in that kind of context ? When thinkers like W. E. B. Du Bois and Frantz Fanon, for instance, analysed the effects of colonisation on the colonised mind – as well as the coloniser’s –, they precisely stressed those mechanisms of sustained oppression that came to alienate the very perception that they had of themselves. And we can extend that to the other oppressive dynamics, as intersectional analysis show, that imply that the access to resources that are essential to our survival and well-being are being dependent on our compliance to abusive systems of power concentrating and administrating them. We have to shape our personality, for instance, knowing that the access to those resources is dependent on our capacity to produce work in certain ways prescribed by preset relations of power that are maintained and that we are not in the position to discuss. The very fact that we are not part of the discussion about those matters, that the distance is too far from the source where the decisions are made for all, is participating to the tension that one has to bear in order to live with the violence that they induce. If we were to be participating subjects of such a system that would organise and distribute the resources available, we could name and ask whether their use is adequate to the benefit of all. If we are not and those resources are still being abusively exploited and our governing systems unchecked and uncontrolled as they damage the very ecosystems that we depend on, then it means that in a way, we are as much objectified and alienated, as we require to objectify and alienate those whose oppression we still benefit from. That ground has been a motive for anti-psychiatry movements in the 1960s and 1970s (R. D. Laing, Gilles Deleuze and Felix Guattari, Bruce Alexander’s ‘rat park’ experiment30, …), as some perceived that a strictly institutional and drug-based approach was insufficient to tackle socially-conditioned aspects of mental distress. How to build and choose oneself as a person when the least of your daily action depends on the perimeter of your cage, exploiting the lands and seas that we dry off and poison or precarious workers here and in other countries ?

Anyhow, we manage to keep on functioning or trying to, although we experience trauma on a daily basis, repressing the guilt that we are told not to have already. And that is it : trauma, in a large sense, means how we adapt to radical changes in our sensory and emotional experience and appreciation, from the slightest encounter to the most violent injury. In its etymology, it means as much ‘the wound’ as ‘the defeat’.31 It is how we surrender to the change in our reality and try to draw a livable map of our daily interactions around that. It is the story that we tell around the wound, hoping that we would not awaken the pain of its memory. The deepest is the pain, the more distance we would try to create between what we tell ourselves and its remembrance. We can do it despite its psychological cost and most have had to be resilient for a large part of their lives, even if it means functioning differently. (By the way, we can also be and function differently from the prescribed and expected norm in the first place and manage to still ‘function’ anyway, despite the frictions that it would create to the outside world.) That is where we come to the interesting part, that trauma irrigates our whole experience, that it is the intersection, the merging of sensorimotricity and meaning – that it can be reclaimed, as so many minority-assigned communities have done since there were domination and oppression structures.

In their testimony at a TEDxUMN event, Two-Spirit scholar from the Rosebud Sioux tribe Nicholas Cetanzi Metcalf explained how they managed to navigate during their youth and life as an adult between two separate worlds of meaning : the ‘American’ and the Indian one.32 It became even more delicate when it came to gender issues. Though Two-Spirit people – who identify as men, women, both, in-between or as a third-gender on the gender spectrum, although assigned differently at birth or not – used to exist and hold important social and spiritual positions in almost all the 566 Indigenous Nations on the North American continent, the arrival of European settlers and the colonisation of the lands broke their internal organisation – as it did on other continents.33 Forcing the subjugated populations to a Christian education participated to a sense of confiscation and shame over their indigenous cultures, calling Two-Spirit people berdache – as ‘male prostitute’ –, prescribing the Western binary conception of gender onto them. As Cetanzi confesses, it is still a struggle to feel safe while affirming their cultural and gender identity – trauma that they were passed on through their parents and that they still pass on to their children, by warning them about the dangers of affirming their parent’s gender non-conforming identity.

We may think that this is only a matter that concerns minorities, pertaining to who they are and not a result of how they have been treated for centuries, in the same way that psychoanalytic and psychiatric theory and practice still mainly individualises and pathologises such issues as deviances. But trauma and its consequences are never only a matter of being wounded and failing to respond to the wound as any ‘normal person’ would. It is always deeply interpersonal and intricated into the very notion of meaning, which is inscribed into the collective sense and transmitted that way. If we cannot give back meaning to an experience and integrate it in the way that we project into possibilities, a way that could be heard with attention and dialogued with, if we keep on being isolated in our means to try to make things right – that is, that a collective guilt could also be addressed and not denied its reality and consequences on future generations – then, how could anyone be alright and feel up to the task of healing ?

III – Difficult diagnosis

‘The illusion of safety is as frustrating as it is powerful.’

Roxane Gay, « The Illusion of Safety/The Safety of Illusion », Bad Feminist, 2014

There are many reasons why trauma shouldn’t be seen solely as an individual issue. We have tried to analyse so far how the dynamic structures of trauma could be conceived and maintained collectively. One may object that it is too much taking from people their responsability for their own lives. In a sense, maybe ; but maybe the choices and decisions that we make are choices amongst possibilities. We would like to stress here that any responsability taken, moreover, depends on what one is asked for and what story is willing to be heard and most of all, understood. One is often well aware of the kind of stories that, on the contrary, cannot be told and the risk if we tell them of not being believed.

The world of meaning and comprehension that is collectively conceived and maintained, participates of what James Baldwin called ‘a system of reality’.34 Depending on how one situates themselves inside of a shared system of reality would not only affect the way that they would perceive the world around them, but the roles attached and expected from such a point of view and perspective upon their self-expression. What are the stories that we are usually told that we come to tell ourselves and to ourselves, because we expect that those are the stories that most people are used to hearing and ready to hear ?

In an essay called « The Careless Language of Sexual Violence », Haitian-American writer Roxane Gay reacts to the way that the shocking rape of an eleven year-old girl by eighteen young men in Cleveland, Texas, was covered. In fact, most newspapers emphasided on the fact that those men’s lives and the town’s would be impacted, without seeming to care that much about the girl, if not blaming her or her mother. Roxane Gay questions a culture of numbing toward the notions and representations of rape and rapists – whether in literature, newspapers, films and series, music, … –, pertaining to what we usually call ‘rape culture’. Such a way of depicting rape turns it as if it were an inevitable part of how our societies function – not a question of ‘if’ a person identified as a woman, or assimilated to that position, is likely to be raped, but of when. She says, ‘I increasingly feel that writing is a political act whether I intend it or not because we live in a culture where [careless reports and articles of such facts are] permissible and publishable. I am troubled by how we have allowed such intellectual distance between violence and the representation of violence. We talk about rape, but we don’t carefully talk about rape.’35 In that context, many stories are not likely to be heard, at least without being distorted and used against themselves.

When we talk about trauma, we don’t only talk about someone being hurt and trying to recover from it, we talk about how we allow people that are hurt to tell their stories. Do we help them situate their experience into rightful meaning and redirect their lives on to new possibilities in a welcoming way ? Trauma is both about the repressed memory of the hurt and the strategies adopted by the person to avoid such a memory, go round it and keep on living in a way or another. We can learn otherwise, but only if we can stage the source of the pain in our sight. Trauma is about how we make room around the wound so that we can recover from it, should we feel allowed and safe enough to face it again. Buddhist traditions call it Dukkha, all the tribulations of everyday life that are ‘hard to face’.36 Indeed, there are two sides of trauma : one that we tell and one that we feel, to which we can hardly find the words.

In her reflection over the way that we usually talk about rape, Roxane Gay quotes scholars Lynn Higgins and Brenda Silver’s book Rape and Representations (New York – Columbia University Press, 1991). They argued that ‘the act of rereading rape involves more than listening to silences ; it requires restoring rape to the literal, to the body : restoring, that is, the violence – the physical, sexual violation.’37 However difficult it is to hear and admit that one’s body can be violated, to live it in our own body, we need to understand that no one is immune to trauma, to the kind of contact that forces you to change your perspective, for the better or worse. But, how to tell in the most accurate way and share the reality of what is least communicable, that is, sensory and emotional experience ? They are both inalienable to our body’s most intimate reality, that is the experience of change and transformation that we cannot control, but only hope to guide. We can hope for better approximations. In the Buddhist view, it may be complicated as well to tell a story that would resemble ‘the truth’, in a world where everything is utterly changing and impermanent, close but never the same again38 ; therefore, one should better make peace with the way that their own body feels pain, discomfort and fear by accepting them in the first place. If the source of the pain is staged, one could change their own position toward it.

However, it is more difficult to let go of a wound when the causes are structural and persistent. The point is that, as many intersectional thinkers put forward, we should step out of an ‘either/or’ perspective – one that would state that if you fall short of the expected and prescribed norm, then you necessarily are to be antagonised. In that case, it is not that people can’t be resilient enough to live in a way or another with trauma or their disability in any matter – they don’t have the choice –, it is not because they do manage to live or survive through that they should still. Again, to observe people struggling with disabling pain in a certain context that doesn’t help nor is offering other acceptable solutions, doesn’t say more about them being hurt than it does about their being or feeling abandoned by the sense of community and support, of meaning and possibilities. That means, there might be a danger to the symptom and its diagnosis, in any kind of therapeutic or pseudo-therapeutic space that actually comes to hurt people who resort to it. Most disciplines would take the symptom as belonging to the individual’s responsability and failure to adapt to the way things presumably are and should be, rather than acknowledging that the way that we say they are could or should in fact be different.

Interpretation is based on a frame of reference, a language to its code and the limits of what it can express. If our frame is expecting too much, too rigid and excludes some possibilities, refuses to acknowledge a large piece of people’s actual experience, we take the risk of missing out what their experience is all about. We should listen first and try to understand ; yet, we should also be ready to put the very structures that found our expectations at risk as well. We should change the frame. If the system of reality and political system that we are living through are failing our comprehension and help to what many living beings are actually living on this planet, we should be ready to risk the pretend security of being held in debt to the power that it wields on them and all of us. That means, an unequal system of making society that is likely to induce hurting the people and living beings that are subjected to it, cannot be permitted to endure if we want to help those people durably and our shared ecosystems. At one moment in time, we should just stop putting bandages over wounds that find their causes still vivid and administering damage. There is a rage to trauma when it is bound to the injustice of political domination, that endures. It is not an individual failure : it is an attempt at surviving collective submission.

Nevertheless, they are not subjugated ; they are made by force.

Speaking of a change of frame, it seems now bewildering that most people have managed to get a sense of unlikely balance out of one of disruption. It is and at the same time, if we consider the theory of the sensorimotor paradox, they had and still have to. We probably have been passed on the habit of struggling, learning and normalising the disruption of one of our basic function as living beings, throughout some hundred thousands of years : sensorimotricity. The trauma of its constant contradiction – as is the hypothesis of the theory – may be at the core of our ability to elaborate meaning as a response, so that we would not find ourselves in complete disarray.

But, this must yet seem obscure as to how we came to make such a statement. We mentioned the sensorimotor paradox theory in our introduction without entering deeper into the subject. It is a complicated one, though rather simple, because it exposes a contradiction that is not to be resolved, a tension and chain reaction. The main idea is that seeing one’s own hand and staring at it as if it were any other object in our surrounding environment – especially when it is open in front of us – disrupts sensorimotricity. Something there is impossible to get beyond without hurting oneself or removing the object and ending the scene. For this object – the hand – to remain, we have to momentarily freeze ourselves to a certain extent, suspending our liberty to fully respond to any other object and most of all, to this very object – a part of our own body that we are willingly alienating from ourselves. It is a situation, a specific setting where the very hand that we are used to invest in order to fetch objects cannot move if we want this particular object to be. For this object to be, we have to deny our own capacity to act toward it : we are to be the witness that cannot participate other than in our potential imagination.

The experience is quite unique and prototypical, in fact, and provokes a dizziness that has no parallel with looking at any other part of one’s own body. It leaves the person with their sole capacity to witness the impression of their own senses and emotions, without being able to do anything about it – bodywise. Something, in that particular situation, blocks the capacity to enact any consistent interaction involving the whole body, but only the sense of that body, some level of self-consciousness (that is the condition of Edelman) – that is entropic, generates an internal and physiological disorder, because we want to but cannot enact the situation that stimulates us. Sensorimotor memory is generated without being able to go through it either. It is only but an image. It is the image of a moment, of a possibility without an end, circling and waiting for an unlikely outcome. We say that, but of course, such a habitual thing as living with one’s own hands can seem futile and hardly enough to make any suggestion about the origins of our capacity to think and elaborate imagination into narratives, especially if we think about those without hands or that cannot actually see. But, is it ? What about the way those people thousands of years ago would have felt like in such moments of self-exploration ? How could it change our bodies over a very long time ?

We reminded earlier that there should be a tighter connection between the depiction of an event and its bodily experience, how social conventions and norms of interaction have taught us to put a distance there from the expression of pain and distress, or even of pleasure – in fact, from the reality of the body. Imagine that you are frozen into a situation from which you need to get out, escape and try to resume your usual life – you could still call out for help, or try to break the spell that has you frozen. Staring at your own hand is much of the same : you cannot enact this situation, and you cannot simply eat your own hand – but you might still want to get out of it eventually. The situation is the image that you are stuck in, and the way out is the call, verbalisation or at least, the signifying of your distress that no one else can see. Psychoanalyst Darian Leader observed, in that sense, all the ways that our hands constantly have to be busy and fiddle with something when we are least aware, as if some part of us desperately had to express something out of it.39

The state of paradox makes everything strange around you, as you have to recover some sense of physical engagement, and marks in the world that you perceive. And yet, the dizziness is intoxicating, feels like a surreal moment. The experience is deeply personal, yet it might shape the urgent need to communicate something about it : a sense of one’s own self, palpable, concentrated, present and yet, impossible to extract. Even in order to say ‘Me’ and try to say something about yourself and the feeling of yourself, you have to do it so that others would understand, including their perspective, using a sign rather than transmitting the non-communicable reality of your experience. Yet, it feels like you are standing out of your own body, cast off, detached.

Paradoxes are hard to solve out. Their contradiction concentrates much energy that would find no solution, except a way out. They are traps that we can only give up. No matter how hard we try, it is as stimulating as it is frustrating. From there, such energy could fuel the need for a resolution, if not of the paradox itself, at least of other things that could find easier relief. As we try to understand some vision that cannot be, a dead end, we slowly elaborate ways round it : we elaborate the trauma of the impossible.

The proposition of the sensorimotor paradox as an evolutional drive is difficult to present without resorting to the reader’s own experience of such a paradox. We are trying to make avaible to representation something that is fundamentally an impossibility for literal resolution. It is a state of tension, that drains the mind and body. We cannot rest on a paradox, that is why such a psychoanalyst as Jacques Lacan used to say that signifiers (the sensory support of words : phonetic, scriptural, gestural, …) worked as a chain, always refering to another and never seeming to find an end – because it can’t. We think because we can’t rest on a paradox, and that a paradox is what keeps us on the edge of releasing everything that we contain into an acceptable conduct. Something must have been interrupted in our earliest ancestors’ daily lives and interactions, so to provide enough energy to sustain this specific need, the one for diving into an imaginary experience, suspending all the rest for a moment of sheer dissociation. Because it is dissociative, it is hard to picture. It rejects its self-observation. And else we believe in a supernatural intervention, our own body, others’ and the experience of our environments were the only things that could provoke such a radical shift, to push us beyond the limits of interaction. It happens within the perimeter of our own body’s self-experience and is a break in its capacity to provide a primary response, only to invest a secondary kind of responding : the one that is not acted out loud, only figured in one’s own mind – a representation of what could be enacted.

So, when we actually pounder the idea that such a simple fact as staring at one’s own hand could disrupt the very basis of sensorimotricity, it doesn’t take long before one actually considers that it could be a reliable starting point for supporting such a change. Our hands were one of the primary means for interaction and engagement in the world, first as a locomotor support, then as a relational one. It is elementary and radical enough to leave one no other choice but to confront themselves with what is hardest to face : the incapacity to respond, though in the urge to react, to a situation of discomfort. And gazing at one’s own hand is uncomfortable because one cannot solve it, as it is fundamentally contradictory : the hand with which one would first be tempted to grasp the object in question is the very hand that has to stay still, so that the object of one’s interest could remain available. Lest we lift the spell off.

As we saw, trauma such as an experience of distress is not only the memory of the experience, it is also how one would react and re-adapt to the existence of that memory and the way that it affected their sensory and emotional expectations in the long run. The fact is that in this case, the experience is unique as it gives us only two options : leaving the situation by resuming bodily interaction (and releasing the objectified hand), or sustaining it, along with its emotional turmoil, wondering about all the dizziness of a new world of experience. For imagination is an effort that needs to be sustained and first, could not reasonably be sustained without a little help from one’s own body. Imagination is born out of a violence against oneself, and it is in itself, a difficult diagnosis.

IV – Is anyone responding ?



Thinking, and notably the constant flow of conscious thoughts, is mostly born out of a certain urgency to resolve a tension that is difficult to distinguish and tell apart. To stop or try to stop thinking confronts us to the reality of such a suspension that we were talking about earlier. Thoughts cover up the silence and incapacity to close the fracture up. Thinking mostly is a resort, in order to vent an anxiety and energy that have been building up from stopping one’s own body in their spontaneous and careless interactions, inside of their surrounding environments. We are being taught this fundamental notion of social adaptation since childhood up to adulthood : what are the objects that we can or cannot touch, what is appropriate as an expression or behaviour, … But those rules come with internalised representations, that of experiencing a welcoming or rejecting response to our attempts at communicating the desire to reach others.

We can’t always get what we want in the time and space that we want it. Psychoanalysis, notably since Freud, spent considerable time and insights studying how such desire was to be sublimated into substitutive conducts. The latter would combine particular sets of body expressions, verbalisations and social activities – in agreement or not with social contracts, although mostly tacit. This process of substitution, mostly evading conscious planification, can work as an escape from literal and bodily confrontation with the entities denying us access to what we desire or demand, whether justified or not. We are often found in the tension between an aggressive response to our discomfort and fears, and the need to feel reassured, connected and supported, held whenever we lose touch with the ground. That is, by the way, what the sensorimotor paradox does : it makes us lose touch with the ground, that we try to figure out another way, from memory. It also opens a space in-between for imagination to replace the enaction of a conflict into symbolic narrative structures, whether they are conscious or not (anymore).

But, for this space to open, we first needed a crack in our commitment to responding and being responded into continuous interaction and feedback, so that we could then delay the response and escape into imagining it. It is important to say that according to the point of view that we choose, the fondness for imagining and thinking could even be seen as pathological on strictly sensorimotor terms (it is not ‘working’ and functional in its first use), that should require some adjustments and a great deal of learning. To some kind of purist, the sole act of thinking itself could be seen as a deviance to, say, the ‘laws of nature’, like thrusting a stick in a bicycle’s wheel. After all, it took us thousands of years to elaborate an alternative and make up for it. We are still younglings at the scale of evolution.

As we saw, the sensory and emotional image of our experience is all that remains available when it comes to the sensorimotor paradox. The time of sensorimotricity – of the instantaneous response – is suspended into opening to another kind of time, closer to a mystical and absolute experience – absolute because no response is possible to that particular situation, on the sensorimotor level, other than being a witness to it. As Ellen Dissanayake stated, the feeling of making something special – in our relation to an object onto which we leave our imprint – may be more significant than its symbolic content. Here, the possibility that there is a relation opens in itself to the ways that then give it a shape. There has to be a content to be chosen because of the experience. The loss of ground creates the need for some kind of meaning ; but the interpretation, its justification and formalisation come after.

In psychoanalytic terms, the repression of the event that strikes the body comes before its symbolic substitution – and the ways for symbolising it have to find meaning in other sources of inspiration. As Darian Leader investigates it in Jouissance (2020), the experience of pain informs us of the existence of some limit to our body’s expension, whether physical or symbolic. The way that we will compose with those limits would take part of the inscription of trauma within our perception of what is surrounding us. In every move that we make, our traumatic memory is charging and alerting the possibility of a wound. On the symbolic level, the memory of the wound is its own alert, and we often try our best to avoid it and cover it with another kind of meaning, representations and social performance. The latter often constitutes the opportunity to not address the sense of insecurity that we may be inhabited with. Our social identity, the way that we appear to others and come to appear to ourselves, is woven in trauma.

It is curious then that while we may be struggling with our own inner trouble, others often seem to be just fine, living their lives ignorant of our own worries – and of course, they do have worries of their own. Maybe that is why we substitue so easily experiences that are difficult to face and their memories with forms, attitudes and sceneries that we witness and that seem to go on happening in the most natural and effortless way for others. We may not have or be able to intervene into others’ affairs and conduct that take place in front of us. Especially if we are a child surrounded by our parent-s or caretaker-s, the hopefully relative stability of their behaviour could be a source of support to our demand for a resolution. So long as everything is happening around us in all appearance of normality, of some form of stability and enough consistency, we can manage to learn to be alone with ourselves in the presence of others, as English psychoanalyst Donald W. Winnicott put it. In fact, more distressing than not being able to respond is that we would not be responded back. A silence for the mind because, again, we are losing our ground. There is nothing to replace and fill our own paradox with. In the very case of the sensorimotor paradox, as our own hand cannot respond to us, even the imaginary response that we could give by producing memory images could not undo the situation : our hand won’t respond until we break the scene. We have to give it up.

In the same way, it is because we know that anyone is not supposed to respond to our constant sollicitations for interaction – although we learnt the ways to do it and the modalities of verbal exchange – that we have to compensate with overthinking the very fact that we had to condition ourselves on to the end of maintaining an appearance of ‘normal’ conduct. We cannot get constant volontary interactions and at the same time, we cannot let ourselves be with our own bodies in any way that would seem unfit to social expectations. We cannot vent our need for interaction by climbing on tables or dancing ecstatically in the streets without raising worry and suspicion, for example. We cannot address out loud the traumatic memory of being refused total expressive freedom in a certain social context – maybe sometimes for good reasons, especially when aggressive to others. So we have to channel that energy into thinking and mostly, phantasising the response that we would give to the violence of having to remain silent. The energy that we have to contain cannot be spent by simply interacting with our environments at will, as children do spontaneously. That energy has to go to compulsive thinking, that is irrational ; because thinking is rooted in the emotional, not the rational (that psychoanalytic theory and practice usually acknowledge, although often neglecting certain relations of power and constraint that push harder on some people). As it is compulsive and immediate, it is the first means that we tend to use to cover up trauma as soon as we have learnt that expressing our pain and distress could be responded and perceived negatively as annoying.

In a way, our early ancestors may have had to learn how to be alone in the presence of others with their own experience ; that is, having them as a limit to what we can express and thus, soon after, a likely substitute to the very primary paradox itself, in order to sustain the capacity for imagination. In the seek for a response, not knowing how to adequately express their awkward emotions to others, maybe that is where objects intervened, to make sense out of their urging hands, deriving attention onto something else ; that means, their fabrication, their invention, their appropriation into something personal and their elevation to the status of the artificial, and the way others can see them too – artefacts. The object is here, silent, transcends and marks the call.

V – Trapped into thinking

One thing that we could learn from the ideas mentioned above, is that maybe thinking functions mostly as a traumatic response to a form of aggression. We mostly think compulsively in a restless way. Getting a rest from one’s own thoughts is often difficult to acheive for many people, especially if the context and conditions in which they are living is precarious in some or several ways. The few moments where we get to make sense out of this constant flow of thoughts and think that we acheived a kind of stability are usually very brief and swiftly swept away by another movement of thoughts that gets out of our control. Thinking happens, mainly, out of a sense of instability. It is a way of engaging sensorimotricity by simulating it, to get a grasp back at our body’s situation out of an utter dizziness. Somehow, because of social self-control, the enaction of sensorimotricity, to a certain extent, can only be imaged mentally. Because of the control that we exercise over ourselves, we have to virtually evacuate the tension of not being free and able to respond spontaneously to our surrounding stimulations. Imagination is the escape from the neural blocking. We are trapped into thinking.

This is something that we tend to forget, notably in our Western societies and cultures, but we may have used to think a great deal more with our hands in the past than we are now. Our hands, as they progressively liberated themselves from mainly locomotor functions with the increase of bipedal stance, were one of the first means for us to relate, reach and explore what was surrounding us. They were our mediation to experience. Our hands are more intimate to our way of seeing the world than we like to think, not only because we use them or not (if or at least, when we can), but because they carry the epigenic memory of our agency. They are both control and relation, and if the sensorimotor theory developed here is correct, they may be at the core of some blueprint that made our mind. The difference now is that we have to learn faster to show less of them than we talk. We are, since birth, stimulated that way (René A. Spitz, 1965)40.

We are sollicitated, progressively in our socialisation as children, to replace active and physical enaction to actual situations with alternatives, some kind of distance and restraint, so to privilege speech, observation and conversation. Some gestural forms of expression are proscribed or regarded as socially inappropriate, sometimes regardless of the actual harm that they cause. As they are perceived negatively, we learn to control them and discart them. In a whole, it has to do with social class : the higher someone is in the social hierarchy – if we refer only to Western societies –, the more control they are supposed to have over their own body, that also means that the least physical effort should be dispensed. In a model of mass society based on the idea of the middle-class, which is supposed to aspire to what the upper-class has – even if an ersatz of it –, speech, social representation and the increasing pursuit of evading all physical effort which can be delegated, participate of masking our dependence on sensory and motor integrity and reliance. Body autonomy becomes a privilege. Then, it goes without saying that performing certain social norms of conduct is supposed to prevent us from being associated with any form of disability, that have a history of stigmatisation and social outcast.

Our sensorimotor memory is the first that we get to explore, that shapes the rest of our interactions. Our mental representations are rooted in those memories of engaging physically and emotionally, of speaking or actively participating, if only as a witness, to someone else’s speech or action. Even if we don’t consciously picture some action while thinking through formalised language, the effectiveness of speech and the sensation of control that it provides derive directly from sensorimotor engagement. Thinking and our ability to language come from speech that eventually, is enacted through and as a sensorimotor feat. Moreover, it creates and participates of a collective scene, as the act of speech is being taught and sanctioned by the authority and participation of others, their stimulation, approval and understanding of our attempts at speaking or not. By the act of thinking, we engage all that memory that is bodily and affective at the root. We seek that effectiveness that, we hope, should result back into the primary participation of others in the play of words.

In that light, we could say that trauma is what prevents us from doing or imagining to ourselves what we could not do or enact without exposing ourselves to harm. It conditions our perspectives, what we intimately keep as a knowledge of where we cannot go. So, all the constant flow of conscious thought is mostly conditioning us to absolutely not go there, to not bring back those memories of a certain kind of situations where we are and feel exposed, especially if we can’t voice our pain out. We usually think our thoughts through a voice that, on the contrary, seems to embody a certain kind of confidence, force and assertiveness, that would be able to erase and contain fear. They work as an imperative to not go there where it is not safe, where others might hurt us, but also an imperative to look and appear a certain way that comforts the preset order of things.

Trauma, again, is not the hurt. It is the constant effort to not be exposed again to the hurt. Trauma is all the mental and body conditioning that we carry in order to not find ourselves in the situation where we would be wrong, found offensive to others (even when their reaction is injustified) and disempowered. Trauma is the force and pressure to make things appear as positive and pro-active as possible, still in control and having us not likely to be told off by anyone and discarted from our agency. There is a lot of anguish in trauma as it is, for much of it, socially constructed, because there might not be that much safe (whether public or private) spaces for people to breathe out of it.

Threfore, thinking is not at all neutral. It is compulsive and for most of it, built over fear, sublimated and derived away from our body and mind’s harm. Not only that, but the fear of being harmed may be even less important than the fear of being found powerless, robbed of one’s agency and own projection into living. One field of experience that is interesting in that matter is the practices of BDSM. Though often regarded as a pathological mean to sublimate trauma (into the ‘sadomasochistic’ frame), what has mainly been discarted in that outside interpretation is the importance of consent within those practices. That means that trauma can, in non-abusive cases, be adressed within controlled boundaries (Simon Z. Weismantel, 2014)41. As Roxane Gay put it : ‘when you say, in some form or fashion, stop, the pain or humiliation or domination stops, no questions asked. […] There is nothing better than knowing the suffering can stop’.42

YouTube video maker and artist Kat Blaque made a series of videos on her experience of BDSM43 – notably as a Black trans person. She also stresses the fact that what matters most to her is the empowering agency that comes with the importance of consent, to be able to set the limit to what would be done or not to and with her own body. Pain there is mostly a sensation that can be experienced within a safe and predictable enough environment and with skilled and concerned partner-s – in best and proper cases. But, how much do we really consent to the terms of our inclusion or exclusion within most of social spaces in our daily lives ? That remains largely conflictual. In that context, the prevalence of the choice given to the practicioners over what is done to and with their bodies and in what conditions gives more clarity to the balance between pain and control, between aggression and agency. Is pain really the problem in trauma, or is it the incapacity to respond to it in a closing and meaningful way ?

Most of many people’s traumatic hurt comes less from the first physical and emotional pain than from the incapacity to mutually recognise and set boundaries to it, to the conditions in which the subject of their body and psychic integrity will be addressed with others. In such a taboo subject as incest and pedocriminality for instance, the incapacity for the victims to feel that they would be heard by others is far more alienating than resisting and bear resilience to the pain.44 The traumatic conditioning of our thoughts often comes with the anxiety over whether we would actually have the spaces and time to tell who we are, our experiences or at least, discuss the terms of any exchange that we might participate to when meeting with other people. That is also very pregnant in the critique of neurotypical norms, which mostly imply the implicit nature of the terms given to social interactions, even when they are not supposed to include any explicit consent, for they are deemed to go without saying.

In fact, the arbitrary classifications supposed to rule our interactions with the world and others are most of the time taken for granted. They help maintain what sociologist Charles Tilly called ‘durable inequalities’, should they be theoretically inconsistent, though structurally persistent and mediated by collective and inter-individual representations as well as social practices in rather different spaces and on different levels (Gayle Rubin, 2012)45. There can be a discrepency between the performance of social interactions, especially when contrived, and the social context and relations of power pressuring the individuals to act a certain way – as there would be, for instance, a difference between cinema and the actual relations of power or collaboration between the people producing it, as there is between representation and the institution. What matters in the end is the impact in the long run of both performance and the structural motives for those social practices, whether or not they are sanctioned and privileged by social hierarchies, and whether we are to participate and get to choose their terms. Every space has its own rules, and within those spaces, any relation should be as carefully and mutually decided and chosen, whether stigmatised or not.

But unfortunately, we have to limit the breadth of our own minds to what appears safest in a social context where consent is often carelessly disregarded and broken. In « The Careless Language of Sexual Violence », Roxane Gay again points out, on a subject mentioned above, that ‘Perhaps we too casually use the term « rape culture » to address the very specific problems that rise from a culture mired in sexual violence. Should we, instead, focus on « rapist culture » because decades of addressing « rape culture » has accomplished so little ?’46 It is something that is much discussed in feminist circles, that the mention of the perpetrators of assaults is often eluded and their victims held passively accountable for their own situation – as if it fell from the sky. In the way that we keep telling those stories and kind of event, we often focus on the result – the person that has been hurt – but, without an agent – the actual person that commited the assault, the ones who put the landmines out there. Here, ‘the language of pain operates through signs, which convey histories that involve injuries to bodies, at the same time as they conceal the presence or « work » of other bodies.’47 For example, we regularly count how many women and trans people have been murdered for the past years, but we are often unable to stress that it is mostly cisgender men who murdered and still murder them, that the problem is not the victims but the assaulters and a system of violence that supports them. How can we put limits to something that isn’t there, hardly summoned to the recollection, that doesn’t appear in the terms of our understanding ? What if the same story is told over and over with a whole where an action should be ? Narratives matter.

What there is to understand is that we live in universes of representation that accompagny each and any one of our movements and thoughts, and that we enact rather unconsciously at any moment. In that sense, Judith Butler’s idea of performativity is consistent with Francisco Varela’s of sensorimotor enaction. If pain, as philosopher Sara Ahmed recalls, has an object, is deeply subjective and complex and ‘is not simply the feeling that corresponds to bodily damage’48, though experienced through our body, so is our response to it in the short and long run. The recognition of pain as pain that ‘involves complex forms of association between sensations and other kinds of « feeling states »‘ underlines that it is inscribed in a world of meaning. We respond to it with means available to us from our current and ongoing experience, both solitary and relational. Our response may even inhibit certain sensations of pain in order to uphold its immediate consistency. It may even generate something more emotionally disturbing in itself than the previous sensory event.

The recognition of pain would also be, in that perspective, the recognition of the surface of our body being a source of contact and vulnerability to others out of our control. Indeed, our skin, the borders and surface that ‘[separate] us from others also [connect] us to others.’49 Sara Ahmed as well quotes from philosopher Drew Leder’s The Absent Body (1990), when suggesting that in the absence of pain, ‘the body is « absent » only because it is perpetually outside itself, caught up in a multitude of involvements with other people.’ Dysfunctions such as pain would draw back attention to the body itself, or else, intensify its awareness. Experience is a spectrum that has some of its aspects reinforced and others seemingly muted – or not signified in ways that could allow us and others to be acknowledged.

Those considerations are interesting, because of the paradoxical nature that we suggested of the human mind and the apprehension of pain within the structure of trauma. This apprehension comes to have us over-preparing, orientating and narrowing our own capacity to respond to various situations accordingly where our body would be exposed to others, whether physically or virtually. All the ways that we try to respond to pain or any sensory disruption would eventually form a consistent ensemble of apprehension through which we would try to navigate as safely as possible in relation to other bodies and beings – with and to which we also hold on an experience of interaction and response. The way that those interactions are framed into narratives shape the way that we would carry our own body into a world of possibility or impossibility, in full or lack of awareness of our constant adapting to its surroundings.

The response of others to our pain, whatever it might be, is still a response that we could work from in order to express some part of what we would need to express in that moment. At least we try, or submit to an incapacity to do so. This creates a network of possibility or impossibility for us to express what we feel in various spaces and times and in relation to the probability that others would show themselves available to a (hopefully) positive listening and response. In return, witnessing someone else’s pain can also be a moment when I can open up, being available and releasing control to those trusting us with their vulnerability or not. Sometimes, we are just waiting in the world for the moments when we can finally relinquish that control and open up to others in ways that we feel are impossible or unlikely in our daily lives. Lacking control over the latter makes us even more eager to seizing those moments where we could finally let out our urge to be heard. Pain is waiting, lingering and trying to connect and release its charge, if not constructively, at least compulsively. We may be only looking for solutions that would permit us to find that interactive and enacting contact again – what Sara Ahmed calls contingency, word that shares the same Latin root with the word contact (that is, contingere : com, with ; tangere, to touch).

But, the precise location of pain can be rather difficult to point out at times. It creates some mental environment of seeking and easing the source of the pain and all the process to that seeking that brings us to its relational, repositioning and narrative aspects. It comes to mediate our interactions with others in pervasive ways. When it cannot be told and seen in its continuity, it might find other ways to express itself in and through the body, coming in-between our relations to others and our own body. The perception of our own body becomes relative to those relations as sometimes, the response that we give is less about the pain than it is about mending the possibility that we could have shared our situatedness with a world of meaning that would have us evolve.

Can we possibly grow a space for that ?

VI – Of objects and subjects

The formation of an object of experience or thought depends much on whether we are projecting any sort of action to it or not. Objectification goes with instrumentalisation. It does, whether actualised and enacted or only left hanging as a retained potentiality and an imaginary projection. To turn an experience of another body (any kind of body, whether living or inert) or one’s own into an object of experience means that we project, at some point, some kind of motor development. Even if it is internalised, repressed or delayed, we apprehend objectified experiences through the very deep memory of enacting some possible sensorimotor engagement to it. To mentally grasp an object, a form, is to mobilise such a memory. We have been trained and training for so long since childhood that we may not even notice the substitution of the mental image for the actualised action – though it is there.

Hence, the sense of alienation when we face other people, that we cannot objectify and physically interact with them at our will so easily. We become subject to the inalienable part of their presence, as we are unable to move them according to what we expect, as far as we may try as children, teenagers or adults. When we talk about human phenomenology (the spontaneous analysis of perception), we cannot escape a complicated dialectic between an active or passive position that cannot exist. What we expect from others depends a lot on what we know may be expected from us, that affects our interaction with them. Alienation then becomes moral when we fail to let another be the subject of a relation at the same level as us, when the other fails to accept being a subject with us, or when we feel incapable of being worthy of participation ourselves other than as the object of someone else’s expectations. To be subject to something is somehow to accept receiving something that is else, that is other than ourselves into a shared world. Resisting this, for fear of failure, hurt and trauma, pushes us to react on the level of a protective reaction ; that is, on the level of trying to turn our experience, or any part of it into an object that we could act toward and somehow control – even if it means alienating the very other that we fail receiving or that fails us.

Of course, the balance is tenuous to the structure of dialogue : not a confrontation between two objects, but a shared space opened between two subjects that are open themselves to acceptance and to a gift of oneself. All the reactions born of fear, such as rejection, or hate, or the delusional desire of possessing somone else, objectify and alienate those other than us (should it be within our own conception of ourselves) that we cannot welcome nor be welcomed by. What we repress in ourselves is precisely what we cannot allow ourselves to be welcomed by, that is a feeling well-known by many minority-assigned people. Trauma lingers in-between, creating non-objects, irrealisable and forbidden objects to which we cannot act nor relate to, leaving only contrived possibilities around them. All objects around us appear in contrast to those that we cannot see or form, because enacting them would seem far too painful to bear. In the mean time, valuable shared spaces for dialogue, care and collaboration find their pathways collapsed under the weight of traumatic and often repeated and systemic hurt. We are subject to a trauma for having been the object of a hurt – that is the shock –, but all violence in human societies is systemic as it is born of intricated contexts. Violence is not random aggression : it is aggression or self-aggression out of a collective restraint.

Such is the matter of all life and experience, for trauma isn’t only about the big things that hurt us the most as it is also about all the little things, all the small encounters and situations of contact that continuously shape our perception of the world around and push us to change and transform. Trauma is never linear, for experience is the least linear thing. Such an idea is at the core of most Buddhist traditions and is also a motive to question the categories in which we encapsulate reality and compartmentalise our failures at being subjects of balanced dialogue into objects of control. From this sense of what is in our hands, we could do much. We could, for example, degender our relation to our own bodies and others’, as advocated by non-binary writer and performer Alok Vaid Menon, as well as we could try to heal the traumatic fabric that tears our societies apart. We could step out of a binary between nature and culture, the urban world and the other ecosystems for an intricated perception and comprehension of what and where we are. But, unacknowledged pain still creates new objects for a delusion of control that we never had.

This is to understand that pain alienates us and others when we are not capable and willing to accept that being a subject is to let relations happen with bodies, ideas and perspectives that we cannot control and might not understand fully. But it is not more about optimal adaptation and appropriation. The boundaries that we can set are those that could help each part of the encounter accept that a shared space needs two subjects, and that neither is to be the object of the other without their share of consent. It is then about being open enough so to be able to let other than us happen, with the trust that they would do the same.

We exist as much as we are let to be. Now, let us make it mutual.

Of course, when we talk about trauma saying that it can be tied to the slightest experience of contact, it doesn’t mean that all trauma has the same ‘value’ or impact, but that it differs mostly in degree. Trauma is not equally invalidating or not. It is relative to the wound, that can have various proportions and degrees of severity. However, a severe wound doesn’t necessarily mean a severe trauma. It depends on whether or not the person can or cannot face it and go through its altering effects.

One can make more sense out of a grave injury than of less self-evident but deeper motives for desperation and helplessness. The whole mythology of the hero is based on that pattern. Trauma, in fact, is more about a collapse in perspective than it is about pain itself. Pain is mostly an organising sensation, whether occuring next to a physical encounter or a strictly internal motion or memory. In some sort of way, pain is but a situated memory of the body being imprinted into neural connections. It doesn’t tell much yet about the position of the individual toward the experience of pain – that tells the trauma. We saw earlier that the practice and culture of BDSM specifically allows a high degree of pain to be supported within a consensual system of projection, perspective and support that integrates pain as a consistent part of its sustainability. It is because we know that pain can end that it should not evolve into trauma. Because trauma is about how one can project themselves into enacting their own alternative perspectives inside of a set context that would make enough sense within ; or on the contrary, how one would find themselves unable to have those perspective and meaning formed in the first place. You cannot conceive a path in trauma, only create derogatory ones around it.

Trauma forms around that collapse in possibilities, which suddenly stop seeming within our reach, but out of touch. From there, we are forced to find new ways and shape new perspectives, but that demands work and the capacity to change or at least, to do with the resources available at the time. We often do things by default, for changing oneself can imply facing an adverse environment. That is why trauma is political. The objects that we have around us that we feel able to use and relate to are often the ones toward which we have less fear of being punished for. We build dependence over micro-sanctuaries, things that we like or are only able to eat or watch or do compulsively because outside of those spaces, many other things are difficult.

As pointed out by Darian Leader in Hands, the micro-space of our own hands forms one of such primary sanctuaries – maybe the first –, that can then welcome other objects. From that, we have a measure of our own limits. It can be hurtful, as it can be a start in order to build something else. Within such spaces, we become subjects to our own insecurities, which can be built and reinforced by structural forces, both external and internal. Those insecurities are often tied to experiences that involve some surrounding environment in the face of which we feel hampered or crippled. Crip theory is by the way a salvatory tool to imagine new spaces and times for our relations to them to be reconfigured through the experience of trauma as a private and collective issue as well. Trauma is then less about living with oneself in pain than it is about living with oneself amongst other people, in a network of relation within which we struggle to fit. It tells more about rejection and helplessness in the face of the ultimate perspective of institutionalisation and the denial of basic rights, than it informs us about what a person could do or not on their own and with the adequate support.

In the end, it is always a matter of having internalised the one perspective of being denied a voice of our own and the deprivation of the right to self-actualise and self-determine, despite all prescriptions. It is about casting upon someone a version of themselves from which it has been prescribed that they could never leave or change. It is about stating as an unalterable fact that one could or could not possibly evolve, even if we let them. It is about not even caring that anyone could.

Such is trauma, as a hermeneutic and moral issue, that means that some people are not supposed to grow out of a certain depiction of themselves where they are hurt, hurtful to others or dependent on someone or something else’s presence, that they should be stuck there forever. Can we change from our pain if we don’t allow others to change from the pain that they have done, yet, whatever their gravity ? Trauma is something woven, around which we grow the rest of our selves’ possibilities that are available and doable, until the memory of the pain is outgrown and we have to break up with the fear of that pain. But, can we do that if we know that some others won’t be able to because they are not supposed to ? It is a narrative, but we are not its only writers. We are, somehow, somewhere, part of a same story and memory, only through different angles. It eventually brings up the complicated notion of justice and whether it should be retributive and individual or not.

If the only response to trauma is a pay back, how could we ever change our collective imagination without the perspective of mutual hurt as a fatality ? Ultimately, the theory of anthropogenesis that we suggested brings an interesting response to that question : there will always be an unbalance, that is part of how maintaining humanhood would work ; but we still need to address all the intricated ways in which we are pressured and keep pressure on ourselves and others in return, whether directly or indirectly by our actions. It is counter-productive – if it ever should be productive – to try to resolve issues of power, trauma and justice by seeking an immediate sanction that would absolve us from the ongoing and collective work of healing.

We can have a better understanding of stable structures than we have of the immediate reactions that they sollicitate from us. We need a clear way in order to experience the present moment. To focus on whether or not we participate to structures of power and oppression and in what measure is far more stabilising to the body and mind than seeking for short-term reactions to provocations. It is not easy, because we are not all in a position of material and moral security that can allow that. Our relation to our own body can be an unfathomable trap – that is the paradox – within which we can rapidly lose ground. Because our main daily effort and energy goes to standing and sustaining predictable conducts, working with clear and readable structures for analysing the world that we live in and participate of is a good way to navigate all the uncertainties that lie ahead.

Reproducing formalised patterns of behaviour to look alike amongst others and avoid rejection is but one of the ways in which we try to forget and obliviate how much we broke our own bodies into a social mimic, or alienation for those who can’t. Social and cultural reproduction would not be a problem in itself, if it weren’t for the possibility or not of a choice. The possibility of choice is often constraint and broken by relations of power, pressure to conform and trauma. We internalise social norms as a source of possible danger, whether or not we benefit from them to some extent.

Justice should, in a sense, be mostly about being able to make our own choices and that it should be a mutual and reciprocal basic right. We have to be regulated. Our whole existence being rooted in a sensorimotor disruption calls for regulation. But, sole externally-based regulation, one that works from the threat of exclusion, is not the same thing as teaching and accompanying living beings into being able to self-regulate their insecurities and open to actively listen and understand, or at the very least accept other people’s perspectives. Such a structure as the idea of a proscriptive conception of making society and thinking oneself amongst others is, for example, one very simple way and structure through which to envision our place in a shared world. It goes with understanding that someone hurting you may simply be reacting to a universe of hurt. It doesn’t diminish the impact and gravity of their actions towards you, but it also tells very much about how we are made unable to perceive ourselves outside of a network of hurt and reaction that engage our compelled responsability – trapped in a cycle of direct or indirect retribution and with our own limitations, that being stigmatised instead of being acknowledged as a start from which to work and grow.

 

A way to conclude

We are constantly making some mental effort to remember the world that we live in and what is expected from us inside of it. Understandably, we don’t want to be caught off guard. We want to be prepared to drive away in advance any reason to be told off and brutalised. We know that our univserse of action is dependent on the world of understanding that is generally shared or at least, that most people are encouraged to perform. It may be alienating, but there is much at stake. Not performing the right conduct or response, what is socially taken as being the ‘right way’ to live and express oneself, can lead to harsh consequences. For some, it may lead to death. It is as simple and plain as that. The stakes can be very high ultimately, indeed.

We often forget that when we consider the activity of our human mind that we are not – as intersectional analysis never cease to stress – born out of a vacuum world. We are born out of pressure, since the moment that we are pushed away into the clear air, and though there are some forces that try to soften the weight of that pressure, with as much love and care as there can be, this pressure still orientates the way that we evolve in the world that we manage then to perceive. Most of us try to be seen in a positive and valued light, in spite of what it may cost to attract that light, some kind of care. Many of us struggle to know how. Many others try to pretend otherwise.

Imagine how it could have felt to be on the edge of something as disturbing as conceiving an object of imagination to the mind, before there was even a first human community, before there was any formalised and symbolic structure for language. What to do with such an overwhelming feeling of being related to something else than us that could suddenly bear some part of us that no one else could possibly know about ? How could we be our first of worlds ? This kind of imprint, in the sense of Ellen Dissanayake’s work, is at the heart of what we seek : creating connection. But, the connection is fragile, it is delicate. It is a perfect vulnerability.

There are only two absolutes : that we live and experience, and that we die. Within that measure is the desperate seek for meaningful encounters, with any beings or feel-like beings, so that we feel alive – or that it feels like we are living. However, we also depend on material sustenance, and we depend much on others, and if we are to be excluded from others, we might get lost. There is this pressure of not getting lost, because everyone fears that. Seeing someone lost reminds us of feeling lost ourselves with them : we lose the map. One second of distraction from that constant effort to keep our mind mapped within our socially-based response system is enough to feel a sudden loss of ground. What if we are never capable of coming back to the common world that conceived us as valid-enough beings to be let wandering, unasked ? In what world are we living in that could ask us to justify that we do try to keep on living without further questioning of our rightful belonging ? What kind of clue are we to give in to testify of that right ?

Our constant stream of though and self-imagination is the most dreadful way through which we try to keep the compass. Our ability to think is not a merry road, but a condition. It is of terror and hurt of being left alone in the wild or desert land that we try to surround ourselves in imagination with some kind of security and certainty, of a grasp on reality, from figures of inspiration that seem to embody the confidence that we wished that we had and that sometimes is past onto us or given away. Somehow, if we are lucky, there are beings that love us enough to give us that. Then, if we didn’t acknowledge that we are terrified, would we really be ‘human’ and need the love that fosters our imagination, for the better or worse ? And by what kind of magic trick are we made to convince ourselves that we are in control, though that form and figuration of control is but a wishful performance that we play on and on in our own head to keep us on track ? Are we really so sure that it will all be okay ? And if it is in some measure, to what cost if we don’t challenge all the unnecessary crushing over our heads ?

Somehow, we need to let go. We need to take that moment, to pounder the fact that we will never clear out the fracture from which we grew a mind and soul. And that is alright. We are a paradox at heart. Let us be proud of being alive anyway. We may not always know what keeps us alive, but that is okay too. All that we should resolve ourselves to do, is to work on releasing the pressure points that are in and out of ourselves. Some are little. Some are driving our whole societies to a point where there seems to be only to forsee a brutal end. As philosopher Hannah Arendt said, we have to learn how to move in the breach (Between Past and Future, 1968), but we could also fight for more than settling for the slightest piece of dignity. Which ever way, we are here to stay, for a while. So, it better be good. Let us sit down for a moment. Let us breathe. Let us take that hands of our own that would say that we will work together. Let us be resolute that we will never solve the unsolvable of our mind. Let us just walk round it for a while, and that will be good enough. Let us set a centre to dance for.

Or finally, let us try to make society all together again.

2In Gerald M. Edelman, The Remembered Present : a Biological Theory of Consciousness, Basic Books, New York, 1989.

3Read Ellen Dissanayake, « The Artification Hypothesis and Its Relevance to Cognitive Science, Evolutionary Aesthetics, and Neuroaesthetic », Cognitive Semiotics, Issue 5 (Fall 2009).

4Which happens to be more relevant as a criterium for our evolution than the size of our brain. Read André Leroi-Gourhan, Le Geste et la Parole – Tome I : Technique et language, Ed. Albin Michel, 1964.

5On our strange relation to our hands, read Darian Leader, Hands, Hamish Hamilton, 2016.

6The ‘cis’ prefix stands for ‘cisgender’, as opposed to ‘transgender’. A cisgender person broadly identifies without discomfort with the gender assigned to their body at birth. It is a matter of fact that the gender binary canvas as a mean for rigid identification was very much imposed throughout the extension of Western and capitalist societies during the colonial and industrial era. The ‘rectification’ and uniformisation set onto the diversity of gender expressions as to shape them according to Christian but also medical, social and political normative views impacted as much pre-colonial societies in the other continents as the European ones (read Alok Vaid-Menon’s Beyond the Gender Binary, London – Penguin, 2020 ; Lexie’s book Une Histoire de Genre : Guide pour comprendre et défendre les transidentités, Paris – Marabout, 2021 ; or the collective work directed by Michaëla Danjé, AfroTrans, Paris – Cases Rebelles, 2021).

7In F. Varela, E. Thompson & E. Rosch, The Embodied Mind, Cognitive Science and Human Experience, MIT Press, 1991.

8In Konrad Lorenz, Les fondements de l’éthologie, Paris – Flammarion, 2009 (1978).

9In Thomas Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, University of Chicago Press, 4th Edition, 2012 (1962).

10‘Neurotypical’ means the way that uses and norms of social interaction are standardised in a way that benefit people at ease with certain social capacities, but harm people who can’t perform them without an additional effort.

11In Donna Haraway, « A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist-
Feminism in the Late Twentieth Century », in
Simians, Cyborgs and Women: The
Reinvention of Nature
, New York – Routledge, 1991, pp.149-181.

12A salute to Abigail Thorne and her Philosophy Tube YouTube channel.

13Read Pierre Bourdieu, Sur l’État, Cours au Collège de France (1989-1992), Paris – Seuil, 2012.

14This motivated German-American philosopher Hannah Arendt, in her analysis of the Eichmann trial, to say that there was a ‘banality of evil’ in the way that Nazi’s ‘Final Solution’ had been orchestrated so to assign every protagonist to a specific part of the chain of command and make them able to keep themselves unaware of their responsability.

15Read Charlotte Puiseux, « Criper la théorie queer : un nouvel enjeu des études sur le handicap », 2015, https://charlottepuiseux.weebly.com/alter2015.html .

16Read Judith Butler, Gender Trouble, Feminism and the Subversion of Identity, New York – Routledge, 1990.

17Read Delphine Montera’s work on social medias (@Autistequeer_le_docu), on the connection between ableism, cisheteronormativiy and the practice of psychiatry.

18« J. K. Rowling », on her channel ContraPoints, January 26th 2021.

19Read « 2021 on pace to be deadliest yet for trans and gender non-conforming Americans », The Guardian, June 14th 2021, https://www.theguardian.com/world/2021/jun/14/us-trans-transgender-deaths-2021 .

20Read « At least 331 human rights defenders were murdered in 2020, reports find », The Guardian, February 11th 2021, https://www.theguardian.com/global-development/2021/feb/11/human-rights-defenders-murder-2020-report .

21Read Audre Lorde, « The Master’s Tools won’t Dismantle the Master’s House », Your Silence Will Not Protect You, London – Silver Press, 2017.

22Read A. Fabbri, A. Lai, Q. Grundy & L. A. Bero, « The Influence of Industry Sponsorship on the Research Agenda : A Scoping Review », Am J Public Health, November 2018, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6187765/ .

23Read « Isabelle Stengers. Philosophie activiste, récits spéculatifs et ouverture des possibles », Le Carnet et les Instants, https://le-carnet-et-les-instants.net/archives/entretien-avec-isabelle-stengers/?cn-reloaded=1 . My translation.

24Read, for instance, Deborah Tollefsen, « The Rationality of Collective Guilt », Midwest Studies in Philosophy, XXX, 2006.

25Read Sara Ahmed, The Cultural Politics of Emotion, Edinburgh University Press, 2004.

26She also refers to anthropologist Patrick Wolfe’s work, p. 2.

27Read James Baldwin / Raoul Peck, I Am Not Your Negro, New York – Penguin Random House, 2017.

28Natalie Wynn called that the ‘proximity effect’, on her Contrapoints episode on « Envy », https://www.youtube.com/watch?v=aPhrTOg1RUk .

29French-speaking people may listen to the Kiffe Ta Race podcast episode #49, « 2020 : Et l’on découvrit le racisme made in France », where Black French scholar Maboula Soumahoro tracks back this process, https://soundcloud.com/kiffe-ta-race/49-2020-et-lon-decouvrit-le-racisme-made-in-france .

30Mia Mulder’s YouTube video « What If Psychiatry Is Fake ? » is an interesting introduction to the subject of social conditioning in mental illness and psychiatry issues, https://www.youtube.com/watch?v=YK7M1NReCAI .

32See Nicholas Metcalf, « Why We Need Gender Fluidity », TEDxUMN, august 6th 2015, on YouTube. The transcript can be found here : https://www.coursehero.com/file/102057755/PSY-211-Transcript-for-Why-We-Need-Gender-Fluiditydocx/ .

33Read Lexie or Michaëla Danjé’s introductive work on those matters in the books quoted above (in French).

34In his 1965 debate speech at Cambridge University’s Union Hall, https://youtu.be/oFeoS41xe7w .

35In Roxane Gay, « The Careless Language of Sexual Violence », Bad Feminist, Great Britain – Corsair, 2014, p. 132.

36See American psychologist Mark Epstein’s presentation « Working with Trauma: Integrating Psychotherapy and Mindfulness » at the Family Action Network, January 23rd 2018, https://www.youtube.com/watch?v=bJuWsiBQnZI .

37Op. cit., p. 136.

38In the main Buddhist traditions of Theravāda and Mahāyāna, one of the central ideas is that even one’s own self cannot be consistent with any essential entity. It only appears as a delusional fabrication that would be tied to its objects of identification. One’s own name would, for instance, be such an object bringing the illusion of a stable identity, because of its recurrence, while all of our experiences are constantly changing, being born and let go of. ‘What we call a « being », an « individual » or « me », is a convenient word, a label that we attach to the combination of the five [constituents of experience, called the Five Aggregates].’ (The Five Aggregates being : Matter, Sensations, Perceptions, Mental Formations and Conscious. In this sense, the core of Bouddhist philosophy is based on a phenomenological approach that does not necessarily resort to the belief in any external and invisible deity.) In Walpola Rahula, L’enseignement du Bouddha, Paris – Seuil, 1961, p. 45. My translation.

39In his book Hands cited above.

40 In René A. Spitz, De la naissance à la parole : La première année de la vie, ed. Puf, coll. « Bibliothèque de la psychanalyse », 1965.

41 In Simon Z. Weismantel, « From sadomasochism to BDSM : rethinking object relations theorizing through queer theory and sex-positive feminism », Smith College, 2014.

42In « Dear Young Ladies Who Love Chris Brown So Much They Would Let Him Beat Them », op. cit., p.184.

43In her playlist « Sex Positivity and Trauma ».

44Listen, for instance, to Charlotte Pudlowski’s podcast « Ou peut-être une nuit », Louie Media, 2020 ; or Axelle Jah Njiké’s « La Fille sur le Canapé », Nouvelles Ecoutes, 2020.

45 Gayle Rubin, « Une conversation avec Gayle Rubin », realised and translated by Rostom Mesli, in Raisons Politiques, 2012/2 (n°46), pp. 131-173.

46Op. cit., p. 133.

47In Sara Ahmed, op. cit., pp. 20-21.

48Ibid., p. 23.

49Ibid., p. 25.

Annexe – L’autisme en écho

Les travaux sur le validisme menés notamment par les associations et collectifs (comme CLE-Autistes) et les comptes de sensibilisation handis démontrent le rapport plus large entretenu entre les structures de répartition inégalitaire des espaces de pouvoir et les critères normatifs concernant les corps aptes à y accéder. Que ce soit sur des critères morphologiques, d’aptitudes physique, psychique et/ou sociale, immédiatement visibles ou pas, on voit à quel point ces données se croisent avec les autres critères usuels de discrimination relatifs au genre, à la race, à la classe sociale, à la sexualité, … Au final, tous ces facteurs tendent à se recouper à travers la capacité des individu-e-s concerné-e-s à porter une certaine performance sociale, politiquement majoritaire, ou du moins, à s’y adapter.

En ce qui concerne l’autisme, l’effort de sur-adaptation se trouve être, selon Delphine Montera (@autistequeer_le_docu), un des marqueurs de l’expérience du validisme, de par la fatigue et la détresse qu’il génère. Il s’agit d’un effort de sur-compensation déployé pour, d’une certaine manière, « coller à la norme » et effacer l’écart d’avec les modalités propres d’interaction et d’expérience des personnes autistes. Celles-ci sont largement dévalorisées socialement et sommées d’être corrigées – à moins d’être objectifiées pour leurs qualités spectaculaires, touchant les personnes autistes démontrant des capacités de travail hautes dans un ou plusieurs domaines. Les termes de neuroatypie et de neurodivergence sont ainsi apparus pour défendre le droit des personnes concernées à être et leur parfaite viabilité dans un contexte d’autonomie. Cette autonomie ne peut se réaliser que dans une transformation des infrastructures sociales souvent inadaptées à ces autres modalités d’approche des environnements perçus et d’expérience, à la fois au niveau sensoriel, émotionnel et social.

L’expérience autiste expose ainsi le caractère hautement normatif et performatif des ensemble sociaux, dont l’éducation des enfants et futur-e-s adultes est basée sur leur capacité à les reproduire. Cette capacité à reproduire les schémas de comportement et de réponse à des situations données structure l’apprentissage du langage par rapport aux mémoires intrinsèques et traumatiques façonnant l’expérience et les ensembles perceptifs (voire le travail de Francisco Varela sur la sensorimotricité et le concept d’énaction). Face à une rencontre traumatique, quel que soit son degré, on apprend les modes de réponse adaptés en fonction de l’expérience (faire des erreurs et en apprendre) et d’un certain contexte social (la manière dont on est encouragé-e ou découragé-e à agir de telle ou telle manière1), lesquels sont hétérogènes mais interagissent avec d’autres plus ou moins larges et de façon plus ou moins cohérente.

La base des systèmes sociaux dits neurotypiques relève donc la sauvegarde d’un certain ordre qui constitue l’organisation des espaces de pouvoir dans nos sociétés, à travers le caractère implicite des facteurs normatifs et des ensembles symboliques qu’ils créent et maintiennent. Il est capital que ces facteurs normatifs passent pour la norme, et plus pour ce qui constitue la « normalité », sans laquelle idée le caractère légitime et équitable de cette organisation serait plus facile à remettre en question. Les individu-e-s sont sommé-e-s de s’adapter à ces ensembles, soumis à des hiérarchies de pouvoir rigides, et non le contraire. Le maintien de la structure comme structure se proposant comme ayant suffisamment duré pour perdurer et ne souffrant pas d’alternative « viable » ou « réaliste », prime sur les revendication assignées à la minorité. Celles-ci subissent de manière plus ou moins visible le poids des inégalités structurelles. Exposer des expériences et des modalités différentes d’appréhension des environnements perçus revient à la fois à exposer le caractère arbitraire et univoque de l’ordre social, ses enjeux de conservation du pouvoir et en même temps, ses responsabilités collectives et individuelles. Nous constituons les espaces sociaux que nous laissons se perpétuer, quels que soient les dommages qu’ils occasionnent – comme on a pu le voir précédemment avec la question de l’inceste, qui n’est pas la seule à briser les personnes censées se montrer reconnaissantes de leur « protection ».

Le trauma en écho

On note et désigne souvent les activités de stimulation sensorielle (stimming) chez les personnes autistes, sous forme de balancements, gestes ou paroles répétitives, comme l’un des traits saillants de la conduite autistique mais aussi, malheureusement, de sa caricature.2 Or, ce qu’indique la nécessité de ces stimulations pour les personnes autistes, c’est l’inadéquation des sollicitations sensorielles et/ou sociales autour d’elleux d’avec les modalités d’interaction et d’expérience qui leur sont propres et confortables. La réponse sociale prescrite par ces environnements n’est pas spontanée ni facile à suivre et demande un effort de préparation et de sur-adaptation. Derrière cet effort, il y a la mémoire traumatique d’une menace, ce qu’en psychologie sociale on appelle l’effet de menace du stéréotype, et la tentative de gommer les traits susceptibles de la provoquer, en adoptant une conduite satisfaisant aux demandes majoritaires.

Dans un modèle capacitiste et univoque, les personnes autistes ont en effet souvent été ramenées à leur prétendue incapacité à répondre à des critères de performance, que celle-ci soit dite intellectuelle ou purement sociale. Ce chemin univoque prescrit par une certaine conduite de la société et structurée par les notions de travail et d’obéissance, est fortement remis en question par une perspective autistique, notamment autour de la question du sens et du pourquoi, en étroit lien avec le champ émotionnel, comme le souligne régulièrement Delphine Montera. On perçoit généralement les personnes autistes comme vivant dans un monde fermé, coupé des autres, pour la simple raison qu’elles ne répondent pas aux sollicitations de façon immédiate, sous le registre de l’obéissance, selon des schémas prescrits socialement et censés apporter la preuve de l’appartenance et de la souscription au modèle dominant, garantissant sa protection. Or, au contraire, le monde autiste est un monde ouvert, et notamment ouvert à la fois au sens et aux émotions, dans la diversité des champs qu’ils ouvrent. C’est justement parce que ce monde-là est ouvert que les sollicitations dominantes – c’est-à-dire se revendiquant d’une plus haute raison sociale – posent question aux personnes autistes, de façon souvent brutale.

La difficulté à réécrire cette expérience brutale des autres et son trauma dans une conduite socialement codifiée peut être compensée par l’imitation et la performation approximatives des conduites que les personnes concernées supposent qu’on attend d’elles. Néanmoins, l’expérience traumatique et sa mémoire en elles-mêmes ne sont pas adressées dans cette réponse, mais masquées. Il y a donc un effet de « revient », d’écho de cette mémoire non-adressée à l’autre ou non-entendue, qui revient et ne peut être dérivée dans un échelonnage de la dette morale contractée vis-à-vis de l’autorité de l’autre – en d’autres mots, l’incapacité de répondre à la demande véritable de l’autre à adhérer et faire partie du champ social, interprétatif et symbolique où iel croit devoir nous situer.

Se situer

Le stimming, ou en français, l’activité d’auto-stimulation investie par de nombreuses personnes autistes, sert donc, à défaut d’une entente et d’un accord sur les modalités de l’échange et du dialogue, à amoindrir, à « découper » le poids de cette charge sociale imposée par l’autre, parfois sans en avoir pleinement conscience. Car les moyens de cette conscience ne sont pas investis et constamment niés. Comme l’explique l’enseignante chercheuse Mame-Fatou Niang à propos du racisme en France, il est moins question d’être une personne porteuse d’une oppression (par exemple, d’être raciste) que d’avoir potentiellement une force d’oppression en soi qui est avant tout une donnée contextuelle, dont il faut avoir conscience. De là, « Il est de notre devoir de questionner ces silences dans notre langue [relativement à ces questions], de sonder les principes et valeurs qui nous ont été inculqués (ou cachés). Il y a urgence à examiner ce qui est dit, mais aussi ce qui ne l’est pas, d’éclairer ces coins de nos histoires qui languissent à l’ombre, de mettre en perspectives les préjugés et les amnésies institutionnalisées. »3

Dans le cas présent, il s’agit moins de cantonner des conduites d’auto-secours comme l’auto-stimulation à une « essence » de l’expérience autistique que de les considérer pour ce qu’elles sont : un moyen de calmer une détresse et une anxiété, générées par un ensemble de contraintes liées à l’organisation de nos sociétés, et ce à défaut de la possibilité d’élaborer ses propres stratégies d’interaction avec ses environnements perçus dans un contexte traumatique pour la personne. Cet auto-secours intervient face à la violence implicite portée par un certain ordre social enjoignant les individu-e-s à souscrire à un modèle dominant de performance sociale en vue d’assurer sa subsistance, sous peine d’une exclusion partielle ou totale. De la même manière, l’injonction à l’oralisation démontre une dévalorisation des autres vecteurs de la communication, du partage d’expérience et de l’échange, comme les vecteurs gestuels et sensoriels. Cette injonction affecte le rapport aux espaces de création et de réinvention de soi en dialogue et en participation avec les structures collectives.

Les réflexions minoritaires soulignent les contextes d’émergence du discours et l’impossibilité de les dissocier de sa dimension collective. On ne porte pas seulement un discours, mais le monde d’interprétation et de sens qu’il porte avec lui (Paul Ricœur, Écrits et conférences 2 : Herméneutique, 2010). L’expérience autistique reflète l’arbitraire des modalités d’expérience et d’interaction qui sont données pour acquises dans un contexte d’interprétation, de lecture et de narration élaborées à partir de schémas orientés politiquement et socialement, et leur violence structurelle. Il y a aussi, là-dedans, une demande de réponse quant aux raisons pour laquelle la manière d’être des personnes autistes serait si inconvenante à la marche de nos sociétés, et pourquoi celle-ci devrait se diriger dans une telle voie – exclusive – plutôt qu’une autre.

1Et ce dès les premiers mois de la vie, selon le psychologue René A. Spitz (De la naissance à la parole, 1968).

2Evan, du compte Instagram de sensibilisation T’as pas l’air autiste, a tout récemment réagi au sketch des youtubeurs Le Monde à l’Envers, « Mariage au Premier Regard » et à sa parodie d’une personne autiste

3In Mame-Fatou Niang et Maboula Soumahoro, « DU BESOIN DE TRADUIRE ET D’ANCRER L’EXPERIENCE NOIRE DANS L’HEXAGONE », Africultures, Janvier 2019. Vous pouvez également écouter son intervention dans l’épisode 59 du podcast Kiffe Ta Race, sur Binge Audio.

Écoute, trauma, validisme et psychophobie

TW : violences intrafamiliales, pédocriminalité, inceste

À la suite de travaux militants sur des thématiques diverses comme le validisme et les questions queer (voir @austistequeer_le_docu par Delphine Montera et @tas_pas_lair_autiste par Evan) ou la pédocriminalité et les violences intrafamiliales et intracommunautaires (« Ou peut-être une nuit » de Charlotte Pudlowski chez Louie Média, « La fille sur le canapé » d’Axelle Jah Njiké chez Nouvelles Écoutes), nous avons décidé d’aborder la question du trauma sous l’angle politique du traumatisme comme valeur sociale. Dans quelle mesure la parole des personnes victimes de violences peut être dénigrée sous le seul prétexte que le traumatisme altèrerait leur jugement ? Quelle hiérarchie dans le rapport au discours et à la vérité cela suppose-t-il ? Dans quelle mesure la prescription d’une violence et d’un choc traumatiques peut être une arme politique et comment analyser la parole des victimes en ce sens ?

Un des fondements de la théorie du paradoxe sensorimoteur repose sur la généralisation du trauma. On y définit le trauma par tout ce qui marque l’altérité et laisse son empreinte sur sa perception du monde. On y intègre ainsi autant les chocs et rencontres violentes que la plus infime impression sensorielle, dont la marque oblige l’organisme à revoir ses stratégies, à se réorganiser et à s’adapter à cette reconfiguration du monde perçu (ce qu’en philosophie on désigne par le concept d’événement, comme l’explique Étienne Bimbenet, dans L’animal que je ne suis plus, 2011). Le trauma et son élaboration se font ainsi autour de la mémoire traumatique, du contact avec autre, laquelle est inaccessible sans réactiver le lieu d’une mémoire émotionnelle et sensorielle souvent difficile à supporter et à soutenir. Le moment de contact lui-même, dans son intensité, est difficile à se formuler à sa propre remémoration. Il fait partie du champ de l’indicible et ne peut ainsi faire l’objet que d’un contournement, d’une paraphrase, le flou. On parlera, par exemple, de « partie intime » pour parler du sexe, où la pudeur cache mal une gêne plus profonde.

Il n’y a pas de saut catastrophique

Nous pouvons reprendre les termes du neurobiologiste chilien Francisco Varela, chez qui nous avons déjà puisé nombre d’outils conceptuels, à propos de l’évolution des espèces.1 Selon lui, il n’y aurait pas de « saut catastrophique » entre les modalités d’expérience d’un gorille ou d’un chien, par exemple, et la nôtre. Toustes trois possédons une expérience riche dont la mémoire constitue nos modalités d’interaction avec notre monde perçu de façon singulière. Cela est dû à la vision de l’évolution qu’il propose, avec Evan Thompson et Eleanor Rosch, dans l’ouvrage collectif L’inscription corporelle de l’esprit, dès 1991. Selon lui, il faudrait sortir d’une vision prescriptive de l’évolution qui viserait à l’adaptation optimale des individu-e-s de l’espèce à des critères fixes donnés d’avance, pour l’aborder, au contraire, selon un mode proscriptive : à partir du moment où la survie et la reproduction de l’espèce sont assurées, les individu-e-s « bricolent » leurs propres modalités d’interaction avec leur monde perçu. Il n’y a aucune urgence à ce qu’iels s’adaptent de manière optimale à des critères évalués a posteriori dans une perspective d’explication et de contrôle. Cette perspective cache une partialité de point de vue qui place l’espèce humaine en haut de l’échelle évolutive et subordonne les autres à son autorité supposée, de fait ou de nature. Les luttes anti-spécistes et éco-féministes tendent à remettre, en ce sens, notre espèce dans une plus juste relation avec les autres espèces et dans son interdépendance d’avec les écosystèmes terrestres.

Car la vision prescriptive, nous l’avons vu dans de précédents articles, s’inscrit dans une visée politique de contrôle, établissant des hiérarchies entre les individu-e-s, les espèces et les groupes sociaux tels qu’ils se sont formés dans le contexte particulier de nos sociétés « impérialistes, suprémacistes blanches, capitaliste et patriarcales », pour reprendre encore une fois l’expression de l’universitaire américaine bell hooks. Nous avons déjà discuté de ses fondements sexistes, racistes mais aussi validistes, sur lesquels nous allons revenir. Car s’il n’y avait pas lieu de préscrire une conduite adaptative optimale aux individu-e-s, cela supposerait l’équité et l’horizontalité dans la prise en compte de l’expérience de chacun-e. Or, nous assistons régulièrement à la dévalorisation des paroles assignées à la minorité, et ce également de la part des institutions (administration, hôpital, police, …). S’il n’y a pas de « saut catastrophique », en terme de qualité, entre une expérience sensorielle en apparence bénigne et un choc violent, mais seulement en terme d’intensité et surtout, de possibilité de transformation et d’échange, toute expérience est saisie entre les limites de catégories socio-symboliques, fondées par leur dimension politique : qui a accès à la parole et à sa réception ?

Conditions structurelles et dynamiques opportunistes

Ce que révèle le travail de Charlotte Padlowski sur l’inceste et les violences intrafamiliales, dans son podcast Ou peut-être une nuit, c’est que l’élaboration du trauma incestueux et sa prescription font partie d’une dynamique de réaffirmation des hiérarchies de pouvoir, notamment patriarcal, au sein de la structure familiale. Celle-ci rentre en résonance avec les structures sociales dans lesquelles elle s’inscrit, d’où le tabou que l’inceste soulève. Nos sociétés occidentales, notamment, ont fondé et continuent de fonder autant leur ordre sur la réalité structurelle et tue de l’inceste et des violences intrafamiliales – dont on continue de nier l’ampleur (selon l’OMS en 2014, 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13 avant 18 ans seraient concerné-e-s dans le monde ; 1 français-e sur 10 en 2020, selon l’association « Face à l’inceste », chiffre sûrement sous-estimé du fait du manque d’accès de nombre de victimes à la parole) –, qu’elles se sont appuyées sur le racisme, le sexisme et de manière générale, le validisme.

Un des travaux importants menés par les communautés handies – au croisement d’autres – sur le validisme pointent le caractère structurel de cette notion. Qu’est-ce qui justifie, déclare et discrimine un corps valide d’un corps qui ne l’est pas ? Et valide à quoi ? Dans quelle mesure un corps est-il abîmé par une situation handicapante socialement, en plus de sa charge physique et émotionnelle ? Qui détient la légitimité pour ce qui est de la capacité à établir un raisonnement structuré, à parler au nom de toustes, à prétendre à l’universalité et à l’application potentiellement optimale de son jugement à toute situation ? Nous avons déjà vu que toute singularité qui n’est pas ancrée dans la position dite masculine, cisgenre, blanche, hétérosexuelle, riche et valide devra toujours justifier de la validité de son jugement. En dehors d’une série de critères, il y a une réalité structurelle dont nous participons quotidiennement à la reproduction. Derrière cela, il y a la capacité à faire taire les critiques, oppositions et remises en question du pouvoir prescrit sur autrui – ce qu’opère, au niveau des cellules familiales, les dynamiques opportunistes de l’inceste. Car ce que constate la journaliste Charlotte Pudlowski au cours de ses entretiens, notamment avec la psychiatre Muriel Salmona, c’est qu’une minorité des personnes ayant commis l’inceste prononce par ailleurs une attirance spécifique pour les enfants. Peu d’entre elleux sont ce qu’on pourrait appeler des « pédophiles ». Pourtant, il y a des circonstances et des facteurs à la fois d’opportunité et d’impunité qui amènent ces personnes à prescrire des violences sexuelles à des personnes mineures, dont la vulnérabilité, la disponibilité et la situation de dépendance matérielle et affective font des cibles faciles.

Ce qui est troublant, c’est que la psychiatrisation du récit autour de ces actes lorsqu’ils sont portés au grand jour pourra néanmoins toucher virtuellement à la fois l’incesteur-se et la victime. Comme dans tout trauma, il y a une assimilation de son identité à la rencontre à laquelle on a été convié-e ou, dans ce cas-là, forcé-e. Dans cette rencontre-là, les identités sont altérées au profit de l’oppression, ce qui indique aussi une torsion identitaire et une dynamique de dissociation de côté de l’agresseur-se, qui doit pour commettre son acte nier l’identité propre de sa victime et son intégrité à la fois physique et morale. Or, la personne qui commet l’inceste sera souvent traitée sans nuance comme un-e « malade mental-e », en oubliant que la manière dont on tente ou pas de réparer les dégâts compte tout autant que l’acte commis, puisqu’il confère son sens général et sa possibilité de transformation. De la même manière, le corps de la personne incestée pourra susciter une méfiance analogue. Elle a forcément été abîmée et l’incompréhension autour de la nature même de l’acte viendra contaminer jusqu’à la parole de la victime, quelle que soit sa fragilité émotionnelle et/ou mentale, à laquelle on répugne à s’identifier, parce qu’il faudrait admettre notre participation collective à une question sociale (ce qu’on exprime par le concept de psychophobie). Est-ce que cette personne-ci n’a pas subi une détérioration de ses facultés de jugement et est-ce que quelqu’un-e d’autre ne devrait pas parler à sa place, placer une distance entre l’infamie et moi, au nom de la pudeur et d’une certaine efficacité dans la transmission du « message » que son expérience aurait à transmettre en vue, moins de sa résolution mais de sa normalisation ? Est-ce que le traitement des effets, des symptômes du traumatisme et non des causes, y compris dans leurs aspects structurels, ne démontre pas une incapacité ou une situation de grande difficulté à porter la parole à sa dimension politique ?

Le validisme et la question de l’écoute

La question du validisme prend tout son sens lorsqu’on allume sa télévision sur une chaîne publique à une heure de grande audience, par exemple à 20h, où défilent les spots publicitaires mandatés par des organismes dits caritatifs ou « humanitaires ». La seule réponse proposée à la population face à des problèmes de « santé publique » ou de précarité est une réponse passive : donner de l’argent, pour « soutenir la recherche », en faveur d’organismes ou d’associations qui, d’une certaine manière, pallient la démission de l’État. Mais surtout, ces questions se voient réservée la même place que n’importe quel objet passif et compulsif de consommation, lesquels n’ont d’autre but qu’une satisfaction et un réconfort immédiats, à court-terme, sans réel impact structurel à long-terme. On se donne juste les moyens de supporter encore de continuer sur la même voie en réglant les « dégâts collatéraux » de façon marginale, en les plaçant dans une petite boîte, dans un coin de son esprit avec sa bonne conscience. Les mêmes mécanismes opèrent avec le racisme systémique et notre relation aux pays du Sud global, le génocide, la culture du viol et de l’inceste, le travail forcé, l’enfermement et la psychiatrisation de populations entières : une entreprise de déshumanisation. Pourtant, cette entreprise sert bien notre aveuglement quant à l’asservissement de groupes sociaux entiers sur notre territoire comme ailleurs.

On crée donc sciemment les victimes d’un système hiérarchique d’accès au pouvoir dont on se sert en même temps comme valeur de soumission, laquelle donne sens à la dimension verticale des hiérarchies sociales. On justifie sa propre précarité par la situation de plus misérables que soi. Mieux vaut faire partie d’un classe moyenne précarisée que d’un groupe sociale plus défavorisé encore, que d’être racialisé-e et/ou handicapé-e, de la communauté LGBTQ+ ou travailleur-ses du sexe, migrant-e, par exemple. On se distingue par la manière de parler, de bouger, de s’exprimer, qui nous différencie de paroles assignées à une position subalterne… Ces systèmes de domination créent toujours du pire pour en soumettre d’autres au chantage de faire accepter la restriction générale des droits de toustes et la confiscation de l’accès à la parole publique et politique, dédiée à la classe au pouvoir. Donc, si nous sommes toustes égaux-les face au trauma, nous ne le sommes pas face à l’accès à la parole et à l’écoute, laquelle possibilité d’une écoute conditionne l’élaboration d’un discours sur soi équitable en vue d’une résolution du trauma et de sa réécriture.

C’est donc moins la parole qui compte, mais l’écoute et la manière dont cette parole est reçue. Celles-ci indiquent la possibilité d’une action à venir qui nous soit propre, parle de nous et puisse nous inclure. C’est cette même manière qui nous informe de la valeur de notre parole et de l’expérience qui la porte. L’écoute, c’est ici s’écouter soi-même et l’autre pour éventuellement, savoir quoi dire, en connaissance des enjeux. Il faut donc faire de l’espace pour la parole et surtout, pour le choix de cette parole, orientée par la question du sens, à la fois intime et collectif. Dans la parole, c’est la réponse de l’autre qu’on anticipe, anticipation ancrée dans l’expérience et la mémoire traumatiques. Pourquoi donc ne pas écouter d’abord, puis parler s’il y a lieu de le faire ?

Nous parlions de cet espace circulaire ouvert entre soi et l’autre, qui permette de questionner le sens. Pouvoir choisir de parler, de façon pleinement consciente et consentante, implique le droit à l’auto-détermination, vis-à-vis de soi-même et des autres, en bordure de l’espace intermédiaire qui nous relie aux autres. Vivre en prise avec un traumatisme ne diminue pas la valeur de la parole. Cela accroît juste la capacité d’une écoute. Une écoute de soi-même, pour ne pas se mettre en danger. Une écoute des autres, pour comprendre quand et comment parler. Une écoute mutuelle, pour travailler ensemble.

1In Francisco Varela, « Le cerveau n’est pas un ordinateur », revue La Recherche, mensuel 308, avril 1998.

Crédit photo : « Papillon », par La Fille Renne ❤

Note sur la circularité

Nos derniers commentaires sur la notion de neutralité soutenaient un aspect et une exigence critiques. En effet, il s’agit pour nous de trouver un point médian entre exigence clinique et thérapeutique impliquant un temps long, et les contraintes pratiques, sociales et politiques qui induisent un temps plus court, une urgence du quotidien accentuée par des facteurs systémiques. Pour nous, la neutralité (ici appliquée à la psychanalyse) appartient à une terminologie politique implicite que l’analyse intersectionnelle révèle, sinon d’une absence de soucis pour la détermination du ou de la patient-e, du moins d’un non-engagement. Nous discutons ici des termes employés dans la théorie et la pratique analytique et de l’imaginaire que ceux-ci entraînent avec eux, ainsi que leur histoire. Si on défend que seule la neutralité peut aborder tous les sujets, c’est qu’en l’adoptant on se suppose dégagé-e de toute oppression contextuelle, ce qui est une position assez privilégiée. Est-ce que la neutralité tient en temps de guerre sociale, où les espaces par lesquels se projeter dans l’avenir tendent à s’écraser les uns contre les autres ? Et sinon, comment agir sans participer soi-même d’une précipitation dans l’abîme du conflit, et comment pacifier la situation ? Car nous vivons dans des temps de guerre sociale, sur fond de crise écologique, où l’histoire de nos sociétés globalisées montre ses conséquences les plus dramatiques, autant que ses promesses de résistance.

L’exigence thérapeutique – de soin –, qu’elle emploie les outils de la psychanalyse ou d’autres, présente un dénominateur commun : la préservation de l’intégrité physique et/ou psychique de l’individu-e. Nous l’avions mentionné à propos du travail de Darian Leader sur la psychose (What is madness ?, 2011), la tentative de guérison passe par la tentative de se préserver soi-même. Pour ce qui est d’une guérison psychique, le but est d’aboutir à une autonomie affective de l’individu-e vis-à-vis des autres. Cela veut dire que l’autre ne s’impose plus comme le recours principal à sa propre préservation ; mais que chacun-e acquiert la possibilité de choisir sa participation à un devenir commun, c’est-à-dire l’auto-détermination et sa mutualité nécessaire.

L’analyste, dans le champ thérapeutique, choisit d’être là et de participer. Il n’y a rien de moins neutre là-dedans. Néanmoins, iel le fait en sachant que le but est de ne plus servir soi-même, en tant qu’autre, d’objet de compensation et de confusion entre ce qui participe de l’imaginaire anxieux de la personne ou d’une réalité partagée où chacun-e a sa part dans le consentement, ainsi que la capacité de projection individuelle et collective à long terme. Puisque le langage est une voie de convention, c’est la part volontaire de celle-ci qui est en jeu. Nous créons donc, dans l’espace analytique et thérapeutique, un espace de circularité qui permet à la personne de revenir à soi-même, tout en se situant avec lucidité et ouverture dans l’espace collectif. Cette circularité doit être engagée par la personne de l’analyste ellui-même, tout en choisissant ellui-même avec lucidité de quelle raison iel est à même de coopérer. L’idée de la neutralité évoque une zone de non-droit, où la demande tombe, un mur, une absence de réponse. Que l’analyste réponde la même chose, renvoie la personne à la circularité de l’espace qui engage un consentement mutuel, cette valeur de miroir est bien loin de la neutralité, parce qu’à tout le moins, elle dit : je vous écoute. Il n’y a pas d’écoute sans réponse, même si cette réponse est un engagement à ce que la personne parle de soi et puisse le faire en toute sécurité.

Nous semblons pinailler sur un terme et ses équivalences, mais si un pan de la théorie psychanalytique tient tant à l’influence des mathématiques, qu’iel songe seulement qu’en mathématiques, la neutralité renvoie à un ensemble vide. Un ensemble vide ne peut donner lieu à aucune application. Il ne sert à rien, et à moins d’éprouver une fascination pour ce rien, il reste que la demande du corps est inaliénable, puisqu’elle sollicite le fondement de la sensorimotricité des êtres vivants. En effet, l’hypothèse du paradoxe sensorimoteur nous apprend que l’aporie du langage et du signifiant n’est pas un vide, mais un banal blocage neuronal. C’est tout de même quelque chose. Il n’y a pas à chercher plus loin dans ce mystère-là, à moins d’en faire l’expérience pour elle-même, car l’on pourrait tout aussi bien s’y perdre à l’infini, et c’est l’impasse de la négativité de l’analyse. À un moment, l’analyse doit apprendre à « nettoyer », à pacifier l’esprit à partir du centre de toute demande, qui est de se positionner comme sujet d’un discours qui engage l’écoute et la réponse de l’autre. De là, on peut permettre l’apprentissage de la mutualité, parce que notre vie entière de langage est basée sur la convention. Il s’agit donc sûrement d’apprendre à se mettre d’accord sur ce qu’on désigne par le réel et la diversité des vécus et de ses expériences. L’analyse engage le mouvement et fluidifie la reconnaissance des accords locaux passés et présents, établissant la simplification des principes qui les régissent, leur réactualisation et leur éthique, la faculté d’auto-détermination et la capacité à aider d’autres dans cette faculté. Car l’analyse de soi engage l’analyse des autres.

C’est en ouvrant cet espace que nous voulons finir ce petit cycle sur la question de la neutralité.

Crédit photo : « Papillon », La Fille Renne ❤

Espaces indéterminés, espaces positifs et espaces ouverts : sont-ils des espaces neutres ?

Aujourd’hui, jeudi 17 décembre 2020, nous apprenons de nouveau le décès d’une jeune femme trans de 17 ans, Luna / Avril (d’abord mentionnée par erreur sous son deadname Fouad), élève au Lycée Fénélon à Lille. D’abord rejetée par sa famille puis empêchée par l’administration du lycée de venir à l’école en jupe, Luna s’est suicidée. Au lieu de se demander pourquoi elle tenait tellement à venir en jupe, si c’était pour attirer l’attention, demandez-vous pourquoi la violence de le lui refuser ? Et pourquoi pas ? Quelle raison impérieuse ordonnerait de ne pas venir en jupe, quel que soit le genre supposé de la personne ? Pour ne pas distraire ses camarades ? Pour « la protéger » d’un éventuel harcèlement ? Parce que cela serait inconvenant ? Mais distraction de quoi ? Pourquoi lui interdire cela et ne pas éduquer ses camarades sur la question des transidentités et du genre en général, et sur le harcèlement ? Et inconvenant au nom de quoi ?

L’information m’a été relayée par Océan et Lexie (@AggressivelyTrans) sur les réseaux sociaux. Je devais justement écrire un article complémentaire sur la question de la neutralité, portant sur les espaces indéterminés et ouverts, et sur la question des espaces de détermination positive, notamment en ce qui concerne la psychanalyse. Notre questionnement de la notion de neutralité et de ses fondements politiques nous amène à interroger la position de l’analyste comme figure d’autorité. Si elle serait neutre, ce serait pour renvoyer en miroir à la personne qui vient la consulter sa propre image, en tout cas pour ce qui est du questionnement de son discours. L’analyste va servir d’appui à cette réflexion autour du discours propre de la personne pour tenter d’en comprendre les fondements. Si l’espace ouvert par l’analyste est neutre, cela voudrait dire qu’au-delà d’un certain point, il n’est pas utilisable. L’analyse a lieu dans une structure relationnelle à l’analyste où l’analyste lui- ou elle-même ne serait personne en particulier ; or le ou la patiente projette bel et bien une personnalité sur ce qu’iel peut lire de la personne qui lui fait face. La méfiance et la défiance dont on parle depuis Freud (par exemple, dans La technique psychanalytique) vis-à-vis de la personne de l’analyste, à partir d’un certain point dans la dynamique du transfert, seraient liées au fait que l’analyste ne peut donner cours à la demande faite par le ou la patiente vis-à-vis de sa personne supposée. À son tour, l’analyste serait amené-e à se méfier – dans la mesure où iel soupçonne ce transfert à son endroit ou à un autre – de la nature déclarative du discours de la personne. Cet espace-là que l’analyste devrait garder serait, selon la théorie, « neutre ».

Nous pouvons admettre, jusqu’à un certain point, l’utilité de cette méthode dans l’analyse du discours. Or, au-delà de cette analyse demeure tout de même la question affective et émotionnelle, qui porte la question de la confiance. La question du trauma, si elle s’élabore notamment à travers les dimensions du discours, on l’a vu, participe aussi entièrement d’une mémoire qui engage le corps dans son entier. La familiarité des situations de confort, de sécurité émotionnelle ou au contraire, de détresse et de danger, excède bien souvent sa prise en main par le discours, notamment parce qu’elle dépend des environnements dans lesquels évolue la personne. Toute efficience que peut avoir un-e analyste sur le champ de l’étude du discours de soi de la personne, et de ce que ce discours ne formule pas encore, ne peut toutefois pas lui permettre d’échapper à son identification, légitime ou non, par la personne, à une mémoire traumatique liée à une expérience (répétée ou non) danger. La question de la sécurité émotionnelle est liée aux espaces de sens et de compréhension vis-à-vis desquels la personne ne contrôle que très peu sa capacité à se sentir confortable pour un relâchement éventuel d’un état corporel et sous-jacent de défense.

Ces considérations sont très liées à l’idée des espaces de non-mixité. Certaines typologies d’expérience, notamment celles liées aux minorités sociales pour ce qui est du genre, de la race, de la classe ou de la validité de manière générale, se voient constamment en devoir de justifier leur point de vue et perspective quotidienne face à un modèle dominant établi comme normes de représentation, à laquelle on attend de toute personne qu’elle s’y conforme. Les personnes assignées à ces minorités sociales ne sont pas habitées d’une violence intrinsèque qui les pousserait à réclamer du reste de la société un tribut, seulement, comme le disait l’écrivain James Baldwin, de pouvoir se passer de son interférence avec leurs vies – to have it out of their way. La fatigue morale et émotionnelle d’avoir à porter cet effort et cette vigilance quotidienne participe d’une mémoire traumatique liée à une situation d’insécurité, voire de danger effectif. Aussi, lorsque ces personnes se dirigent vers un-e analyste pour arriver à y voir plus clair dans leurs douleurs et leurs difficultés, de se trouver face à une personne qu’iels identifient comme familière, pour une raison ou une autre, de cette mémoire et de cette insécurité – quelle que soit la capacité de l’analyste à la guider à travers la réflexion et le questionnement de leur discours –, cette situation même peut être une source de tension qui, à partir d’un certain point, peut empêcher la résolution d’un trauma. Bien sûr, on pourra dire qu’une personne racisée « n’a pas besoin » d’aller voir un-e analyste racisé-e lui- ou elle-même pour aboutir un travail sur l’inconscient ; ou qu’une personne LGBTQIA+ « n’a pas besoin » d’aller voir un-e analyste LGBTQIA+ pour faire ce travail. Jusqu’à un certain point, l’argument est valable. Sauf que ces personnes, à l’extérieur déjà, sont confrontées quotidiennement à un environnement d’agression généralisé et à un sentiment d’insécurité liés à une modélisation de nos sociétés qui les exclut fondamentalement, c’est-à-dire dans les fondements mêmes de leur être, et d’une quelconque capacité à accomplir l’adaptation requise à la norme valorisée, en-dehors de laquelle bien des portes se ferment. Cette expérience est une réalité concrète vécue au quotidien par un nombre considérable de personnes et de groupes sociaux et culturels – et nous ne pouvons continuer de prétendre que c’est inévitable. Ces personnes ont l’habitude de devoir justifier leur existence face à ce contexte normatif qui s’exprime partout et en tout temps dans leur quotidien, y compris jusque dans leur intimité familiale où se répètent ces dynamiques d’oppression, ce qu’on appelle les violences intra-familiales. Si la psychanalyse ne s’éveille pas sur ces questions systémiques et n’arrive pas à se diversifier, elle oublie qu’elle participe elle-même, qu’elle le veuille ou non, à la confiscation d’espaces sécurisant et ouverts pour ces personnes. Et il y a des facteurs, à ce titre, qu’elle ne peut maîtriser et dont elle doit apprendre une humilité. Toutes les expériences ne se valent pas face à un référent unique, dicté, notamment, par notre modèle occidental et à l’intérieur de celui-ci.

Cela ne veut pas dire que la personne de l’analyste, avec son éthique, fait « mal » ou n’a pas de bonnes intentions. Cela n’a rien à voir avec la personne morale de l’analyste, c’est-à-dire son intention, ni forcément sa pratique. Cela a à voir avec une mémoire, inscrite dans le corps des personnes, dans leur individualité et leurs singularités, qui excède tout commandement. Le sentiment d’insécurité ne se commande pas. Il est inscrit dans la mémoire traumatique et dans le corps. La psychanalyse peut prétendre la dépasser en déclarant sa « neutralité », mais lae patient-e peut aussi mentir ou se taire pour contourner son inconfort lorsqu’il s’agit d’adresser ce sentiment indépassable de pas là, d’impossibilité, dans cet espace, de relâcher sa garde. Par aucune volonté de la part de la personne qui lui fait face, et pas plus dans un cabinet de psychanalyse ou ailleurs, ce sentiment ne peut ni ne doit être forcé. Encore une fois, cela ne dépend pas de l’analyste, mais c’est lié au fait que dehors, ces systèmes d’oppression continuent toujours, et avec eux la nécessité d’être constamment en état de garde. Et là encore, le ou la patiente ne doit rien à l’analyste, et c’est bien cela qui fonde l’intégrité de leur relation.

Face à un-e analyste qui n’est pas familier-ère de la spécificité des vécus communautaires, une bonne partie des sources de trauma qui doivent être constamment répétées en-dehors doit de nouveau être répétée ici, quelle que soit l’état de sa verbalisation par le discours. Plus loin, il faut comprendre qu’une personne racisée, par exemple, se trouvant face à une personne blanche analyste, même la plus avertie vis-à-vis des questions liées au racisme, et quelque soit l’état de verbalisation du ou de la patient-e, peut se sentir en insécurité face à elle. Il faut accepter cela et accepter, à une certain moment, de passer la main. Se déclarer neutre ne pourra forcer ce sentiment. Et c’est normal. La mémoire d’agressions et leur réactivation, dans des contextes de société violents, imposent ça. Plutôt que de forcer une neutralité impossible à réaliser au-delà du champ « rationnel », il faudrait promouvoir des espaces indéterminés (qui restent à l’être), ouverts (qui n’ont pas à l’être), voire positifs à partir d’un certain point (où la déclaration de familiarité permet le relâchement émotionnel et la guérison). Mais la théorie psychanalytique se formule beaucoup sur le mode négatif et se méfie des aspects déclaratifs de l’identité, jugés suspects. Elle cherche l’aporie dans le discours là où la théorie du paradoxe sensorimoteur permet de montrer que cette aporie se fonde dans le corps. Le discours et le signifiant, certes, aboutissent toujours à une butée, mais cette butée n’est pas un néant, juste le fait que le corps demeure et produit de la mémoire. Donc au bout d’un moment, on peut toujours scruter cette production, qui est sans fin, sans pourtant permettre à tout un champ de la mémoire traumatique, qui excède la question du discours et se situe dans l’expérience de ce corps-là par rapport à d’autres corps, de se résoudre ou au moins, de se relâcher.

Cela ne pose pas, par exemple, les personnes blanches, cisgenres, hétérosexuelles et valides comme de « mauvaises personnes » à éviter, seulement que malgré elles, elles se font le relais de tout un ensemble d’expériences qui partout ailleurs poussent les corps minoritaires à se défendre et à se mettre en tension, n’ayant pas le droit commun de leur côté. Une personne noire peut se faire tabasser par la police de manière gratuite et toujours être suspectée coupable et ses agresseurs-ses non inquiété-e-s, et ce depuis aussi longtemps que l’histoire de l’esclavage, insécurité que nous semblons découvrir ici en France parmi le grand public. Une femme cis, une personne trans ou non-binaire, voire d’autres personnes assignées à la soumission, peuvent subir une agression ou un viol et se voir accusées de « l’avoir bien cherché ». Une personne avec un handicap visible ou non peut se voir reprocher de ne pas faire « assez d’effort » pour s’adapter à un rythme de travail ou de déplacement qui vont à l’encontre de ses limitations. De même, alors que le STRASS, syndicat des travailleurs-ses du sexe, vient d’annoncer l’assassinat d’une femme trans migrante TDS, ce dimanche 13 décembre, étranglée à Nice dans l’indifférence totale, on peut rappeler que de nombreuses populations et groupes sociaux meurent assassinées ou laissées mourir, concrètement, comme si leurs vies n’avaient aucune valeur, de la même manière que les populations indigènes sur les continents américains ou les ouïghours en Chine, pour ne citer qu’elleux. Mais nous sommes tou-te-s saisi-e-s dans ce réseau de contradictions et d’arrangements avec ces réalités, que nous ayons le choix ou non de les vivre au quotidien. Toutefois, il serait difficile de demander à ces personnes l’effort, qu’elles aient ou non subi toutes les agressions possibles, mais ne serait-ce que d’être sensibles au fait que ça puisse leur arriver à n’importe quel moment, de nier leur sentiment d’insécurité face à une personne, quelle que soit cette dernière et quelle que soit la volonté de celle-ci de bien faire. Nous, analyste ou aspirant-e-s analystes devons avoir l’humilité de reconnaître ça, et de reconnaître le manque crucial d’une diversité d’espaces de soin et de guérison à l’image de la diversité des vécus traumatiques dans nos sociétés.

La psychanalyse ne peut pas s’extraire du monde hétéropatriarcal, capitaliste, raciste ; validiste et impérialiste dans lequel s’inscrit la vie de tous les individu-e-s qu’elle espère soutenir. Sa neutralité n’existe pas et ne peut exister tant que ce monde-ci et que ces oppressions existent.

Enfin, la psychanalyse, à moins de les perpétuer, ne peut pas ne pas être politique.

Crédit photo : « Papillon », La Fille Renne ❤

Annexe – Commentaire sur l’idée de neutralité

Nous avions déjà discuté cette notion dans l’article Annexe – Expertises minoritaires, enjeux majeurs.

Il ne faut pas confondre mesure et neutralité. La neutralité n’est pas possible ni même souhaitable. Elle suppose qu’on ne prenne pas parti, ni même que l’on en représente un nous-même(s). Or, tout le monde n’a pas les moyens de se poser en observateur-rice. Cela suppose une autonomie, ne serait-ce que matérielle, de même que cela suppose que notre expérience n’intervienne pas dans notre jugement ni notre interprétation – son orientation ni sa situation (nous reprenons encore une fois l’idée des savoirs situés, proposée par la théoricienne féministe américaine Donna Haraway, 1988). Dans le meilleur des cas, c’est s’aveugler sur le fait d’être soi-même perçu-e par les autres et sur sa propre tentative – vaine – d’échapper à ce regard par lequel on se situe, qui nous offre un contexte à toute interprétation possible.

C’est une tout autre chose que la mesure et le soin portés à l’accompagnement du dialogue, d’un espace mutuel d’équité et d’une éthique de l’auto-détermination. Dans une situation de conflit, ne pas savoir quel parti prendre, soit parce que l’on manque d’éléments et de recul, soit parce que nulle option actuellement proposée ne nous semble favorable, ne veut pas dire rester « neutre » ; c’est-à-dire, désintéressé-e, voire insensible à l’issue du conflit. Se déclarer « neutre », c’est protéger non pas son intégrité morale, mais ses intérêts, c’est-à-dire ceux relatif à sa position par rapport à l’autre. On peut se le formuler clairement, ou se convaincre d’une plus haute raison morale, comme des objectifs professionnels ou politiques, eux-mêmes construits historiquement et socialement, c’est-à-dire qu’on en soutient la structure qui nous porte. Quoi qu’il en soit, la « neutralité » constitue souvent un abandon. On sort de la partie, dans une mesure variable, où l’on ne s’engage pas. Or, sortir de la partie sans dommage n’est possible que si l’on bénéficie d’une relative autonomie, ne serait-ce que matérielle. Encore une fois, c’est une question de structure, laquelle dépend des facteurs contextuels dans nos sociétés. Pour beaucoup, en situation de dépendance et de précarité matérielle, physique et/ou psychique et émotionnelle, cette sortie est compromise, difficile, voire impensable. Souvent, cet impensable est littéral : on ne peut se projeter au-delà d’une situation qui nous enferme. Dans ce contexte, le point de vue « neutre » sert souvent de refuge, mais encore une fois, il n’est pas accessible à tout le monde, au risque de nier une part non-négligeable de sa propre expérience ou de celle des autres. Le « neutre » est fondé sur une assomption scientifique dont les origines trahissent des enjeux de pouvoir et polluent son imaginaire.

L’idée de neutralité est en effet foncièrement une notion de classe, co-dépendante de structures de discrimination actives basée sur l’identification du genre (traitement inégal des femmes, personnes trans*, non-binaires, intersexes), de la race, de l’orientation sexuelle ou de la validité en regard des normes physiques et psychiques. Pour ce qui est de la psychanalyse, il est à rappeler qu’historiquement, elle s’est d’abord adressée à une classe bourgeoise en pleine mutation industrielle, laquelle avait les moyens à la fois financiers et sociaux pour l’y orienter. La neutralité d’un Sigmund Freud est donc une neutralité toute particulière, située historiquement et culturellement, dans le sens où un sujet émerge à partir du moment où son statut social lui permet de se différencier de la masse des « autres », discriminé-e-s et assimilé-e-s socialement à un ensemble homogène. Ça, c’est la neutralité, son contexte et son impact.

Se déclarer « neutre », se placer au-dessus du jeu politique et social, à quelque niveau que ce soit, c’est supposer qu’on le domine et avec lui, la foule de celleux qui vont ou font avec, tant bien que mal. Le terme de neutralité, qu’on l’admette ou non, a ce présupposé-là. On peut prendre une mesure de distance avec un conflit, dans l’optique d’une prise de décision. La neutralité en est une qui ne se déclare pas comme telle ni ne se sent obligée vis-à-vis d’un devenir commun. Pas plus elle n’existe dans un cabinet de psychanalyse que celui-ci n’est hors du monde. Toute personne embarque avec soi les enjeux de pouvoir qui l’y ont menée et l’ont construite. Il faut pouvoir ouvrir un espace intermédiaire où l’expérience de chacun-e fasse sens. L’analyste n’a pas à s’y engager soi-même, ce n’est pas de sa vie dont il s’agit, mais il faut qu’iel soit en mesure de tenir cet espace avec l’autre qui s’y adresse, et qu’iel reconnaisse l’impact de son monde sur celui-ci. Il n’est pas besoin d’être « neutre » soi-même pour éviter les effets invasifs de ce qu’on appelle le transfert. Échapper à devenir soi-même l’objet du discours de l’autre, par exemple en tant qu’analyste, ne veut toujours pas dire être « neutre ». Le discours consomme l’objet, il l’assimile à sa propre création d’images, de mémoires. Si l’on tombe soi-même dans ce champ symbolique qui le nourrit, certes, on perd la commune présence de deux corps qui tentent d’établir une distance équitable entre eux. Donc cette distance est nécessaire pour qu’il y ait un espace ouvert à la projection qui ne consume ni l’un-e ni l’autre. Néanmoins, l’interprétation mutuelle, elle, suit son cours, et personne n’est dupe de cette condition. Le discours doit pouvoir se situer, toujours, dans l’espace intermédiaire entre les deux parties en présence formant la structure du dialogue. C’est de cela qu’il s’agit, aussi, lorsqu’on s’adresse à un sujet – un sujet dans le monde, à savoir un monde de sens qui le fonde. Si un espace de neutralité peut s’y ouvrir, il devra bel et bien être la création volontaire et consentante de deux personnes, voire plus, en reconnaissant que le sujet qui s’adresse à un espace d’analyse s’accorde à ce qu’iel sait néanmoins des rapports de pouvoir qui animent chaque point de vue et ce qu’iel suppose du point de vue de l’analyste. Dans tous les cas, notre présence aura toujours un impact et un effet sur l’autre ou groupe d’autres, et il serait vain de penser que cet impact puisse échapper à la lecture de soi, quelle que soit sa propre volonté d’y échapper soi-même.

Politique, Histoire et intersections

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L’idée centrale de l’élaboration des pratiques dites de « relations publiques » est de « fabriquer le consentement » des populations pour maintenir ne serait-ce que l’illusion du système de représentation démocratique. De fait, on laisse une illusion suffisante du libre-arbitre quant à ce que nous consommons ou pour qui nous votons, mais ces systèmes de gouvernance jouent sur tous les mécanismes hiérarchiques de pression sociale pour amener les groupes de population (on parle de « masse ») dans un sens plutôt que dans un autre (Edward Bernays, Propaganda : Comment manipuler l’opinion en démocratie, 1928).

Certainement, nous devons toujours avoir, d’une certaine manière, notre libre-arbitre, mais celui-ci devient de plus en plus purement sélectif parmi les rares options laissées à notre choix. La capacité de créer des alternatives, quant à elle, est plus précaire. Celles-ci, en tant qu’elles contournent le système politique dominant, sont vivement découragées ; soit par la force (voir, par exemple, la brutale répression des utopies anarchistes dès la fin du XIXe siècle ou plus récemment encore, de ZAD comme celle de Notre-Dame-des-Landes), soit par défaut. On nous dira souvent, par exemple, que promouvoir une autre manière d’organiser nos sociétés que de façon capitaliste et néo-libérale est « irréaliste » ; et face à l’inertie des mécanismes de dette qui paralysent tout changement et la masse de leurs intérêts, le découragement et la résignation sont à portée de main. Ce qu’il faut comprendre aujourd’hui c’est qu’un autre modèle de société est non seulement réaliste mais indispensable.

L’altérité et ses fondements

Nous l’avons vu, toute identité a un fondement relationnel. Nous nous positionnons et nous situons par rapport à un contexte et en contraste avec celui-ci. Nous nous détachons de ce contexte comme une silhouette dans la lumière et la couleur. Si la brutalité des formes de pouvoir, de domination et d’oppression attend des groupes ciblés de la peur, c’est parce que cette brutalité se définit, en tant que pouvoir, en fonction de cette peur qu’elle provoque et qu’elle prend pour l’image, pour l’effet et la condition de sa puissance. Capitalisme et fanatisme religieux se battent avec les mêmes armes, parce qu’ils proviennent, dans leur forme actuelle, d’un passé commun, d’une même histoire à travers laquelle ils se définissent : l’histoire géopolitique de la domination et ses modalités de représentation, notamment à travers des filtres interprétatifs et imaginaires liés au patriarcat, à l’impérialisme, à toute forme de suprématie. L’important pour nous n’est pas de savoir lequel des camps doit l’emporter sur l’autre, mais comment en finir avec l’idée que le dominant est le plus fort.

« Cela vous vient comme un grand choc à l’âge de cinq ans, ou six, ou sept, de découvrir, alors que Gary Cooper tue des Indiens et que vous vous identifiez à lui, que les Indiens, c’était vous. »1 Par ces mots, l’écrivain américain James Baldwin exprimait, s’appuyant sur son expérience personnelle, tout l’effet d’un environnement qui n’a pas « fait croître un espace pour vous ». En cherchant à s’identifier à des figures héroïques et valorisées dans l’espace social et culturel, il se peut que cette figure représente la même force qui a pu et continue de soumettre des personnes comme soi. Ce n’est pas parce que la présentation d’une idée est élégante qu’elle n’est pas destructrice, dans la façon dont elle entérine des structures d’oppression, en les glorifiant ou en en effaçant les conséquences. Ce n’est pas parce que l’idée qu’il n’y a pas d’alternative viable au capitaliste est soutenue par le faste glamour du succès et de la promesse d’un enrichissement sans limite que ce faste ne s’établit pas sur le sacrifice de populations entières, ainsi que de leurs écosystèmes sociaux et naturels.

Nous devons donc bien réfléchir à l’impact de nos discours et au réceptacle dans lequel nous attendons qu’ils soient accueillis. Malgré tout, si vous cherchez à ce qu’un discours rencontre un succès immédiat et les profits qui pourtant lui permettraient de s’établir dans le temps avec un degré suffisant de stabilité, songez à ce qui vous octroie ce pouvoir et cette garantie. « L’Histoire n’est pas quelque chose que vous lisez dans un livre. Ce n’est même pas un passé. C’est un présent, que tout le monde opère, que nous le sachions ou non, à partir de l’assomption que nous sommes produits, et seulement produits par notre Histoire. »2 D’autres mots empruntés à James Baldwin à la fin de sa vie. Choisir son identité et ses actions est toujours une affaire de sélection parmi des possibles qui nous apparaissent dans un certain contexte. Toute création figure ce qu’on appelle une transgression. La création provient d’un contexte, d’une histoire, mais aussi se rebelle avec ou contre ce contexte, au moins dans le but de conserver la liberté de choisir une autre voie que celles offertes à l’élection.

Une autre analyse de Baldwin dans ce même discours donné au National Press Club en 1986, à Washington D.C., est éclairante quant à la dimension morale de systèmes d’oppression comme le modèle patriarcal. Selon Baldwin, la simplicité et la sincérité sont tenues pour être deux vertus américaines. L’interprétation qu’il en fait est frappante, puisqu’elles permettent de justifier l’immaturité, à la fois politique et affective, qui fait que des personnes de pouvoir, dont les actions ont un impact sur des populations ou des groupes entiers (son expérience est autant ancrée dans le racisme systémique et l’homophobie que dans son histoire familiale, soumise à l’autorité de la figure paternelle3), ne sont pas « en nécessité de grandir ». Sauf que justement, leurs actions et leurs décisions impactent un nombre considérable de vies humaines comme animales et végétales. Cela ne veut pas dire que la simplicité, la sincérité ou même l’immaturité soit proscrites, mais qu’elles ne peuvent en aucun cas servir de caution à des systèmes d’oppression.

Critique d’un patriarcat impérialiste, suprémaciste et capitaliste

Du point de vue des structures patriarcales, la figure du Père peut très bien être occupée par une personne qui « fait des erreurs » mais qu’on ne songera jamais à destituer pour autant, parce que l’ordre du Père et sa hiérarchie doivent être préservés avant tout. C’est aux personnes qui lui sont subordonnées de s’adapter à ces erreurs et de les compenser, comme autant de dommages collatéraux. Dans tout le débat sur la PMA en France, le fait que ses détracteurs pointent les dangers supposés de l’effondrement de la structure familiale nucléaire et hétérosexuelle, c’est avant tout la terreur de ne pouvoir établir de relais alternatifs à d’autres modalités familiales qui soutiennent ce rejet. Il y a cet impensé social et collectif qui laisse un vide là où des espaces de vie pourraient s’établir. Il semble qu’il faut qu’il y ait un ordre, quelque chose qui s’impose de façon prescriptive pour que les modalités offertes au choix n’exposent pas les individu-e-s y dérogeant à une sanction. L’obéissance volontaire constitue une forme de protection qui prend la perspective de la sanction comme un donné inévitable et irréductible, intervenant sur la simple base de l’identité supposée ou prononcée des personnes ainsi que de leurs choix personnels. C’est la préférence de cet ordre-là qui justifie un aveuglement relatif quant à la nécessité que des personnes détenant un pouvoir politique ou familial répondent de leurs actes et entendent les paroles jugées subalternes. Ce refus de soulever la dette vis-à-vis d’une Histoire de l’oppression et à l’exposer serait dans « l’ordre des choses », parce qu’il faudrait maintenir les conditions actuelles de l’exercice du pouvoir pour lui-même et que par ailleurs, les personnes en position de dominance pourraient justifier de l’effort fourni pour l’atteindre. Le Père est celui qui travaille, qui apporte une plus-value sociale, morale et matérielle à la famille, dont l’effort est censé apporter la complétude à la structure familiale, justifier et payer la dette sociale – mais aussi, comme le rappelait Baldwin, la subir tout autant.4 Alice Miller rappelait le caractère hautement moral du commandement à « honorer son père et sa mère »5, quelle que soit la manière dont celleux-ci agissent, notamment, vis-à-vis de leurs enfants, mais parce que l’ordre parental doit être respecté avant tout de façon presque doctrinaire. Cet ordre vertical est perçu comme fondateur de nos sociétés, sans lequel celle-ci serait amenée à s’effondrer. Le regard du reste de la société porte sur la vigilance à les garantir. Encore une fois, ici, il ne s’agit pas d’éradiquer la notion de respect en soi ni d’accuser des personnes en particulier, mais seulement ramener la nécessité du respect vis-à-vis du droit mutuel à l’auto-détermination. Il ne s’agit pas du problème d’une ou d’un groupe de personnes qui abuseraient de leur pouvoir, mais du manque d’espaces et de relais alternatifs pour que celleux qui leur sont soumises puissent s’élever par elleux-mêmes ailleurs ou qu’au moins, les représentant-e-s de ces structures d’oppression puissent être mis-e-s hors de leur chemin.

Cet ordre trouve sa réplique dans les structures racistes, classistes et d’autres qui génèrent un ordre valeur qui viserait à justifier ce même caractère arbitraire soutenant les structures de domination, leur contingence, car celles-ci ne sont finalement qu’un possible parmi les possibles. « Peut-être que je ne veux pas ce que vous pensez que je veux », déclarait Baldwin à Dick Cavett lors de son émission, en 1969 ; avant d’expliquer les mécanismes de double conscience que les populations Noires Américaines ont dû développer pour survivre sous un régime d’oppression basé sur la couleur de leur peau et son invention en tant que catégorie.6 Ce n’est pas parce que les gens acceptent de se soumettre plutôt que de mourir qu’iels le font de bon cœur et le désirent. La notion de travail en lui-même, prescrite de manière obligatoire sans la possibilité de créer sa propre relation au travail, s’inscrit de manière critique dans la doctrine capitaliste. On retrouve dans ces questions les mêmes notions de consentement et du stigma que nous avions abordées dans notre précédent article « Genre et sexualisation » autour du travail du sexe. Dans la même interview, Baldwin ajoute : « Ce que la République Américaine a toujours essayer de faire, c’est m’accommoder à un système qui est toujours destiné à ma mort. […] C’est ce que vous entendez réellement par intégration. […] Nous avons été intégré-e-s depuis que nous sommes arrivé-e-s ici. » Les figures de l’alterité (les personnes Noires ou autrement racisées, précaires, des communautés LGBTQIA+, travailleuses-eurs du sexe, non-valides, …) ont en effet été intégrées à l’imaginaire capitaliste en tant que figures catalisant la peur d’être mis en marge. Le maintien des inégalités et des discriminations renforce cette peur en affaiblissant les relais politiques, autant qu’il renforce le désir de conformité et de protection.

Un autre point soulevé par James Baldwin lors de la même interview est celui de la culpabilité. Une Histoire et un ordre social qui se sont construits par la violence – notamment vis-à-vis d’une partie entière de la population américaine qui vit encore parmi les autres, ainsi que de l’enfermement de celleux qui véhiculent l’oppression et en dépendent – ne peuvent pas se maintenir sans nier la réalité de la violence ainsi prescrite. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu dans l’article précédent avec le constat fait par le collectif Zetkin, cet ordre et son Histoire ne peuvent tenir dans le temps qu’en établissant une distinction hiérarchique supposée « naturelle » entre des catégories de personnes et d’êtres vivants, certaines étant même déclarées supérieures à toutes les autres. Cela ne fait bien sûr qu’accroître les violences sociales. Essentialiser les différences, sur la base du genre, de la race, de la classe, de la validité (de façon non-exhaustive), permet de justifier toute violence infligée arbitrairement et de ne pas avoir à la remettre en question. On allonge ainsi le système de dette, on l’étire dans l’espoir de pouvoir éviter de le purger et de continuer d’en tirer les bénéfices immédiats tout en assurant sa propre position individuelle (qui n’est peut-être pas aussi assurée) au sein du système dominant. Un autre exemple de l’importance des questions d’intersectionnalité est démontré par l’ancienne juge de la Cour Suprême des États-Unis Ruth Bader Ginsburg, qui explique dans un entretien de 2015 à Bloomberg Quick Take que des lois restrictives sur l’avortement affecteraient en fait surtout les femmes pauvres (elle fait ici mention des femmes cisgenres, mais on pourrait étendre le propos aux hommes trans et aux personnes non-binaires). Des personnes suffisamment aisées auraient en effet les moyens de payer le trajet vers un État à la législation plus souple, ainsi que les frais médicaux. Par ailleurs, elle souligne que dans les années 70 où l’accès à l’avortement était de manière générale beaucoup plus restreint, les mouvements féministes déployaient davantage d’effort pour défendre cet accès à toutes les personnes en ayant besoin, quel que soit leur niveau social. Ce droit étant depuis (pour l’instant) mieux garanti, Ruth Bader Ginsburg regrettait qu’on ne se mobilise pas plus pour défendre son accès aux classes sociales moins favorisées, dont beaucoup concernent les personnes racisées et d’autres groupes minoritaires, souvent cumulés.

Lire notre histoire et la façon dont elle est réactualisée par un ensemble de pratiques politiques demande donc de question les espaces proposés à l’investissement ainsi que les personnes à qui ceux-ci seraient supposés s’adresser et à quel point l’écart se creuse lorsque vous ne correspondez pas à certains standards. Le problème arrive quand certain-e-s ont plus d’effort à fournir pour atteindre ces espaces et ces standards quand cette difficulté se base seulement sur l’identité supposée ou déclarée de la personnes ou groupe de personnes. Par définition, elles ne l’atteindront jamais, et James Baldwin nous explique qu’il y a une Histoire qui justifie que si une personne devait y arriver, cela voudrait dire que ce standard devrait être dévoilé dans l’Histoire des violences qui l’ont engendré. Si à cette injustice manifeste, le corps politique répond : « Ce n’est pas notre problème », alors nous devons commencer à nous poser des questions.

1« It comes as a great shock around the age of five, or six, or seven to discover that Gary Cooper killing off the Indians when you were rooting for Gary Cooper, that the Indians were you. » In James Baldwin, I am not your negro (Raoul Peck), ed. Pinguin, Vintage books, US, 2017, p. 23. Ma traduction.

2James Baldwin’s speech at the National Press Club, 1986.

3Qu’il retrace dans son premier roman, La Conversion (Go tell it on the mountain), 1953.

4Voir par exemple, « James Baldwin & Nikki Giovanni, a conversation », 1971, disponible sur YouTube.

5In Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, 2004.

6Voir aussi « Black History Speaks: James Baldwin Speaks at Q & A with educators », disponible sur YouTube.

Crédit photo : « Papillon », La Fille Renne ❤

Annexe – Langage, morale et interfaces sociales

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« Je devais découvrir que la ligne qui sépare un témoin d’un-e acteur-rice est une ligne en effet très fine ;

toutefois, la ligne est réelle. »

(‘I was to discover that the line which separates a witness from an actor is a very thin line indeed ;

nevertheless, the line is real.’)

James Baldwin, I am not your negro (Raoul Peck), « Witness »

Il existe deux types de complexité : l’un représente la diversité des chemins empruntés par le vivant pour élaborer leurs espaces habitables, l’autre l’intrication des liens et des rapports hiérarchiques de dette. Ces derniers ont à voir avec la contention par laquelle le régime des lois morales tient toute action comme éminemment et préventivement responsable de son inévitable sanction. La prescription morale perpétue ainsi la mémoire de cette sanction. « Parce qu’il y a la violence, il y a la morale », expliquait le philosophe Paul Ricœur.1 Nous sommes enjoint-e-s à purger un mal originel qui a ou aurait été fait et en vertu duquel l’ordre social et/ou familial doit être maintenu, la dette observée et payée. La dette s’inscrit au cœur du champ de la loi morale, et elle est générationnelle – comme en témoignent notamment les séquelles des périodes officielles comme officieuses d’esclavage et de colonisation.2 Néanmoins, un point fondateur de notre travail ici est de renverser le corollaire du constat herméneutique en explicitant qu’aussi bien, comme nous l’avons vu, parce qu’il y a la morale, il y a la violence. En effet, c’est la morale qui donne sa mesure et fait exister la violence en tant qu’objet d’interprétation, mais aussi, c’est la contrainte prescrite par les lois morales qui empêche la libre réalisation des individu-e-s et induit une violence sociale et émotionnelle, sous forme d’anxiété ou de rage. Sans les espaces intermédiaires propres à l’élaboration du trauma, ce sont les cibles immédiates qui servent d’exutoire.

Le webzine culturel, féministe et intersectionnel Deuxième Page sort sa première revue papier prochainement sur le thème de la colère, notamment de la colère féminine et de la manière dont celle-ci fut et est encore largement discréditée, assourdissant les voix qui se lèvent pour raconter leurs expériences d’un ordre politique oppressif – on pense entre autre aux stratégies dites du gaslighting. Ces voix sont souvent dépolitisées et pathologisées, par exemple, par le qualificatif de l’hystérie. Le genre, ainsi que d’autres catégories hiérarchisées, tombe comme une désolidarisation du droit et ici, le champ moral et sa tradition, la répartition des rôles de genre qu’elle établit, participent d’un cloisonnement du dialogue social et de la participation collective à son propre devenir. Le caractère impérieux du domaine moral et son efficacité justifient l’accoutumance vis-à-vis des injustices manifestes par une hiérarchisation des droits. L’ordre moral vient traditionnellement de la figure du Père et nous prenons cela pour acquis. Dans le roman L’hibiscus pourpre (2003) de Chimamanda Ngozi Adichie, c’est cette figure du père aimé et admiré en public mais respecté jusqu’à la crainte en privé qui reflète l’archétype de l’ordre patriarcal. Cet archétype n’est pas propre au genre masculin – ni n’en est l’essence – mais à une organisation masculine du pouvoir autour de rapports de force cristallisés dans le champ symbolique et politique. C’est un possible qui a été actualisé de façon précaire à travers les siècles, enjoignant la classe masculine à la renforcer par peur d’un soulèvement et par un cruel manque d’éducation affective – et cela aussi constitue une contrainte sociale reproductive qui a valeur de prescription. C’est un cycle de violence et de réponse défensive à cette violence. Nous nous accoutumons à ce que la marge de protection qui nous est offerte justifie d’être redevable aux figures parentales et d’y obéir, comme l’explique la psychanalyste Alice Miller.3 Or, cette obéissance est également justifiée par la nécessité impérieuse de maintenir une lignée familiale, politique et culturelle présentée comme le seul moyen de survie psychique et symbolique collective face à la perspective de la mort. Sous un régime de peur, nous nous accoutumons donc à obéir pour ne pas mourir, sans vraiment savoir toujours à qui et pour quoi obéir. C’est une tractation, un contrat que nous nous habituons à réactualiser sans cesse, comme une garantie par défaut.

Qui dit accoutumance dit dépendance, y compris pour ce qui est de donner du sens à nos actions et à celles des autres. Le système de « protection » – mais de qui et comment ? – de l’ordre moral (entendu du groupe dominant) est lui-même dépendant d’un système politique qui entretient une forme de violence légitime (car reproductible) à même de justifier sa hiérarchie. Bien des modèles du sacrifice sont finalement tirés d’une même verticalité du pouvoir, fût-elle même fondée sur un ordre mystique. Cette même verticalité et les verrous qu’elle implique formulent les conditions d’élaboration du trauma autour d’une figure d’autorité à la fois crainte et respectée, laquelle justifie l’usage légitime des violences physique et symbolique l’une par l’autre (Pierre Bourdieu, Sur l’Etat, 1989-1992) ; ou pour reprendre les mots de l’Abbé Pierre au sujet des écarts de richesse : « Il n’y a pas de violence qu’avec les armes. Il y a des situations de violence. »4 Si l’on pensait que ça n’avait rien à voir avec les enjeux du genre, qu’on songe au fait qu’aujourd’hui, en Europe, on assiste à la montée des partis d’extrême-droite, lesquels font reculer les droits à l’avortement – comme en Pologne et dans une trentaine d’autres pays du monde (dont les États-Unis et le Brésil) réunis autour du « Consensus de Genève ».

Comme toujours, l’intersectionnalité offre des clés de lecture. En France, selon le rapport du CCIF de 2019, 70% des actes islamophobes ont été adressés contre des femmes musulmanes ou supposées l’être en 2018. Pourtant, la majorité des attaques terroristes armées et revendiquées par des groupes islamistes sont identifiées comme étant perpétrées par des hommes. Les femmes tendent donc à être associées plus spontanément au quotidien à des objets et des cibles faciles d’attaque « ordinaire », non-organisée et impulsive lorsqu’il s’agit d’exprimer ouvertement un ressentiment diffus à l’égard des populations de confession musulmane. L’habitude d’une certaine impunité et normalisation face aux agressions commises envers des femmes et groupes minorisés, jusqu’au sommet de l’État, vient appuyer cette tendance. Il est par ailleurs rare qu’on questionne les contextes systémiques, voire géopolitiques qui entraînent agressions et attentats. Il faut rappeler le nombre d’entre eux perpétrés par des personnes s’identifiant à des idéologies d’extrême-droite (la majorité le sont aux États-Unis5) et souvent ouvertement misogynes. Cela confirme l’orientation politique par laquelle on véhicule la narration médiatique autour de ces événements en termes moraux de Bien et de Mal et leur exploitation. Cette division binaire rend difficilement compte des violences interstitielles propres aux dynamiques intersectionnelles. Ainsi, le 24 octobre dernier, la chanteuse de Lous and the Yakuza relatait sur son compte Instagram un cas de cyber-harcèlement à son encontre visant sa couleur de peau foncée, dont elle expliquait qu’il provenait pourtant d’hommes noirs. Un système de domination hiérarchique sur la base du genre, de la race, de la classe et/ou de la validité affecte aussi les dynamiques intra-communautaires, comme c’est le cas du colorisme. Le fanatisme n’est enfin pas le propre d’une religion comme l’Islam, quoi qu’en disent les adeptes du « séparatisme », sinon nous ne pourrions pas parler d’un fanatisme capitaliste et suprématiste qui estime qu’une croissance exponentielle infinie est possible dans un monde aux ressources finies et que ses bénéfices seraient « naturellement » échus aux hommes blancs (comme catégorie sociale), cisgenres et hétérosexuels. Ces derniers auraient autorité pour ce qui est de décider du cours de sociétés entières et de leurs écosystèmes naturels. La hiérarchisation raciale sert en effet très bien l’exploitation des ressources (matérielles comme humaines) par une classe dominante. Selon les chercheurs-ses du collectif Zetkin, « L’accaparement et l’empoisonnement [des terres de populations comme les Amérindiens ou les Ogoni dans le delta du Niger] n’est admissible que si leur valeur humaine est diminuée. Les exploits qui font la fierté des « races civilisées » n’auraient jamais pu être accomplis sans les matières premières, les marchés d’outre-mer et l’esclavage africain. »6

En France, le ton martial utilisé depuis le début de la crise sanitaire et économique liée au coronavirus, qui fait suite à la violente répression des mouvements de protestation des « Gilets Jaunes », illustre parfaitement les mécanismes d’accoutumance à l’injustice sociale par l’application de la « stratégie du choc » (Naomi Klein, 2008). Des interventions impeccables sur l’auto-détermination comme celle de Sara El Attar, consultante en gestion de projet et jeune femme voilée, sur la chaîne Cnews (21 octobre 2020), montrent bien l’effort de résilience constamment supporté et pourtant invisibilisé face au faisceau d’injonctions et de projections imaginaires – ici de façon exemplaire sur un plateau de télévision, face à des personnes qui ne comprennent, ne vivent et ne s’ouvrent pas à des réalités d’existence différentes des leurs. De nombreuses personnes des communautés Sud-Asiatiques tentent également de rendre plus visibles et lisibles leurs expériences sous-représentées et mal comprises (relatives aux communautés de couleur Brown). La conjonction entre un contexte global et géopolitique violent et l’absence d’espaces de dialogue sous le règne néo-libéral continue par ailleurs de provoquer des situations d’incompréhension et de violence inacceptables, qu’il s’agisse du meurtre de l’enseignant Samuel Paty par un fanatique religieux comme de l’agression au couteau d’une famille musulmane par deux femmes avec leurs chiens sur le Champ de Mars (20 octobre 2020). On pourrait croire que les situations de violence ne sont pas non plus une spécificité du néolibéralisme ; seulement sa spécificité bien réelle, c’est qu’un accès facilité aux ressources (matérielles mais aussi morales, intellectuelles, culturelles) existe, mais qu’il soit confisqué par les écarts de richesse, lesquels sont entretenus et accentués sans mesure (voir les derniers rapports Oxfam). Une tension de plus en plus grande continue de croître dans la marge restante entre précarité et confort. Plus celle-ci est atteinte, plus nous espérons préserver le peu de confort et de protection qui nous est offert, et nous nous rendons prêt-e-s à accepter la progressive destitution des « libéralismes politiques », selon les termes révélateurs annoncés par le président russe Vladimir Poutine, il y a de cela un an.7 Ceci correspond à la mise en place de l’accoutumance au pire, tant que nous n’en sommes pas personnellement touché-e-s, d’où le nécessaire maintien d’une dichotomie raciste Nord / Sud.

Nos corps et nos vies sont prises dans tout cela, et rien n’en reste sans effet sur nos représentations et nos apprentissages, comment nous nous formulons nos futures et composons avec un présent chargé d’une histoire par ailleurs souvent tue ou déformée, orientée politiquement (qui aujourd’hui a déjà entendu parlé des « folles de la Place Vendôme », ces mères venues protester contre les violences policières entre 1982 et 1986 ?8). Les rapports de pouvoir qui sont engagés désignent les espaces ouverts pour l’élaboration personnelle et collective et en referment d’autres. Genres et sexualités sont intimement dépendants de ces facteurs contextuels et constamment reconstruits, comme le signalaient les concepts que nous avons abordés précédemment liés aux hétérotopies chez le philosophe Michel Foucault. Adresser les problématiques qui leur sont liées ne peut se faire sans questionner ces contextes et leurs échelles, pour en tirer les grandes lignes, structurer son regard, se mettre à l’écoute de l’élaboration singulière de tout trauma.

Apprentissage social et la symbolique des monstres

Avant de revenir aux questions directement liées au genre et aux sexualités, faisons un détour par le cinéma et notamment avec un film : Us (2019), écrit et réalisé par Jordan Peele. Celui-ci représente une famille Noire Américaine de la classe moyenne, les Wilson, en vacances d’été à Santa Cruz, en Calilfornie. La nuit venue, iels sont confronté-e-s à leurs doubles horrifiques, toustes habillé-e-s d’une combinaison rouge et armé-e-s d’un ciseau, qui montrent l’intention de prendre leur place. Sans rentrer trop dans les détails pour celleux qui souhaiteraient voir le film (nous annoncerons un spoiler), on peut en dire que le point pivot de l’histoire se situe autour du personnage d’Adélaïde (Lupita Nyong’o) et du double qui lui est relié (Tethered), dont on apprend la nature véritable à la fin du film. Ce dernier introduit des éléments symboliques discrets qui captent l’attention d’Adélaïde et évoquent l’existence parallèle de deux mondes : l’un évoluant à l’air libre, l’autre souterrain. Les gens ordinaires, et les monstres. La classe des dominants, la classe opprimée. Le récit officiel et son oubli, l’Histoire et sa livre de sang. On apprend plus tard que la population des doubles peuplant les souterrains aménagés est issue d’une expérimentation scientifique avortée qui avait eu pour but initial de contrôler les personnes à la surface. La scène d’ouverture du film montre la personne qu’on identifie comme étant Adélaïde enfant se promener le soir avec ses parents sur la promenade au bord de la mer, tout au long de laquelle se tient une fête foraine. La petite fille échappe à la surveillance de ses parents et se perd dans une galerie aux miroirs sur le thème de la forêt et du chamanisme Amérindien. Celle-ci invite les promeneurs-ses à « Découvrir qui iels sont ». Adélaïde y fait la première rencontre avec son double et une grande part du film tourne autour de la relation traumatique entre les deux êtres. Le schéma manichéen Bon-ne / Méchant-e est ainsi remplacé par une ambivalence entre coupable et victime qui lie Adélaïde à Red.

Illustration 1: Lupita Nyong’o dans Us, de Jordan Peele (2019)

(Spoiler : Ce qu’on découvre à la fin du film, c’est qu’à ce moment qui initie le récit, le double enlève la petite fille et l’emmène dans les souterrains où vivent les « Relié-e-s », lesquel-le-s sont dénué-e-s de parole. Elle prend ainsi sa place à la surface et usurpe son identité, tandis que la « vraie » Adélaïde se retrouve la seule douée de parole dans un monde clos, semblable à un cauchemar. Mais pour cela, alors même que les parents d’Adélaïde à la surface retrouvent une enfant incapable de parler et étrange qu’iels ne reconnaissent pas, celle-ci devra apprendre à intégrer le langage et les codes de leur monde, le monde « libre ».)

Le film Us, au-delà de la construction symbolique très fine évoquant l’histoire des États-Unis et la construction de l’altérité (le massacre des Amérindiens, la mise en esclavage des populations Noires Africaines, l’exploitation capitaliste des classes prolétaires, …), pose la question de l’apprentissage des codes sociaux, symboliques et corporels (les premiers indices qui trahissent finalement la véritable identité d’Adélaïde) et du même coup, des interfaces qui font la médiation entre soi et les autres. Cet apprentissage et ces interfaces régulent les interactions sociales et les réseaux de valeur. Au final, ils permettent donc à Adélaïde de réussir à jouer le rôle d’une jeune femme comme les autres, qu’elle vient aussi à apprendre grâce à la danse, l’art comme vecteur de singularité. La symbolique du masque est là constamment dans le film et fait presque écho au terme de masking (« masquage ») dans le lexique analytique féministe des neurodiversités, lequel désigne l’effort constant de conformation aux normes de conduite sociale dans le but de favoriser son intégration et d’éviter le stigma de la différence. Or, comme l’affirme Morgan-e Blier, militant-e queer et handi-e, « personne n’a jamais été normal. Le corps humain n’a jamais été standard. »9 Le thème du monstre, pris ici dans sa dimension horrifique, évoque celui des freaks, des gens différents, à la marge, comme les off colours de Homeworld dans la série animée Steven Universe (2013-2019). Les espaces sociaux « normaux », leurs mondes de représentation et leurs codes fonctionnent ainsi comme des interfaces sociales et symboliques qui sont soumises à une lecture, à une interprétation et à une évaluation constante. On évalue et on surveille sa conformation à la norme et celle des autres constamment, de façon compulsive, comme condition de notre évolution dans les espaces où notre corps est exposé. (Nous avions développé autour de ce thème l’idée d’une méta-herméneutique, soumettant à l’interprétation tout champ lisible du corps soumis au regard.)

Dans Us, la concomitance récurrente d’identités semblables mais sensiblement différentes par leur allure et leur comportement souligne « l’inquiétante étrangeté » (Sigmund Freud, 1919) d’une indétermination et d’une indécision. J’hésite entre m’identifier et rejeter l’élément auquel je suis censé-e pouvoir m’identifier. Dans une scène mettant en parallèle la vie des « Relié-e-s » avec celle de leur « Originaux-les » à la surface, nous sommes constamment en train d’établir des correspondances, de retrouver les ressemblances et les divergences, et c’est cette tension entre deux mouvements contradictoires – d’attraction et de rejet – qui crée le malaise, l’espace de différence et le décrochage du rapport entre la reproduction et sa référence. C’est parce qu’il y a un effort constant d’évaluation et que cet effort est actif que toute divergence est perçue comme une perturbation de l’effort d’identification. Le film aborde ainsi brillamment le thème du pulsionnel, qui de la même manière que le concept de jouissance, on l’a vu (Darian Leader, 2020), est soumis à un usage qu’il s’agit ici de questionner.

Le « pulsionnel » ou la rupture de l’intimité

Comme évoqué dans l’article précédent, la (com)pulsion de répétition et la jouissance s’établiraient dans l’absence de terme (autant compris comme fin que comme objet signifiant défini, ayant un contour bien délimité et une forme finie), voire l’impossibilité d’un terme. Il est impossible d’assimiler la personne à son double ou à sa propre image dans le miroir, comme il est impossible pour sa propre main d’être l’objet et l’agent pour s’en saisir, et c’est parce que cette distance est irréductible que notre perception établit dans cette image une distance, qui est imaginaire parce qu’on ne peut la résoudre ni la combler. Elle résiste en tant qu’objet non-assimilable à la parole. C’est l’idée que nous avions observée dans le dispositif logique de l’identité posé par le psychanalyste Jacques Lacan (voir « Identité et identification »), empruntant à Saussure l’idée qu’un signifiant se définit d’abord par tout ce qu’il n’est pas – y compris lui-même comme faculté à se répliquer. Si une chose est Une, elle n’est pas censée avoir un autre qui lui soit identique, d’où l’incongruité de sa propre réflexion. Ce genre d’idée a beaucoup nourri des démarches artistiques conceptuelles comme celle du plasticien Marcel Duchamp au début du siècle dernier ou du compositeur John Cage dès la fin des années 40. Elle pénètre de manière générale, comme nous l’avons vu, toutes les questions liées à l’altérité dans les points de vue assignés à la minorité sociale.

Or, de la même manière que nous avons critiqué l’usage préférentiel des concepts théoriques liés au sexuel, pour envisager plutôt les processus de sexualisation, nous devons nuancer la catégorie de « pulsionnel », habituellement jugée comme élément élémentaire et irréductible. Que serait un corps sinon un ensemble coordonné de pulsions ? Nous avons vu avec Francisco Varela qu’une vision prescriptive du monde naturel et humain pouvait distorde notre champ de perception et d’évaluation. Parler de pulsion revient à parler d’un donné qui s’établirait en-dehors de toute structure relationnelle. Or, nous l’avons vu, il faudrait envisager les choses autrement parce qu’il n’y a pas d’expérience qui puisse en fait exister en-dehors de ce cadre, en vertu même du principe de sensorimotricité – lequel implique tout corps au cœur des modalités d’interaction qui le lient à ses environnements perçus. Une expérience est ainsi toujours incarnée et située dans cette intrication du fonctionnement sensorimoteur des corps avec leurs environnements d’expériences qu’ils réinventent constamment (F. Varela, E. Thompson & E. Rosch, 1991). De même, l’exercice de la pensée, l’ouverture de l’imaginaire puis l’élaboration symbolique et structurelle du langage prennent toutes racine dans ce cadre. Les modalités d’interaction qui régulent nos expériences aujourd’hui sont de surcroît interdépendantes des systèmes de règles et de dettes qui forment nos environnements sociaux de façon artificielle (joignant le corps aux actes de langage, au sens d’artifier emprunté à la chercheuse en neuroesthétiques Ellen Dissanayake) et répartissent les espaces de pouvoir – notamment en fonction des critères de genre (Kate Millett, Sexual Politics, 1970), mais aussi de race, de classe et entre autre, de validité. C’est parce qu’il y a ce regard de l’autre que ma relation à mon corps embarque avec elle la mémoire d’une sanction et sa situation traumatique. Si le pulsionnel désigne tout ce qui du corps n’est pas pris en charge dans le champ social, laissé à la charge de l’individu-e qui se devra de le contenir, alors non seulement la dimension sociale doit être prise en compte dans sa qualité de regard auquel on soustrait la pulsion, mais aussi comme espace de rupture de l’intimité de la personne avec son propre corps. À qui alors adresser la douleur ou le plaisir de ce corps-là ?

Par peur de complaisance avec cette charge pulsionnelle suspectée chez la personne qui fait office de patient-e et par attachement, lui-même suspect, à un lexique témoignant d’une objectivité scientifique « neutre » (sous-entendue de tradition masculine), la théorie psychanalytique, chez Sigmund Freud comme chez Jacques Lacan, a fini par déposséder le sujet de cet espace propre à soi où on loge le pulsionnel – parfois en oubliant sans doute eux-mêmes qu’ils étaient des « sujets parlant » dépendants des conditions de leur propre émergence et culturellement situés – et qui est tout simplement l’intime. Au-delà du corps en tant qu’objet de pulsion, il y a les différents espaces d’élaboration de son action et de son sens, lesquels ne se valent pas et n’incluent pas les mêmes droits de réponse. Ceci agit sur la qualité même de tout symptôme, puisqu’il pourra être interprété tout à fait différemment, par exemple, selon le genre de la personne (il n’y a pas d’exemple aussi emblématique à ce titre que le diagnostic d’hystérie). Il existe un territoire de relation à son corps propre qui doit être réapproprié par la personne et pour elle-même. Et c’est très important, parce que la rupture de l’intime causée par la sanction – notamment morale, dans ce qu’elle se signale comme un impératif préventif, par ailleurs souvent signifié dans la théorie psychanalytique et son usage par le concept orienté de « castration » – est justement ce qui marque l’expérience directe du corps du sceau de la culpabilité. Or, si on ne met pas la culpabilité assignée à la pulsion en rapport avec la légitimité qui devrait être absolue de l’expérience intime, on manque aussi la perspective de la cure, qui est non tant l’acceptation d’un « désir » impérieux en tant que construction inconsciente du pulsionnel, mais la réappropriation de l’intime, qui peut ou non faire part à la sexualisation de cette expérience. On ne peut s’abstenir de contextualiser le pulsionnel au même titre que le sexuel et de les ramener à leurs conditions d’émergence en tant qu’objets symboliques.

Darian Leader a examiné avec attention les gestes compulsifs de nos mains dont on ne sait que faire dans l’espace public et même privé, partout où elles sont potentiellement soumises au regard (Mains, 2017). Cette compulsion signale une insécurité face à une non prise en compte du corps dans ses dimensions expressives dans l’espace social, autant que la compulsion de rectification, d’isolement, de séparation de leur activité du reste du corps visible, lequel doit être normalisé de façon impérieuse. Pour autant, est-ce que ce « pulsionnel » existe en-dehors de son rapport de tension avec cette force de conformation issue du champ d’interprétation sociale ? Au-delà de sa dimension strictement nerveuse, le pulsionnel est coloré d’une violence. Or, nous avons vu que toute violence est co-dépendante du champ moral qui impose et prescrit une contrainte du corps et sa conduite préférable. Le pulsionnel émerge de cette violence qui est une rupture de la capacité du corps à s’auto-déterminer et à se présenter à lui-même. Le pulsionnel se présente comme une transgression, mais cette même transgression se prend à la mesure des interdits prescrits et de l’absence d’une répartition équitable des espaces de parole et de réinvention de soi. Ces champs forment des interfaces interprétatives et sociales qui conditionnent l’accès au sens et à sa situation équitable. L’apprentissage du respect de l’intégrité physique et psychique des autres devrait être prioritaires. Cet apprentissage permettrait de soumettre une frustration éventuelle à sa propre évaluation et à projeter des alternatives dans les champs intermédiaires restant ouverts. Or, le champ moral et prescriptif impose une conduite linéaire qui ferme l’accès aux alternatives à partir d’un certain point d’acceptabilité sociale, laquelle est basée sur des normes et des conventions et intriquée à des impératifs politiques et hiérarchiques.

Cette compartimentation des espaces possibles est tout à fait lisible dans la séparation imperméable entre les espaces naturels et urbains, comme l’exprimait l’essayiste Sylvia Federici avec le concept d’enclosure (voir « Identité et identification »). Le pulsionnel n’existe pas hors de l’enfermement, du cloisonnement et de l’orientation qui lui donnent sa norme et dont la binarité est le premier inhibiteur de nuance (Bien / Mal, homme / femme, riche / pauvre, peau claire / peau sombre, valide / invalide, …). Permettre l’élaboration ouverte des moyens d’expression propres et des modalités de dialogue est loin d’être une porte ouverte au crime si elle permet, encore une fois, l’apprentissage du respect mutuel du droit à l’auto-détermination. Ses termes ne reflètent pas non plus un manque de complexité ni une dimension utopique. Ils évitent juste de porter caution aux structures signifiantes qui prennent la perpétuation des violences systémiques comme un donné. C’est grâce à cette flexibilité qu’on permet au contraire une régulation sereine des espaces collectifs et intimes et par là, de la liberté.

1In Paul Ricœur, Ecrits et conférences 2 : L’herméneutique, ed. Seuil, 2010.

2En France, la situation dans les Antilles est toujours préoccupante, notamment en regard de la pollution des terres par l’épandage de pesticides et de la répression des mouvements de protestation. L’activiste féministe et anti-raciste Angela Davis dira même d’un pays comme la Martinique que son fonctionnement, soumis à la Préfecture Française, s’établit toujours comme celui d’une colonie (à la conférence « Moving Together: Activism, Art and Education », Université d’Amsterdam, mai 2018).

3In Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, ed. Flammarion, 2004.

4Discours donné le 22 janvier 2007, Fondation Abbé Pierre.

5http://www.slate.fr/story/196417/supremacistes-blancs-majorite-attentats-terrorisme-interieur-etats-unis

6In Zetkin Collective, Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat, coordonné par Andreas Malm, ed. La fabrique, 2020. Lire aussi l’article de Basta ! Mag, « Déni du réchauffement, mépris pour les renouvelables, haine des réfugiés climatiques : le « fascisme fossile » », 22 octobre 2020.

7https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/28/les-grandes-lecons-illiberales-de-vladimir-poutine-au-financial-times_5482876_3210.html

8Voir l’ouvrage de Fatima Ouassak, La puissance des mères : pour un nouveau sujet révolutionnaire, ed. La découverte, 2020.

9« C’est une idée qu’on nous a mise dans la tête pour qu’on soit d’accord avec la façon dont on maltraite les personnes qui ne sont pas considérées comme appartenant à la norme. Il faut bien se rendre compte que […] la façon dont les gouvernements, les groupes, les institutions, les entreprises et les individus traitent les personnes malades et/ou handi est pire que de vivre avec une maladie et/ou un handicap. Et d’autre part être valide, non malade, est un état temporaire. Il va y avoir un moment dans votre vie où vous allez vous casser la cheville, où vous vous rendrez compte que vous n’êtes pas câblé comme tout le monde, où vous allez tomber malade, où simplement vieillir. » Dans un témoignage du 23 octobre 2020(dont nous tairons la source ici), où iel parle de l’effort constant de sur-adaptation et d’effacement de son handicap. Le « camouflage » (masking) peut en effet s’appliquer aux handicaps de manière plus large.

Crédit photo : « Papillon », La Fille Renne ❤

Genre et sexualisation : processus de différenciation et contexte social

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La présence de forces punitives et répressives soutenant les injonctions aux normes de genre face aux divergences vis-à-vis de celles-ci rend difficile à évaluer la part réelle de la population qui en serait affectée. En effet, l’injonction à l’adaptation masque (terme emprunté au lexique d’analyse sociale des neurodiversités) en effet l’émergence des signes distinctifs par lesquels les personnes se reconnaîtraient éventuellement ou pas dans une certaine typologie d’expérience. Comme nous l’avons vu dans l’article « Identité et identification », des assertions du type « C’est un homme » ou « C’est une femme » impliquent tout un univers de sens forgé par les dynamiques sociales et morales en présence, lesquelles agissent sous le mode de la prescription. Ces deux assertions n’ont pas non plus la même valeur sociale – et par extension institutionnelle, voire médicale –, le statut d’homme étant plus valorisé. Par là même, la transmisogynie peut exister à la convergence de la transphobie et de la misogynie.1

Nous avons cité le philosophe post-structuraliste Michel Foucault, chez qui l’emploi des termes d’hétérotopie et d’utopie renvoient à cet état de tension entre des espaces de divergence et leur contexte normatif. C’est vis-à-vis de ce contexte, selon le philosophe, qu’une utopie sociale et intime est placée hors de la cité, renvoyée à un statut d’hétérotopie ; c’est-à-dire que c’est le contexte normatif de la société conçue comme un ensemble cohérent et uni qui formule les processus de différenciation et par conséquent, de friction, de conflit. C’est parce que l’utopie de ces espaces est jugée déviante qu’elle est également jugée différente et assignée à la minorité, c’est-à-dire à un traitement différencié vis-à-vis du droit, un régime d’exception. Nous avons vu en quoi les figures trans* (formulation qui comprend l’intégralité du spectre des identités trans, comme les non-binarités), intersexes, gays, lesbiennes, bies ou asexuelles, racisées, déclassées et/ou invalides physiquement et/ou psychiquement, ou encore la figure de la pute, étaient soumises à un traitement d’exception justement parce qu’elles ne seraient « pas comme nous ». Seulement pour oblitérer le caractère arbitraire et subjectif de cette mise à distance, le jugement d’exception sur la base de l’identité supposée fait recours à la rigidité de la loi morale.

Comme l’explique la sociologue Karine Espiniera, la binarité fondatrice de ces structures morales et la manière dont celles-ci fabriquent la « normalité » et les conditions de son consentement sont celles-là mêmes qui infligent les types de la féminité et de la masculinité auxquels toute personne, y compris les personnes jugées divergentes (LGBTQIA+, racisées, de classe défavorisée mais aussi, par exemple, grosses, neuroatyiques et/ou handicapées physiquement, …) seraient supposées devoir correspondre pour que leur identité – de genre – soit avérée. De fait, selon elle, on a « psychiatrisé le genre »2, ce qui n’est pas sans rappeler la longue histoire de la psychiatrisation des femmes sous prétexte d’hystérie.3 À la fluidité des identités (dont on n’a vu qu’elles ne pouvaient être que des approximations) répond l’illusion d’une loi morale absolue qui fonde l’établissement d’un système de différence et de hiérarchie juridique et sociale, tout en se rendant aveugle à la violence qu’elle inflige et ce de manière d’autant plus forte que nos sociétés dans leur ensemble ont tendance à se précariser, notamment sous l’effet du modèle patriarcal, hétéronormatif, capitaliste et néo-libéral.4 Si une éthique sociale digne de ce nom se devrait avant tout de respecter les conditions d’auto-détermination mutuelle et l’intégrité physique et psychique de chacun-e, le champ de la morale s’appuiera sur la tradition et l’habitude (terme emprunté au sociologue Pierre Bourdieu, plus précisément l’habitus) pour prescrire en priorité les conduites qu’elle juge prioritaires, valorisantes et répondant à des catégories prédéfinies (le cas des opérations non-consenties sur les personnes intersexes à la naissance en est un exemple radical et flagrant, comme le rappelle la militante Maud Yeuse Thomas5). Ce champ moral façonne les interactions sociales et les structures politiques de nos sociétés qui relèguent les espaces non-balisés au champ du fantasme, à l’absence de liens d’entente et à la peur de l’inconnu. L’univers dominant la représentation de soi et des autres est donc un facteur déterminant dans la capacité à laisser s’ouvrir des espaces d’autonomie qui en eux-mêmes peuvent n’avoir pas vocation à se positionner comme différence.

Si une situation de soi dans une identité signalée comme divergente peut avoir comme racine le refus du modèle de conduite dominant, prescrit au mépris de l’expérience intime, affective et émotionnelle de l’individu-e, la majeure partie des personnes qui s’inscrivent dans ces identités le font d’abord par la nécessité impérieuse d’accorder leur identité sociale à la part la plus inaliénable de leur expérience. Celle-ci est aussi la moins communicable par le langage, premier créateur de norme, dont nous avons vu le caractère nécessairement approximatif, qui va de même pour les normes en question. Comme le dit si bien Delphine Montera (Autiste queer le docu), c’est par cette même tentative de figer notre expérience dans le langage que notre relation à nos émotions est cadnassée et par là, notre capacité à l’empathie, laquelle pourrait fonder cette éthique sociale évoquée plus haut. Les espaces de divergence sociale sont en cela d’excellents exemples de la nécessité de réajuster, de reconfigurer ses habitudes de relation avec les catégories normatives et les espaces qui leur correspondent. Ce « faire autrement » souligne la « mobilité sociale » requise, pour reprendre le terme du sociologue Emmanuel Beaubatie6 pour composer avec les suppositions qui sont faites sur les rôles de genre, de race, de classe et autres au sein des interactions sociales et de la distribution des espaces de pouvoir.

« Il n’y a pas de rapport sexuel »

C’est donc la différenciation qui fait l’autre. Si nous reprenons la définition que nous avons faite du trauma dans des travaux ultérieurs (Seeking stability), c’est la distance qu’on ne parvient pas à remplir qui donne matière à l’élaboration d’une différence entre soi, l’autre et la marque de la rencontre, du contact (qui comprend également tout contact sensoriel qui oblige l’individu-e à réactualiser ses modes de relation au monde qui l’entoure). Dès lors, on peut se souvenir de cette fameuse assertion du psychanalyste Jacques Lacan, qu’on cite et commente abondamment : « Il n’y a pas de rapport sexuel. » (Séminaire XX, 1972-1975, qui traite du rapport entre la jouissance et l’amour.) Le critère de différenciation est un critère juridique. Il signifie la démarcation. Reste l’espace d’indétermination qui serait l’espace investi par la « jouissance », ce reste qui « ne sert à rien ». À la détermination par le langage ou par le signifiant, répond la sur-détermination du climax a priori recherché dans la jouissance, à savoir un orgasme. Sur-détermination parce qu’à ce moment-là, on pourrait dire que le système nerveux est saturé, complètement occupé et ne laisse plus de place à une quelconque imagination. Au contraire, on retient son souffle, on suspend tout, d’où qu’il advient que les ressorts par lesquels on se lie à l’autre, qu’iel soit réel et/ou imaginaire (on s’adresse à l’objet du fantasme), s’effondrent. L’idée d’un « rapport » qui s’établirait par la structuration codifiée et signifiante du langage ne tient plus, donc au sens strictement logique (qui est fondateur dans la réflexion lacanienne), « il n’y a pas de rapport sexuel » parce que dans ce moment d’occupation totale du soi (c’est-à-dire de l’appareil psycho-moteur, du corps dans son ensemble), il n’y a plus de place pour une conscience de quelque chose autre – par extension de quelqu’un-e d’autre que cette expérience prescrite et circonscrite dans le temps et l’espace de ce corps-là. Pour autant, quand on en sort, on est bien obligé-e de se remettre en relation avec l’autre et la réalité de son environnement immédiat. Ce que pourrait admettre la théorie lacanienne si elle se l’avouait à elle-même, c’est qu’au final, peu importe le modèle qui structure les relations au sortir du pic de cette jouissance puisqu’au final, ce serait ce pic qui nous intéresserait. Nous allons donc continuer plus loin et dire que non seulement « il n’y a pas de rapport sexuel » mais, comme annoncé dans l’article « Identité et identification », il n’y a pas de sexuel tout court. On parle du « sexuel » dans la théorie et la pratique psychanalytique parce qu’on assume la fixité des catégories qui le fonde ; par exemple, une « jouissance phallique », assignée à « l’homme », contre une « Autre jouissance », assignée à « la femme » – qui selon Lacan n’existe pas mais moins sur le plan symbolique, si le Phallus structure le « sujet parlant » il reste la trace d’une sorte de dynamique différentielle active contre passive, et c’est ce contre qui posa problème jusqu’à Lacan lui-même et l’engagea apparemment à poser un troisième terme de sortie. C’est à partir de ses objets supposés qu’on fonde le « sexuel », sans se préoccuper, encore une fois, des présupposés sociaux, politiques et symboliques qui conditionnent le maintien des structures par lesquelles ces objets de langage et d’imaginaire continuent de contraindre les conduites sociales et intimes. On ne parle pas de socialisation du genre pour rien, parce que les imaginaires qui nous sont transmis par notre apprentissage des règles de conduite en société prescrivent ces dernières comme autant d’espaces exclusifs de réalisation. C’est pourquoi la théorie et la pratique psychanalytiques, entre autre, restent dans une impasse si elles n’admettent pas le conditionnement des catégories supposées du « sexuel » par des dynamiques de pression sociale très concrètes, ne serait-ce que d’être inclus-e dans un milieu professionnel, culturel et/ou scientifique et/ou médical lié à l’adresse du corps et du psychisme humains.

Il n’y a donc pas de rapport sexuel pour autant qu’on considère que le sexuel soit une chose (terme freudien du ça) autonome et structurante. La psychanalyste Laurie Laufer explique que « Chez Freud, la sexualité est pensée comme sexuel élargi [et non stable, illusoire et indisciplinée]. Dans ce premier temps fondateur de la psychanalyse et inaugurant une véritable rupture, il y a chez Freud une dissociation essentielle dans la sexualité entre plaisir et reproduction. La question de la pulsion dissociée de son objet de satisfaction est un moment capital de l’invention freudienne. Freud a conservé jusqu’aux derniers textes l’idée d’une polymorphie de la sexualité infantile. Ce qui caractérise les pulsions sexuelles, dit-il encore, c’est leur immense plasticité et non pas l’objet de la pulsion elle-même. Ce moment fondateur qu’est l’invention freudienne fait du corps un lieu érogène, sexuel, pris dans un excès pulsionnel et à partir duquel une singularité symptomatique devient langage inconscient. Un corps pour la psychanalyse est d’abord pulsionnel. »7 Or l’altérité, fondamentalement, dans l’optique théorique du paradoxe sensorimoteur, c’est la rupture entre la production d’images mentales (de mémoires) et leur ancrage dans la réalisation motrice. Cette main que je vois et qui est la mienne m’apparaît comme n’importe quel autre objet mais si je veux que cet objet demeure, il faut que je renonce à agir, à réaliser l’action vers laquelle je suis tendu-e dans ma relation à cet objet. L’état de tension et de suspension serait présent, dans cette optique, dès le commencement des facultés signifiantes primaires et pourtant, ceelui-ci n’a pas fondamentalement une nature sexuelle. Il y a une accumulation d’énergie, une violence de contension, peut-être une jouissance, mais il y a une marge entre faire l’expérience de cette situation de blocage et l’investir d’une intention et d’une mémoire se référant à l’expérience sexuelle. S’il y a une sexualisation, elle ne peut venir que dans un second temps, attribuant une certaine valeur à cette « absence de rapport », non pas entre le sexuel et le signifiant, mais entre l’image et l’action correspondante (peut-être le champ du fantasme) – plus précisément entre l’image située dans mes modalités de perception et son énaction (terme emprunté au neurobiologiste Francisco Varela) sensorimotrice. Comme le signale le psychanalyste Darian Leader, on ne peut attribuer la catégorie de « jouissance » à tout et n’importe quoi de manière indifférente.8 Sa genèse et son cadre relationnel priment sur les symptômes qui la signalent. Mais plus encore, l’erreur est de considérer la chose sexuelle comme étant si autonome et si impérieuse que le désir et la jouissance de l’individu-e finiraient par sortir complètement de ce cadre relationnel. À partir du moment où on traite du sexuel et qu’on en emploie le terme, c’est même ce que dit Lacan d’une certaine manière, on se met en relation avec un objet signifiant qui nous accapare. Et c’est dangereux de se laisser accaparer par sa propre relation avec ce type de signifiant, qui peut-être emporte une jouissance, une ligne de tension, qui investit vers l’avant le mot d’une pulsion et entraîne le discours à parfois justifier la culture du viol dans nos sociétés et certaines considérations douteuses sur la sexualité dite « infantile » en vertu de l’observation du « pulsionnel ». Or il n’y a de sexualité que construite socialement et historiquement9 (chose déjà soulignée par Michel Foucault et avouée autant par Freud que par Lacan), qui peut l’être chez une personne adulte lorsqu’elle y consent mais jamais de façon pleinement entendue dans ses causes et ses conséquences chez des personnes mineures, quelque soit la manière dont on les sexualise. Ces seuils de compréhension doivent être structurés dans une éthique de l’apprentissage social.

Qu’un-e enfant ou qu’un-e adolescent-e fasse la découverte de son corps, du plaisir et de la douleur est une chose. Qu’on considère cette découverte comme une « sexualité » et comme étant relatif au « sexuel » sur le même niveau que l’adulte est une faute que la psychanalyse ne peut pas se permettre. La question de l’ascendant psychologique et de l’abus de pouvoir dans les affaires de pédocriminalité dépasse de loin la seule question du sexuel, mais pas seulement. Comme le raconte le comédien Océan dans son podcast La politique des putes, même le consentement et le désir peuvent être mus par des nécessités matérielles qui justifient le travail et la transaction sexuelle. Dans le travail du sexe comme dans la vie courante, le consentement et le désir peuvent s’exclure mutuellement, soit parce qu’on désire et ne contrôle pas le fait de désirer sur le moment mais qu’on refuse pourtant l’échange sexuel pour une raison autre (chose qui peut être, contrairement à ce qu’on pense, plus facile dans le travail du sexe que dans d’autres contextes, du fait de sa dimension clairement économique), soit qu’on ne soit pas animé-e d’un désir impérieux mais que par ailleurs, on consente à l’acte pour d’autres raisons, comme la simple envie de sexe, la curiosité, une situation particulière ou dans le cadre conjugal, la préservation de la « paix des ménages », lesquels peuvent ne pas aboutir en soi à une satisfaction sexuelle.10 Nous ne pouvons ainsi être aveugles des rapports pratiques de pouvoir (parfois insoupçonnés) qui fondent nos sociétés humaines et les interactions qui en découlent dans tous les aspects de nos vies. Par ailleurs, le « réel » du trauma, la blessure qui initie son élaboration, s’il ne peut trouver de relais pour se représenter à lui-même, reste une impasse, et nous faisons face à un grave défaut de représentation véridique et légitime de la complexité des voies par lesquelles les individu-e-s, dans leur isolement relatif, élaborent leur relation à leur corps. Cette séparation bien commode entre vie publique et vie privée lorsqu’il s’agit de ce que nos sociétés sont incapables de prendre en compte, comme le souligne Alice Coffin dans son Génie lesbien (2020), ne fait qu’isoler les personnes dont l’expérience ne trouve pas d’écho ni d’écoute ailleurs que dans leur sphère intime, leurs communautés ou un cabinet de psychanalyse (et encore, jusqu’à un certain point).

De la diversité des représentations

Dans nos sociétés actuellement, le corps n’est toujours pas bien pris en charge ne serait-ce que symboliquement, dans nos représentations. En France, il a fallu attendre le magazine Polysème pour avoir une revue papier promouvant de façon exclusive des artistes qui soient des femmes*, des hommes trans ou des personnes non-binaires. La sexualité (à défaut des sexualités) est toujours majoritairement et quasi-exclusivement représentée sur le modèle mécanique et obligatoire de la pénétration comme seul mode de plaisir sexuel socialement viable. Or cette vision mécaniste, focalisée sur l’agissant, c’est-à-dire le pénétrant (sous-entendu masculin), est ce qui permet à Jacques Lacan de définir la position du pénétré (sous-entendu féminin) comme « l’Autre » d’une « jouissance phallique ». Ce point de vue de départ, comme on a déjà pu le voir, élude complètement la partialité de sa propre situation lorsqu’il définit le « rapport sexuel », même râté, comme étant implicitement le fait d’un « homme qui pénètre une femme ». Dans ce système de différenciation, le critère discriminant, c’est l’agent, défini comme intrinsèquement masculin, qui détermine le point de vue opposé, défini comme intrinsèquement féminin, en fonction de ce que celui-ci lui répond (et Lacan affirme qu’il ne nous en dit pas grand chose et pour cause, puisqu’il faudrait être positionné-e pour l’écouter). La nature d’une supposée sexualité féminine est donc définie selon les conditions d’un rapport elles-mêmes déterminées par une répartition binaire des espaces de pouvoir. On retrouve la critique féministe autour du caractère soi-disant « infantile » de la stimulation clitoridienne promu par Sigmund Freud dans les années 20, qui ignorait bien d’une part, que l’orgasme vaginal est lui-même provoqué par la stimulation des branches internes du clitoris, et d’autre part, que la pénétration est loin d’être la seule voie d’accès au plaisir sexuel, ce que savent un grand nombre de femmes cisgenres, d’hommes trans et de personnes non-binaires pour qui la voie vaginale ne permet pas à elle seule d’atteindre un orgasme. C’est ignorer également le nombre et la créativité des modes de relation au corps qui fondent la diversité d’invention des sexualités et leurs singularités sans avoir à subir l’injonction à la performance hétéronormative de la pénétration comme seule voie d’accès à une sexualité épanouie. De manière générale, elles doivent s’émanciper de la stigmatisation des rapports à la sexualité sortant de ce cadre, laquelle assigne d’office les positions féminines et subalternes à le figure de la vierge ou de la putain, de l’objet de sacrifice volontaire ou du monstre à abattre.

Car la question que pose la valorisation hégémonique et obligatoire du coït hétérosexuel, c’est celle de la reproduction, certes biologique, mais aussi sociale. Si beaucoup témoignent d’une culpabilité à ne pas reproduire avec succès cette performance, c’est bien du fait de son mode prescriptif et de la représentation des rôles assignés aux individu-e-s, non seulement en fonction de leur genre supposé mais de leur attribution génitale (nous parlons tout aussi bien d’attribution dans le cas des personnes intersexes assignées à un genre ou à un autre de façon arbitraire et sur la seule base de l’apparence extérieure, sans le consentement des personnes concernées). Puisque ce schéma opère sur le mode de la prescription (« les hommes font ça et les femmes font ça et c’est comme ça ») et si la valeur de l’acte sexuel ne se prend que dans l’aboutissement du coït hétérosexuel (et dans les faits, celui-ci se finit le plus souvent avec l’éjaculation masculine), alors évidemment, il n’y a pas de rapport, puisque l’on est tendu, de façon téléonomique, vers une fin qui est aussi une séparation, un isolement de l’expérience à travers l’orgasme de l’un-e ou de l’autre des partenaires. Si tout l’acte est seulement conditionné par sa fin, excluant tout intermédiaire dans l’expérience des corps, supposant le seul caractère performatif de la pénétration, alors non, en effet, il n’y a aucun rapport, parce que l’emboîtement mécanique n’apporte en soi aucune découverte, aucun lien singulier, aucune relation qui se serait créée spontanément entre les personnes, entre les individualités engagées ensemble dans un moment de partage intime, même au-delà de l’amour. C’est la raison pour laquelle la philosophe féministe matérialiste Monique Wittig déclarait dans La pensée straight (1992) que « les lesbiennes ne sont pas des femmes », simplement parce que dans ce mode de « rapport » hétérosexuel, les lesbiennes ne prennent pas la place de « la femme ». Elles élaborent un autre territoire symbolique, de la même manière qu’il y aurait autant de sexualités que d’identités possibles relatives au genre et aux personnes qui se les réapproprient. Cela n’empêche pas la singularité de l’expérience d’un corps qui correspondrait à un certain type biologique, qui a son objectivité lisible, notamment, dans un pénis, une vulve ou une intersexuation. Mais cette singularité d’expérience est d’abord et en premier lieu vécue par la personne elle-même, qui a priorité sur le sens à donner à cette expérience, laquelle n’est pas communicable de façon littérale par le langage et lui appartient en propre, de façon inaliénable.

Le sexuel n’est donc pas une catégorie d’analyse valide parce qu’elle embarque avec elle un monde de sens chargé de violence. En fait, elle présume d’un certain état des choses qu’elle considère comme donné, dont il faudrait s’accommoder, sans remettre en cause les conditions de son élaboration et de son maintien. Ce premier article sur les questions liées au genre et à la sexualisation devrait, je l’espère, permettre de rétablir l’exigence d’une généalogie de nos rapports à nos corps, à nos expériences sensibles et aux autres, en société comme en intimité. Encore une fois, si l’expression féministe « L’intime est politique » est souvent répétée, c’est parce que nous construisons constamment notre relation à notre propre corps et à nos expériences en fonction de notre apprentissage social et de ses règles, à travers les dimensions du langage, lesquelles incorporent toutes les aspérités de l’élaboration traumatique. Toute rencontre sensorielle et émotionnelle donne lieu à l’élaboration d’un trauma, ne serait-ce que du fait de leur caractère éphémère et momentané. Le trauma a à voir avec la perte d’une rencontre, d’une situation, d’un contact qui laisse une trace et avec laquelle trace nous devons composer et recomposer notre rapport au monde. La rencontre avec la stimulation sexuelle annonce l’élaboration d’une sexualité qui formule notre manière de composer avec cette expérience et son contexte d’émergence. Il n’y a de sexualité que singulière car il n’y a d’expérience que singulière, ni de dialogue et de partage qu’avec des corps et des lieux propres à eux-mêmes qui forment une rencontre.

Nous espérons pouvoir ici ouvrir un site de réflexion où les moyens de cette élaboration sont rendus possibles.

1Vous pouvez écouter aussi les témoignages de l’épisode 25 de Un podcast à soi, « Les mauvais genres : trans et féministes », Arte Radio, avril 2020.

2Dans le même podcast, mais ses propos rejoignent ceux de Julia Serano dans Manifeste d’une femme trans, ed. Cambourakis, 2020.

3Nous vous rappelons l’enquête pionnière de la journaliste Nellie Bly, en 1887, 10 jours dans un asile, qui démontrait déjà le caractère abusif de l’internements des femmes dès lors qu’elles s’écartaient des rôles prescrits, notamment dans les classes sociales défavorisées.

4Voir les propos du sociologue Emmanuel Beaubatie dans le podcast cité.

5Idem.

6Idem.

7In Jean-Jacques Rassial et al., Genre et psychanalyse, ERES, « Psychanalyse poche », 2016, p. 42. Laurie Laufer ajoute : « Il est vrai cependant que l’inventeur de la psychanalyse n’a pas échappé aux corsets idéologiques et aux préjugés de son temps. Lors de cette première période de l’histoire, Freud met en perspective l’œdipe comme complexe structurant la vie psychique, la différence des sexes comme point de départ théorique de toute pensée de la différence. La psychanalyse est un savoir constitué en un temps où les femmes n’étaient pas encore des citoyennes, étaient assignées aux rôles d’épouses et de mères. Ces préjugés essentialistes ont eu des échos durant un bon moment dans la pratique et la théorie analytiques. »

8In Darian Leader, La jouissance, vraiment ?, ed. Stilus, 2020.

9C’est précisément le combat futile mené pour verrouiller les significations à l’intérieur du cadre qu’on leur a assigné qui fait du genre un objet historique intéressant, un objet qui ne contient pas seulement ce que Foucault appelle des “régimes de vérité” sur le sexe ou la sexualité, mais également les fantasmes et les transgressions résistant à toute régularisation ou catégorisation. C’est le fantasme en effet qui sape toute notion d’immutabilité psychique ou d’identité figée, qui insuffle un désir inépuisable dans les motivations rationnelles, qui participe des actions et des événements que nous appelons l’histoire » in J.W. Scott, De l’utilité du genre, trad. fr., Paris, Fayard, 2012, p. 14.

10Ecouter l’épisode 5 du podcast La politique des putes, « Désirer », produit par Nouvelles Écoutes, 2020.

Crédit photo : « Papillon », La Fille Renne ❤