À la suite de travaux militants sur des thématiques diverses comme le validisme et les questions queer (voir @austistequeer_le_docu par Delphine Montera et @tas_pas_lair_autiste par Evan) ou la pédocriminalité et les violences intrafamiliales et intracommunautaires (« Ou peut-être une nuit » de Charlotte Pudlowski chez Louie Média, « La fille sur le canapé » d’Axelle Jah Njiké chez Nouvelles Écoutes), nous avons décidé d’aborder la question du trauma sous l’angle politique du traumatisme comme valeur sociale. Dans quelle mesure la parole des personnes victimes de violences peut être dénigrée sous le seul prétexte que le traumatisme altèrerait leur jugement ? Quelle hiérarchie dans le rapport au discours et à la vérité cela suppose-t-il ? Dans quelle mesure la prescription d’une violence et d’un choc traumatiques peut être une arme politique et comment analyser la parole des victimes en ce sens ?
Un des fondements de la théorie du paradoxe sensorimoteur repose sur la généralisation du trauma. On y définit le trauma par tout ce qui marque l’altérité et laisse son empreinte sur sa perception du monde. On y intègre ainsi autant les chocs et rencontres violentes que la plus infime impression sensorielle, dont la marque oblige l’organisme à revoir ses stratégies, à se réorganiser et à s’adapter à cette reconfiguration du monde perçu (ce qu’en philosophie on désigne par le concept d’événement, comme l’explique Étienne Bimbenet, dans L’animal que je ne suis plus, 2011). Le trauma et son élaboration se font ainsi autour de la mémoire traumatique, du contact avec autre, laquelle est inaccessible sans réactiver le lieu d’une mémoire émotionnelle et sensorielle souvent difficile à supporter et à soutenir. Le moment de contact lui-même, dans son intensité, est difficile à se formuler à sa propre remémoration. Il fait partie du champ de l’indicible et ne peut ainsi faire l’objet que d’un contournement, d’une paraphrase, le flou. On parlera, par exemple, de « partie intime » pour parler du sexe, où la pudeur cache mal une gêne plus profonde.
Il n’y a pas de saut catastrophique
Nous pouvons reprendre les termes du neurobiologiste chilien Francisco Varela, chez qui nous avons déjà puisé nombre d’outils conceptuels, à propos de l’évolution des espèces.1 Selon lui, il n’y aurait pas de « saut catastrophique » entre les modalités d’expérience d’un gorille ou d’un chien, par exemple, et la nôtre. Toustes trois possédons une expérience riche dont la mémoire constitue nos modalités d’interaction avec notre monde perçu de façon singulière. Cela est dû à la vision de l’évolution qu’il propose, avec Evan Thompson et Eleanor Rosch, dans l’ouvrage collectif L’inscription corporelle de l’esprit, dès 1991. Selon lui, il faudrait sortir d’une vision prescriptive de l’évolution qui viserait à l’adaptation optimale des individu-e-s de l’espèce à des critères fixes donnés d’avance, pour l’aborder, au contraire, selon un mode proscriptive : à partir du moment où la survie et la reproduction de l’espèce sont assurées, les individu-e-s « bricolent » leurs propres modalités d’interaction avec leur monde perçu. Il n’y a aucune urgence à ce qu’iels s’adaptent de manière optimale à des critères évalués a posteriori dans une perspective d’explication et de contrôle. Cette perspective cache une partialité de point de vue qui place l’espèce humaine en haut de l’échelle évolutive et subordonne les autres à son autorité supposée, de fait ou de nature. Les luttes anti-spécistes et éco-féministes tendent à remettre, en ce sens, notre espèce dans une plus juste relation avec les autres espèces et dans son interdépendance d’avec les écosystèmes terrestres.
Car la vision prescriptive, nous l’avons vu dans de précédents articles, s’inscrit dans une visée politique de contrôle, établissant des hiérarchies entre les individu-e-s, les espèces et les groupes sociaux tels qu’ils se sont formés dans le contexte particulier de nos sociétés « impérialistes, suprémacistes blanches, capitaliste et patriarcales », pour reprendre encore une fois l’expression de l’universitaire américaine bell hooks. Nous avons déjà discuté de ses fondements sexistes, racistes mais aussi validistes, sur lesquels nous allons revenir. Car s’il n’y avait pas lieu de préscrire une conduite adaptative optimale aux individu-e-s, cela supposerait l’équité et l’horizontalité dans la prise en compte de l’expérience de chacun-e. Or, nous assistons régulièrement à la dévalorisation des paroles assignées à la minorité, et ce également de la part des institutions (administration, hôpital, police, …). S’il n’y a pas de « saut catastrophique », en terme de qualité, entre une expérience sensorielle en apparence bénigne et un choc violent, mais seulement en terme d’intensité et surtout, de possibilité de transformation et d’échange, toute expérience est saisie entre les limites de catégories socio-symboliques, fondées par leur dimension politique : qui a accès à la parole et à sa réception ?
Conditions structurelles et dynamiques opportunistes
Ce que révèle le travail de Charlotte Padlowski sur l’inceste et les violences intrafamiliales, dans son podcast Ou peut-être une nuit, c’est que l’élaboration du trauma incestueux et sa prescription font partie d’une dynamique de réaffirmation des hiérarchies de pouvoir, notamment patriarcal, au sein de la structure familiale. Celle-ci rentre en résonance avec les structures sociales dans lesquelles elle s’inscrit, d’où le tabou que l’inceste soulève. Nos sociétés occidentales, notamment, ont fondé et continuent de fonder autant leur ordre sur la réalité structurelle et tue de l’inceste et des violences intrafamiliales – dont on continue de nier l’ampleur (selon l’OMS en 2014, 1 fille sur 5 et 1 garçon sur 13 avant 18 ans seraient concerné-e-s dans le monde ; 1 français-e sur 10 en 2020, selon l’association « Face à l’inceste », chiffre sûrement sous-estimé du fait du manque d’accès de nombre de victimes à la parole) –, qu’elles se sont appuyées sur le racisme, le sexisme et de manière générale, le validisme.
Un des travaux importants menés par les communautés handies – au croisement d’autres – sur le validisme pointent le caractère structurel de cette notion. Qu’est-ce qui justifie, déclare et discrimine un corps valide d’un corps qui ne l’est pas ? Et valide à quoi ? Dans quelle mesure un corps est-il abîmé par une situation handicapante socialement, en plus de sa charge physique et émotionnelle ? Qui détient la légitimité pour ce qui est de la capacité à établir un raisonnement structuré, à parler au nom de toustes, à prétendre à l’universalité et à l’application potentiellement optimale de son jugement à toute situation ? Nous avons déjà vu que toute singularité qui n’est pas ancrée dans la position dite masculine, cisgenre, blanche, hétérosexuelle, riche et valide devra toujours justifier de la validité de son jugement. En dehors d’une série de critères, il y a une réalité structurelle dont nous participons quotidiennement à la reproduction. Derrière cela, il y a la capacité à faire taire les critiques, oppositions et remises en question du pouvoir prescrit sur autrui – ce qu’opère, au niveau des cellules familiales, les dynamiques opportunistes de l’inceste. Car ce que constate la journaliste Charlotte Pudlowski au cours de ses entretiens, notamment avec la psychiatre Muriel Salmona, c’est qu’une minorité des personnes ayant commis l’inceste prononce par ailleurs une attirance spécifique pour les enfants. Peu d’entre elleux sont ce qu’on pourrait appeler des « pédophiles ». Pourtant, il y a des circonstances et des facteurs à la fois d’opportunité et d’impunité qui amènent ces personnes à prescrire des violences sexuelles à des personnes mineures, dont la vulnérabilité, la disponibilité et la situation de dépendance matérielle et affective font des cibles faciles.
Ce qui est troublant, c’est que la psychiatrisation du récit autour de ces actes lorsqu’ils sont portés au grand jour pourra néanmoins toucher virtuellement à la fois l’incesteur-se et la victime. Comme dans tout trauma, il y a une assimilation de son identité à la rencontre à laquelle on a été convié-e ou, dans ce cas-là, forcé-e. Dans cette rencontre-là, les identités sont altérées au profit de l’oppression, ce qui indique aussi une torsion identitaire et une dynamique de dissociation de côté de l’agresseur-se, qui doit pour commettre son acte nier l’identité propre de sa victime et son intégrité à la fois physique et morale. Or, la personne qui commet l’inceste sera souvent traitée sans nuance comme un-e « malade mental-e », en oubliant que la manière dont on tente ou pas de réparer les dégâts compte tout autant que l’acte commis, puisqu’il confère son sens général et sa possibilité de transformation. De la même manière, le corps de la personne incestée pourra susciter une méfiance analogue. Elle a forcément été abîmée et l’incompréhension autour de la nature même de l’acte viendra contaminer jusqu’à la parole de la victime, quelle que soit sa fragilité émotionnelle et/ou mentale, à laquelle on répugne à s’identifier, parce qu’il faudrait admettre notre participation collective à une question sociale (ce qu’on exprime par le concept de psychophobie). Est-ce que cette personne-ci n’a pas subi une détérioration de ses facultés de jugement et est-ce que quelqu’un-e d’autre ne devrait pas parler à sa place, placer une distance entre l’infamie et moi, au nom de la pudeur et d’une certaine efficacité dans la transmission du « message » que son expérience aurait à transmettre en vue, moins de sa résolution mais de sa normalisation ? Est-ce que le traitement des effets, des symptômes du traumatisme et non des causes, y compris dans leurs aspects structurels, ne démontre pas une incapacité ou une situation de grande difficulté à porter la parole à sa dimension politique ?
Le validisme et la question de l’écoute
La question du validisme prend tout son sens lorsqu’on allume sa télévision sur une chaîne publique à une heure de grande audience, par exemple à 20h, où défilent les spots publicitaires mandatés par des organismes dits caritatifs ou « humanitaires ». La seule réponse proposée à la population face à des problèmes de « santé publique » ou de précarité est une réponse passive : donner de l’argent, pour « soutenir la recherche », en faveur d’organismes ou d’associations qui, d’une certaine manière, pallient la démission de l’État. Mais surtout, ces questions se voient réservée la même place que n’importe quel objet passif et compulsif de consommation, lesquels n’ont d’autre but qu’une satisfaction et un réconfort immédiats, à court-terme, sans réel impact structurel à long-terme. On se donne juste les moyens de supporter encore de continuer sur la même voie en réglant les « dégâts collatéraux » de façon marginale, en les plaçant dans une petite boîte, dans un coin de son esprit avec sa bonne conscience. Les mêmes mécanismes opèrent avec le racisme systémique et notre relation aux pays du Sud global, le génocide, la culture du viol et de l’inceste, le travail forcé, l’enfermement et la psychiatrisation de populations entières : une entreprise de déshumanisation. Pourtant, cette entreprise sert bien notre aveuglement quant à l’asservissement de groupes sociaux entiers sur notre territoire comme ailleurs.
On crée donc sciemment les victimes d’un système hiérarchique d’accès au pouvoir dont on se sert en même temps comme valeur de soumission, laquelle donne sens à la dimension verticale des hiérarchies sociales. On justifie sa propre précarité par la situation de plus misérables que soi. Mieux vaut faire partie d’un classe moyenne précarisée que d’un groupe sociale plus défavorisé encore, que d’être racialisé-e et/ou handicapé-e, de la communauté LGBTQ+ ou travailleur-ses du sexe, migrant-e, par exemple. On se distingue par la manière de parler, de bouger, de s’exprimer, qui nous différencie de paroles assignées à une position subalterne… Ces systèmes de domination créent toujours du pire pour en soumettre d’autres au chantage de faire accepter la restriction générale des droits de toustes et la confiscation de l’accès à la parole publique et politique, dédiée à la classe au pouvoir. Donc, si nous sommes toustes égaux-les face au trauma, nous ne le sommes pas face à l’accès à la parole et à l’écoute, laquelle possibilité d’une écoute conditionne l’élaboration d’un discours sur soi équitable en vue d’une résolution du trauma et de sa réécriture.
C’est donc moins la parole qui compte, mais l’écoute et la manière dont cette parole est reçue. Celles-ci indiquent la possibilité d’une action à venir qui nous soit propre, parle de nous et puisse nous inclure. C’est cette même manière qui nous informe de la valeur de notre parole et de l’expérience qui la porte. L’écoute, c’est ici s’écouter soi-même et l’autre pour éventuellement, savoir quoi dire, en connaissance des enjeux. Il faut donc faire de l’espace pour la parole et surtout, pour le choix de cette parole, orientée par la question du sens, à la fois intime et collectif. Dans la parole, c’est la réponse de l’autre qu’on anticipe, anticipation ancrée dans l’expérience et la mémoire traumatiques. Pourquoi donc ne pas écouter d’abord, puis parler s’il y a lieu de le faire ?
Nous parlions de cet espace circulaire ouvert entre soi et l’autre, qui permette de questionner le sens. Pouvoir choisir de parler, de façon pleinement consciente et consentante, implique le droit à l’auto-détermination, vis-à-vis de soi-même et des autres, en bordure de l’espace intermédiaire qui nous relie aux autres. Vivre en prise avec un traumatisme ne diminue pas la valeur de la parole. Cela accroît juste la capacité d’une écoute. Une écoute de soi-même, pour ne pas se mettre en danger. Une écoute des autres, pour comprendre quand et comment parler. Une écoute mutuelle, pour travailler ensemble.
Nos derniers commentaires sur la notion de neutralité soutenaient un aspect et une exigence critiques. En effet, il s’agit pour nous de trouver un point médian entre exigence clinique et thérapeutique impliquant un temps long, et les contraintes pratiques, sociales et politiques qui induisent un temps plus court, une urgence du quotidien accentuée par des facteurs systémiques. Pour nous, la neutralité (ici appliquée à la psychanalyse) appartient à une terminologie politique implicite que l’analyse intersectionnelle révèle, sinon d’une absence de soucis pour la détermination du ou de la patient-e, du moins d’un non-engagement. Nous discutons ici des termes employés dans la théorie et la pratique analytique et de l’imaginaire que ceux-ci entraînent avec eux, ainsi que leur histoire. Si on défend que seule la neutralité peut aborder tous les sujets, c’est qu’en l’adoptant on se suppose dégagé-e de toute oppression contextuelle, ce qui est une position assez privilégiée. Est-ce que la neutralité tient en temps de guerre sociale, où les espaces par lesquels se projeter dans l’avenir tendent à s’écraser les uns contre les autres ? Et sinon, comment agir sans participer soi-même d’une précipitation dans l’abîme du conflit, et comment pacifier la situation ? Car nous vivons dans des temps de guerre sociale, sur fond de crise écologique, où l’histoire de nos sociétés globalisées montre ses conséquences les plus dramatiques, autant que ses promesses de résistance.
L’exigence thérapeutique – de soin –, qu’elle emploie les outils de la psychanalyse ou d’autres, présente un dénominateur commun : la préservation de l’intégrité physique et/ou psychique de l’individu-e. Nous l’avions mentionné à propos du travail de Darian Leader sur la psychose (What is madness ?, 2011), la tentative de guérison passe par la tentative de se préserver soi-même. Pour ce qui est d’une guérison psychique, le but est d’aboutir à une autonomie affective de l’individu-e vis-à-vis des autres. Cela veut dire que l’autre ne s’impose plus comme le recours principal à sa propre préservation ; mais que chacun-e acquiert la possibilité de choisir sa participation à un devenir commun, c’est-à-dire l’auto-détermination et sa mutualité nécessaire.
L’analyste, dans le champ thérapeutique, choisit d’être là et de participer. Il n’y a rien de moins neutre là-dedans. Néanmoins, iel le fait en sachant que le but est de ne plus servir soi-même, en tant qu’autre, d’objet de compensation et de confusion entre ce qui participe de l’imaginaire anxieux de la personne ou d’une réalité partagée où chacun-e a sa part dans le consentement, ainsi que la capacité de projection individuelle et collective à long terme. Puisque le langage est une voie de convention, c’est la part volontaire de celle-ci qui est en jeu. Nous créons donc, dans l’espace analytique et thérapeutique, un espace de circularité qui permet à la personne de revenir à soi-même, tout en se situant avec lucidité et ouverture dans l’espace collectif. Cette circularité doit être engagée par la personne de l’analyste ellui-même, tout en choisissant ellui-même avec lucidité de quelle raison iel est à même de coopérer. L’idée de la neutralité évoque une zone de non-droit, où la demande tombe, un mur, une absence de réponse. Que l’analyste réponde la même chose, renvoie la personne à la circularité de l’espace qui engage un consentement mutuel, cette valeur de miroir est bien loin de la neutralité, parce qu’à tout le moins, elle dit : je vous écoute. Il n’y a pas d’écoute sans réponse, même si cette réponse est un engagement à ce que la personne parle de soi et puisse le faire en toute sécurité.
Nous semblons pinailler sur un terme et ses équivalences, mais si un pan de la théorie psychanalytique tient tant à l’influence des mathématiques, qu’iel songe seulement qu’en mathématiques, la neutralité renvoie à un ensemble vide. Un ensemble vide ne peut donner lieu à aucune application. Il ne sert à rien, et à moins d’éprouver une fascination pour ce rien, il reste que la demande du corps est inaliénable, puisqu’elle sollicite le fondement de la sensorimotricité des êtres vivants. En effet, l’hypothèse du paradoxe sensorimoteur nous apprend que l’aporie du langage et du signifiant n’est pas un vide, mais un banal blocage neuronal. C’est tout de même quelque chose. Il n’y a pas à chercher plus loin dans ce mystère-là, à moins d’en faire l’expérience pour elle-même, car l’on pourrait tout aussi bien s’y perdre à l’infini, et c’est l’impasse de la négativité de l’analyse. À un moment, l’analyse doit apprendre à « nettoyer », à pacifier l’esprit à partir du centre de toute demande, qui est de se positionner comme sujet d’un discours qui engage l’écoute et la réponse de l’autre. De là, on peut permettre l’apprentissage de la mutualité, parce que notre vie entière de langage est basée sur la convention. Il s’agit donc sûrement d’apprendre à se mettre d’accord sur ce qu’on désigne par le réel et la diversité des vécus et de ses expériences. L’analyse engage le mouvement et fluidifie la reconnaissance des accords locaux passés et présents, établissant la simplification des principes qui les régissent, leur réactualisation et leur éthique, la faculté d’auto-détermination et la capacité à aider d’autres dans cette faculté. Car l’analyse de soi engage l’analyse des autres.
C’est en ouvrant cet espace que nous voulons finir ce petit cycle sur la question de la neutralité.
Aujourd’hui, jeudi 17 décembre 2020, nous apprenons de nouveau le décès d’une jeune femme trans de 17 ans, Luna / Avril (d’abord mentionnée par erreur sous son deadname Fouad), élève au Lycée Fénélon à Lille. D’abord rejetée par sa famille puis empêchée par l’administration du lycée de venir à l’école en jupe, Luna s’est suicidée. Au lieu de se demander pourquoi elle tenait tellement à venir en jupe, si c’était pour attirer l’attention, demandez-vous pourquoi la violence de le lui refuser ? Et pourquoi pas ? Quelle raison impérieuse ordonnerait de ne pas venir en jupe, quel que soit le genre supposé de la personne ? Pour ne pas distraire ses camarades ? Pour « la protéger » d’un éventuel harcèlement ? Parce que cela serait inconvenant ? Mais distraction de quoi ? Pourquoi lui interdire cela et ne pas éduquer ses camarades sur la question des transidentités et du genre en général, et sur le harcèlement ? Et inconvenant au nom de quoi ?
L’information m’a été relayée par Océan et Lexie (@AggressivelyTrans) sur les réseaux sociaux. Je devais justement écrire un article complémentaire sur la question de la neutralité, portant sur les espaces indéterminés et ouverts, et sur la question des espaces de détermination positive, notamment en ce qui concerne la psychanalyse. Notre questionnement de la notion de neutralité et de ses fondements politiques nous amène à interroger la position de l’analyste comme figure d’autorité. Si elle serait neutre, ce serait pour renvoyer en miroir à la personne qui vient la consulter sa propre image, en tout cas pour ce qui est du questionnement de son discours. L’analyste va servir d’appui à cette réflexion autour du discours propre de la personne pour tenter d’en comprendre les fondements. Si l’espace ouvert par l’analyste est neutre, cela voudrait dire qu’au-delà d’un certain point, il n’est pas utilisable. L’analyse a lieu dans une structure relationnelle à l’analyste où l’analyste lui- ou elle-même ne serait personne en particulier ; or le ou la patiente projette bel et bien une personnalité sur ce qu’iel peut lire de la personne qui lui fait face. La méfiance et la défiance dont on parle depuis Freud (par exemple, dans La technique psychanalytique) vis-à-vis de la personne de l’analyste, à partir d’un certain point dans la dynamique du transfert, seraient liées au fait que l’analyste ne peut donner cours à la demande faite par le ou la patiente vis-à-vis de sa personne supposée. À son tour, l’analyste serait amené-e à se méfier – dans la mesure où iel soupçonne ce transfert à son endroit ou à un autre – de la nature déclarative du discours de la personne. Cet espace-là que l’analyste devrait garder serait, selon la théorie, « neutre ».
Nous pouvons admettre, jusqu’à un certain point, l’utilité de cette méthode dans l’analyse du discours. Or, au-delà de cette analyse demeure tout de même la question affective et émotionnelle, qui porte la question de la confiance. La question du trauma, si elle s’élabore notamment à travers les dimensions du discours, on l’a vu, participe aussi entièrement d’une mémoire qui engage le corps dans son entier. La familiarité des situations de confort, de sécurité émotionnelle ou au contraire, de détresse et de danger, excède bien souvent sa prise en main par le discours, notamment parce qu’elle dépend des environnements dans lesquels évolue la personne. Toute efficience que peut avoir un-e analyste sur le champ de l’étude du discours de soi de la personne, et de ce que ce discours ne formule pas encore, ne peut toutefois pas lui permettre d’échapper à son identification, légitime ou non, par la personne, à une mémoire traumatique liée à une expérience (répétée ou non) danger. La question de la sécurité émotionnelle est liée aux espaces de sens et de compréhension vis-à-vis desquels la personne ne contrôle que très peu sa capacité à se sentir confortable pour un relâchement éventuel d’un état corporel et sous-jacent de défense.
Ces considérations sont très liées à l’idée des espaces de non-mixité. Certaines typologies d’expérience, notamment celles liées aux minorités sociales pour ce qui est du genre, de la race, de la classe ou de la validité de manière générale, se voient constamment en devoir de justifier leur point de vue et perspective quotidienne face à un modèle dominant établi comme normes de représentation, à laquelle on attend de toute personne qu’elle s’y conforme. Les personnes assignées à ces minorités sociales ne sont pas habitées d’une violence intrinsèque qui les pousserait à réclamer du reste de la société un tribut, seulement, comme le disait l’écrivain James Baldwin, de pouvoir se passer de son interférence avec leurs vies – to have it out of their way. La fatigue morale et émotionnelle d’avoir à porter cet effort et cette vigilance quotidienne participe d’une mémoire traumatique liée à une situation d’insécurité, voire de danger effectif. Aussi, lorsque ces personnes se dirigent vers un-e analyste pour arriver à y voir plus clair dans leurs douleurs et leurs difficultés, de se trouver face à une personne qu’iels identifient comme familière, pour une raison ou une autre, de cette mémoire et de cette insécurité – quelle que soit la capacité de l’analyste à la guider à travers la réflexion et le questionnement de leur discours –, cette situation même peut être une source de tension qui, à partir d’un certain point, peut empêcher la résolution d’un trauma. Bien sûr, on pourra dire qu’une personne racisée « n’a pas besoin » d’aller voir un-e analyste racisé-e lui- ou elle-même pour aboutir un travail sur l’inconscient ; ou qu’une personne LGBTQIA+ « n’a pas besoin » d’aller voir un-e analyste LGBTQIA+ pour faire ce travail. Jusqu’à un certain point, l’argument est valable. Sauf que ces personnes, à l’extérieur déjà, sont confrontées quotidiennement à un environnement d’agression généralisé et à un sentiment d’insécurité liés à une modélisation de nos sociétés qui les exclut fondamentalement, c’est-à-dire dans les fondements mêmes de leur être, et d’une quelconque capacité à accomplir l’adaptation requise à la norme valorisée, en-dehors de laquelle bien des portes se ferment. Cette expérience est une réalité concrète vécue au quotidien par un nombre considérable de personnes et de groupes sociaux et culturels – et nous ne pouvons continuer de prétendre que c’est inévitable. Ces personnes ont l’habitude de devoir justifier leur existence face à ce contexte normatif qui s’exprime partout et en tout temps dans leur quotidien, y compris jusque dans leur intimité familiale où se répètent ces dynamiques d’oppression, ce qu’on appelle les violences intra-familiales. Si la psychanalyse ne s’éveille pas sur ces questions systémiques et n’arrive pas à se diversifier, elle oublie qu’elle participe elle-même, qu’elle le veuille ou non, à la confiscation d’espaces sécurisant et ouverts pour ces personnes. Et il y a des facteurs, à ce titre, qu’elle ne peut maîtriser et dont elle doit apprendre une humilité. Toutes les expériences ne se valent pas face à un référent unique, dicté, notamment, par notre modèle occidental et à l’intérieur de celui-ci.
Cela ne veut pas dire que la personne de l’analyste, avec son éthique, fait « mal » ou n’a pas de bonnes intentions. Cela n’a rien à voir avec la personne morale de l’analyste, c’est-à-dire son intention, ni forcément sa pratique. Cela a à voir avec une mémoire, inscrite dans le corps des personnes, dans leur individualité et leurs singularités, qui excède tout commandement. Le sentiment d’insécurité ne se commande pas. Il est inscrit dans la mémoire traumatique et dans le corps. La psychanalyse peut prétendre la dépasser en déclarant sa « neutralité », mais lae patient-e peut aussi mentir ou se taire pour contourner son inconfort lorsqu’il s’agit d’adresser ce sentiment indépassable de pas là, d’impossibilité, dans cet espace, de relâcher sa garde. Par aucune volonté de la part de la personne qui lui fait face, et pas plus dans un cabinet de psychanalyse ou ailleurs, ce sentiment ne peut ni ne doit être forcé. Encore une fois, cela ne dépend pas de l’analyste, mais c’est lié au fait que dehors, ces systèmes d’oppression continuent toujours, et avec eux la nécessité d’être constamment en état de garde. Et là encore, le ou la patiente ne doit rien à l’analyste, et c’est bien cela qui fonde l’intégrité de leur relation.
Face à un-e analyste qui n’est pas familier-ère de la spécificité des vécus communautaires, une bonne partie des sources de trauma qui doivent être constamment répétées en-dehors doit de nouveau être répétée ici, quelle que soit l’état de sa verbalisation par le discours. Plus loin, il faut comprendre qu’une personne racisée, par exemple, se trouvant face à une personne blanche analyste, même la plus avertie vis-à-vis des questions liées au racisme, et quelque soit l’état de verbalisation du ou de la patient-e, peut se sentir en insécurité face à elle. Il faut accepter cela et accepter, à une certain moment, de passer la main. Se déclarer neutre ne pourra forcer ce sentiment. Et c’est normal. La mémoire d’agressions et leur réactivation, dans des contextes de société violents, imposent ça. Plutôt que de forcer une neutralité impossible à réaliser au-delà du champ « rationnel », il faudrait promouvoir des espaces indéterminés (qui restent à l’être), ouverts (qui n’ont pas à l’être), voire positifs à partir d’un certain point (où la déclaration de familiarité permet le relâchement émotionnel et la guérison). Mais la théorie psychanalytique se formule beaucoup sur le mode négatif et se méfie des aspects déclaratifs de l’identité, jugés suspects. Elle cherche l’aporie dans le discours là où la théorie du paradoxe sensorimoteur permet de montrer que cette aporie se fonde dans le corps. Le discours et le signifiant, certes, aboutissent toujours à une butée, mais cette butée n’est pas un néant, juste le fait que le corps demeure et produit de la mémoire. Donc au bout d’un moment, on peut toujours scruter cette production, qui est sans fin, sans pourtant permettre à tout un champ de la mémoire traumatique, qui excède la question du discours et se situe dans l’expérience de ce corps-là par rapport à d’autres corps, de se résoudre ou au moins, de se relâcher.
Cela ne pose pas, par exemple, les personnes blanches, cisgenres, hétérosexuelles et valides comme de « mauvaises personnes » à éviter, seulement que malgré elles, elles se font le relais de tout un ensemble d’expériences qui partout ailleurs poussent les corps minoritaires à se défendre et à se mettre en tension, n’ayant pas le droit commun de leur côté. Une personne noire peut se faire tabasser par la police de manière gratuite et toujours être suspectée coupable et ses agresseurs-ses non inquiété-e-s, et ce depuis aussi longtemps que l’histoire de l’esclavage, insécurité que nous semblons découvrir ici en France parmi le grand public. Une femme cis, une personne trans ou non-binaire, voire d’autres personnes assignées à la soumission, peuvent subir une agression ou un viol et se voir accusées de « l’avoir bien cherché ». Une personne avec un handicap visible ou non peut se voir reprocher de ne pas faire « assez d’effort » pour s’adapter à un rythme de travail ou de déplacement qui vont à l’encontre de ses limitations. De même, alors que le STRASS, syndicat des travailleurs-ses du sexe, vient d’annoncer l’assassinat d’une femme trans migrante TDS, ce dimanche 13 décembre, étranglée à Nice dans l’indifférence totale, on peut rappeler que de nombreuses populations et groupes sociaux meurent assassinées ou laissées mourir, concrètement, comme si leurs vies n’avaient aucune valeur, de la même manière que les populations indigènes sur les continents américains ou les ouïghours en Chine, pour ne citer qu’elleux. Mais nous sommes tou-te-s saisi-e-s dans ce réseau de contradictions et d’arrangements avec ces réalités, que nous ayons le choix ou non de les vivre au quotidien. Toutefois, il serait difficile de demander à ces personnes l’effort, qu’elles aient ou non subi toutes les agressions possibles, mais ne serait-ce que d’être sensibles au fait que ça puisse leur arriver à n’importe quel moment, de nier leur sentiment d’insécurité face à une personne, quelle que soit cette dernière et quelle que soit la volonté de celle-ci de bien faire. Nous, analyste ou aspirant-e-s analystes devons avoir l’humilité de reconnaître ça, et de reconnaître le manque crucial d’une diversité d’espaces de soin et de guérison à l’image de la diversité des vécus traumatiques dans nos sociétés.
La psychanalyse ne peut pas s’extraire du monde hétéropatriarcal, capitaliste, raciste ; validiste et impérialiste dans lequel s’inscrit la vie de tous les individu-e-s qu’elle espère soutenir. Sa neutralité n’existe pas et ne peut exister tant que ce monde-ci et que ces oppressions existent.
Enfin, la psychanalyse, à moins de les perpétuer, ne peut pas ne pas être politique.
Il y a un argument qui revient souvent et que nous avions déjà traité dans la rhétorique transphobe. C’est celui qui prétend que se revendiquer d’un genre différent de celui assigné à la naissance, ce serait comme prétendre se sentir d’une couleur de peau différente de la sienne. L’exemple souvent utilisé est plus frappant, parce que les personnes utilisant cet argument l’expriment ainsi : « c’est comme si moi, personne blanche, je prétendais me sentir noire. »
Outre le fait que les éléments signifiant le genre sont plus discrets que ne serait-ce que la seule teinte de la peau, l’équivalence genre / couleur de peau est complètement erronée et l’exemple choisi n’est pas non plus anodin. La couleur de peau n’est pas neutre et comme les indices de genre, les indices raciaux sont interprétés compulsivement dans les rapports interpersonnels. La couleur de peau sert en effet de référence à l’identification d’une culture d’origine supposée de la personne et du rapport que cette culture entretiendrait avec nous. Elle sert à l’identification et participe donc d’un déterminisme social, puisque comme pour le genre, cette identification précède l’établissement d’un éventuel échange. Or, l’effet provoqué par l’exemple ci-dessus, tenu par la rhétorique transphobe, c’est qu’il y aurait quelque chose d’évidemment incongru à se « sentir noir-e » lorsqu’on est blanc-he. Il n’est en revanche pas évident de savoir si les personnes qui utilisent cet exemple ont conscience qu’elles s’appuient sur des fondements racistes. À savoir qu’en tant que personne blanche, l’utiliser n’est pas neutre d’une position sociale qui permet de le faire sans dommage moral. Il serait moins évident pour une personne racisée de penser qu’il serait aussi facile de simplement « changer de peau », pour tout à coup jouir des mêmes privilèges que les dominant-e-s et effacer les stigmates du trauma (ce que montre remarquablement bien la série américaine Lovecraft Country, 2020). Il ne s’agit pas juste de couleur de peau, de passer simplement « de blanc à noir », mais du déclassement, du saut qualitatif dont il s’agirait par ce changement de couleur. Se « revendiquer noir-e », ce serait vouloir se revendiquer du camp des opprimé-e-s alors même qu’on est privilégié-e là où l’on est, ce qui paraît incongru. Cela sous-entend, notamment, que les personnes trans seraient des personnes qui voudraient se démarquer, exister, et qui n’auraient pas les ressources pour réussir socialement autrement. Ce sont les « perdant-e-s » qui essayent de se faire remarquer. Cela sous-entend aussi que les personnes racisées font en fait, elles aussi, partie des perdant-e-s.
Indices de genre et indices raciaux, s’ils sont mis au même niveaux dans cette rhétorique, ne sont les uns et les autres pas neutres et ne valent pas pour eux-mêmes, puisqu’ils sont interprétés socialement. Néanmoins, ils ne veulent pas dire la même chose. Contrairement à l’identification de la couleur de peau et autres indices raciaux à une culture supposée et sa situation dans l’espace social, l’identification de genre, elle, s’applique de manière à peu près égale à toutes les cultures et à l’intérieur d’elles. On identifiera, par exemple, une femme, mais on le fera dans un cadre précis qui est celui de son appartenance ou non à un même groupe social, culturel et/ou racial. L’identification de genre bénéficie, de fait, d’une plus grande indétermination, car il reste encore à savoir l’appartenance supposée à un groupe ou une famille qui permet ou non l’établissement d’un échange toléré socialement. La couleur de peau détermine des groupes sociaux beaucoup plus circonscrits et d’une certaine manière, plus imperméables dans leurs histoires et leurs intersections. Une femme blanche sera perçue différemment d’une femme noire ; bien qu’elles soient toutes deux perçues comme des femmes* (l’astérisque ouvre à la pluralité des femmes dont on parle, incluant les personnes trans, non-binaires et intersexes). Si l’on fait partie du groupe majoritaire, par exemple en France, une femme blanche sera perçue comme adhérente au groupe et associée spontanément ; une femme noire, par exemple, fera de son côté l’objet d’une délibération et sera perçue comme mobile vis-à-vis de celui-ci – c’est-à-dire, susceptible d’en être exclue si l’on juge les éléments de familiarité et d’adhésion insuffisants.
La division genrée de l’espace social s’effectue à l’intérieur du champ d’intégration ou d’exclusion sur la base de la couleur de peau et de la culture supposée, soit de la race comme argument social. Tout le monde a affaire au genre à l’intérieur de son groupe social, mais peut se passer d’avoir affaire au groupe social voisin. Nous sommes bien identifié-e-s selon notre genre supposé, à l’intérieur du groupe social et culturel dans lequel nous évoluons, mais la fracture entre les groupes prime et nous exclut des autres dans un contexte de société inégalitaire où règne encore un faisceau de discriminations structurelles. Allez donc dire à une personne trans racisée que sa transidentité serait aussi fictive que de déclarer qu’elle se sentirait blanche. Cela implique non seulement qu’il serait incongru qu’elle soit trans, mais que ce verrouillage induise une imperméabilité persistante dans les rapports entre les races sociales. Chacun-e doit rester à sa place, ce qui interdit toute remise en question des facteurs structurels et historiques des inégalités d’accès à l’auto-détermination. C’est non seulement insultant pour l’expérience que cette personne a pu et peut faire du racisme face aux populations dominantes, voire à d’autres groupes, comme de la transphobie qu’elle peut subir à la fois au sein et à l’extérieur de son propre groupe social et culturel d’origine.
En outre, condamner une personne au genre qu’on lui suppose sur la base de son attribution génitale et mettre cette dernière sur le même plan que la couleur de peau revient à mettre le sexisme et le racisme sur un même plan passif et homogène, alors même que les mouvements féministes n’ont cessé de défier les rôles de genre prescrits. On nie ainsi la détermination sociale de ces rôles au même titre que les discriminations racistes structurelles et leurs histoires, et on prive les personnes concernées de toute prise sur leur devenir. Transformer le racisme, le sexisme ou la transphobie, ce n’est pas agir sur le même plan. Changer la transphobie, c’est changer individuellement son genre perçu et défendre son droit à l’auto-détermination au sein d’un groupe plus ou moins homogène. Changer le sexisme, c’est changer la division et la répartition inégalitaires des espaces de décision dans nos sociétés sur la base du genre supposé. Enfin, on ne change pas le racisme en changeant sa couleur de peau, mais en changeant la position des cultures dominantes vis-à-vis de celles qu’elles prétendent dominer, et ce sur des arguments pseudo-rationnels de l’avancée technique ainsi que sur le déni d’une longue histoire d’oppression et de spoliation. Et à la limite, changer sa couleur de peau ne serait pas même un plus grand problème en soi que la fracture historique qui soutiendrait ce changement.
Changer de couleur de peau supposerait transgresser cette histoire qui sépare aujourd’hui encore des groupes entiers et des millions de personnes d’un traitement équitable sur la seule base de la couleur de peau et de la culture supposée, quelque soit le genre des personnes constituant ces groupes. A l’intérieur de ces mêmes groupes, des personnes peuvent se sentir en inconfort extrême avec les rôles de genre prescrits à leur naissance. Cela se règle individuellement et à l’intérieur du groupe, dans la dignité. Il ne s’agit pas de se désolidariser de sa famille ou de sa culture, mais d’y trouver sa place, et ensuite, la place de cette même culture dans le monde.
Alors s’il vous plaît, laissez les personnes racisées tranquille, et laissez les personnes trans tranquille. Aucune ne demande autre chose que d’être vues pour ce qu’elles sont, leurs communautés entendues et parler de leur expérience avec respect.
L’idée centrale de l’élaboration des pratiques dites de « relations publiques » est de « fabriquer le consentement » des populations pour maintenir ne serait-ce que l’illusion du système de représentation démocratique. De fait, on laisse une illusion suffisante du libre-arbitre quant à ce que nous consommons ou pour qui nous votons, mais ces systèmes de gouvernance jouent sur tous les mécanismes hiérarchiques de pression sociale pour amener les groupes de population (on parle de « masse ») dans un sens plutôt que dans un autre (Edward Bernays, Propaganda : Comment manipuler l’opinion en démocratie, 1928).
Certainement, nous devons toujours avoir, d’une certaine manière, notre libre-arbitre, mais celui-ci devient de plus en plus purement sélectif parmi les rares options laissées à notre choix. La capacité de créer des alternatives, quant à elle, est plus précaire. Celles-ci, en tant qu’elles contournent le système politique dominant, sont vivement découragées ; soit par la force (voir, par exemple, la brutale répression des utopies anarchistes dès la fin du XIXe siècle ou plus récemment encore, de ZAD comme celle de Notre-Dame-des-Landes), soit par défaut. On nous dira souvent, par exemple, que promouvoir une autre manière d’organiser nos sociétés que de façon capitaliste et néo-libérale est « irréaliste » ; et face à l’inertie des mécanismes de dette qui paralysent tout changement et la masse de leurs intérêts, le découragement et la résignation sont à portée de main. Ce qu’il faut comprendre aujourd’hui c’est qu’un autre modèle de société est non seulement réaliste mais indispensable.
L’altérité et ses fondements
Nous l’avons vu, toute identité a un fondement relationnel. Nous nous positionnons et nous situons par rapport à un contexte et en contraste avec celui-ci. Nous nous détachons de ce contexte comme une silhouette dans la lumière et la couleur. Si la brutalité des formes de pouvoir, de domination et d’oppression attend des groupes ciblés de la peur, c’est parce que cette brutalité se définit, en tant que pouvoir, en fonction de cette peur qu’elle provoque et qu’elle prend pour l’image, pour l’effet et la condition de sa puissance. Capitalisme et fanatisme religieux se battent avec les mêmes armes, parce qu’ils proviennent, dans leur forme actuelle, d’un passé commun, d’une même histoire à travers laquelle ils se définissent : l’histoire géopolitique de la domination et ses modalités de représentation, notamment à travers des filtres interprétatifs et imaginaires liés au patriarcat, à l’impérialisme, à toute forme de suprématie. L’important pour nous n’est pas de savoir lequel des camps doit l’emporter sur l’autre, mais comment en finir avec l’idée que le dominant est le plus fort.
« Cela vous vient comme un grand choc à l’âge de cinq ans, ou six, ou sept, de découvrir, alors que Gary Cooper tue des Indiens et que vous vous identifiez à lui, que les Indiens, c’était vous. »1 Par ces mots, l’écrivain américain James Baldwin exprimait, s’appuyant sur son expérience personnelle, tout l’effet d’un environnement qui n’a pas « fait croître un espace pour vous ». En cherchant à s’identifier à des figures héroïques et valorisées dans l’espace social et culturel, il se peut que cette figure représente la même force qui a pu et continue de soumettre des personnes comme soi. Ce n’est pas parce que la présentation d’une idée est élégante qu’elle n’est pas destructrice, dans la façon dont elle entérine des structures d’oppression, en les glorifiant ou en en effaçant les conséquences. Ce n’est pas parce que l’idée qu’il n’y a pas d’alternative viable au capitaliste est soutenue par le faste glamour du succès et de la promesse d’un enrichissement sans limite que ce faste ne s’établit pas sur le sacrifice de populations entières, ainsi que de leurs écosystèmes sociaux et naturels.
Nous devons donc bien réfléchir à l’impact de nos discours et au réceptacle dans lequel nous attendons qu’ils soient accueillis. Malgré tout, si vous cherchez à ce qu’un discours rencontre un succès immédiat et les profits qui pourtant lui permettraient de s’établir dans le temps avec un degré suffisant de stabilité, songez à ce qui vous octroie ce pouvoir et cette garantie. « L’Histoire n’est pas quelque chose que vous lisez dans un livre. Ce n’est même pas un passé. C’est un présent, que tout le monde opère, que nous le sachions ou non, à partir de l’assomption que nous sommes produits, et seulement produits par notre Histoire. »2 D’autres mots empruntés à James Baldwin à la fin de sa vie. Choisir son identité et ses actions est toujours une affaire de sélection parmi des possibles qui nous apparaissent dans un certain contexte. Toute création figure ce qu’on appelle une transgression. La création provient d’un contexte, d’une histoire, mais aussi se rebelle avec ou contre ce contexte, au moins dans le but de conserver la liberté de choisir une autre voie que celles offertes à l’élection.
Une autre analyse de Baldwin dans ce même discours donné au National Press Club en 1986, à Washington D.C., est éclairante quant à la dimension morale de systèmes d’oppression comme le modèle patriarcal. Selon Baldwin, la simplicité et la sincérité sont tenues pour être deux vertus américaines. L’interprétation qu’il en fait est frappante, puisqu’elles permettent de justifier l’immaturité, à la fois politique et affective, qui fait que des personnes de pouvoir, dont les actions ont un impact sur des populations ou des groupes entiers (son expérience est autant ancrée dans le racisme systémique et l’homophobie que dans son histoire familiale, soumise à l’autorité de la figure paternelle3), ne sont pas « en nécessité de grandir ». Sauf que justement, leurs actions et leurs décisions impactent un nombre considérable de vies humaines comme animales et végétales. Cela ne veut pas dire que la simplicité, la sincérité ou même l’immaturité soit proscrites, mais qu’elles ne peuvent en aucun cas servir de caution à des systèmes d’oppression.
Critique d’un patriarcat impérialiste, suprémaciste et capitaliste
Du point de vue des structures patriarcales, la figure du Père peut très bien être occupée par une personne qui « fait des erreurs » mais qu’on ne songera jamais à destituer pour autant, parce que l’ordre du Père et sa hiérarchie doivent être préservés avant tout. C’est aux personnes qui lui sont subordonnées de s’adapter à ces erreurs et de les compenser, comme autant de dommages collatéraux. Dans tout le débat sur la PMA en France, le fait que ses détracteurs pointent les dangers supposés de l’effondrement de la structure familiale nucléaire et hétérosexuelle, c’est avant tout la terreur de ne pouvoir établir de relais alternatifs à d’autres modalités familiales qui soutiennent ce rejet. Il y a cet impensé social et collectif qui laisse un vide là où des espaces de vie pourraient s’établir. Il semble qu’il faut qu’il y ait un ordre, quelque chose qui s’impose de façon prescriptive pour que les modalités offertes au choix n’exposent pas les individu-e-s y dérogeant à une sanction. L’obéissance volontaire constitue une forme de protection qui prend la perspective de la sanction comme un donné inévitable et irréductible, intervenant sur la simple base de l’identité supposée ou prononcée des personnes ainsi que de leurs choix personnels. C’est la préférence de cet ordre-là qui justifie un aveuglement relatif quant à la nécessité que des personnes détenant un pouvoir politique ou familial répondent de leurs actes et entendent les paroles jugées subalternes. Ce refus de soulever la dette vis-à-vis d’une Histoire de l’oppression et à l’exposer serait dans « l’ordre des choses », parce qu’il faudrait maintenir les conditions actuelles de l’exercice du pouvoir pour lui-même et que par ailleurs, les personnes en position de dominance pourraient justifier de l’effort fourni pour l’atteindre. Le Père est celui qui travaille, qui apporte une plus-value sociale, morale et matérielle à la famille, dont l’effort est censé apporter la complétude à la structure familiale, justifier et payer la dette sociale – mais aussi, comme le rappelait Baldwin, la subir tout autant.4 Alice Miller rappelait le caractère hautement moral du commandement à « honorer son père et sa mère »5, quelle que soit la manière dont celleux-ci agissent, notamment, vis-à-vis de leurs enfants, mais parce que l’ordre parental doit être respecté avant tout de façon presque doctrinaire. Cet ordre vertical est perçu comme fondateur de nos sociétés, sans lequel celle-ci serait amenée à s’effondrer. Le regard du reste de la société porte sur la vigilance à les garantir. Encore une fois, ici, il ne s’agit pas d’éradiquer la notion de respect en soi ni d’accuser des personnes en particulier, mais seulement ramener la nécessité du respect vis-à-vis du droit mutuel à l’auto-détermination. Il ne s’agit pas du problème d’une ou d’un groupe de personnes qui abuseraient de leur pouvoir, mais du manque d’espaces et de relais alternatifs pour que celleux qui leur sont soumises puissent s’élever par elleux-mêmes ailleurs ou qu’au moins, les représentant-e-s de ces structures d’oppression puissent être mis-e-s hors de leur chemin.
Cet ordre trouve sa réplique dans les structures racistes, classistes et d’autres qui génèrent un ordre valeur qui viserait à justifier ce même caractère arbitraire soutenant les structures de domination, leur contingence, car celles-ci ne sont finalement qu’un possible parmi les possibles. « Peut-être que je ne veux pas ce que vous pensez que je veux », déclarait Baldwin à Dick Cavett lors de son émission, en 1969 ; avant d’expliquer les mécanismes de double conscience que les populations Noires Américaines ont dû développer pour survivre sous un régime d’oppression basé sur la couleur de leur peau et son invention en tant que catégorie.6 Ce n’est pas parce que les gens acceptent de se soumettre plutôt que de mourir qu’iels le font de bon cœur et le désirent. La notion de travail en lui-même, prescrite de manière obligatoire sans la possibilité de créer sa propre relation au travail, s’inscrit de manière critique dans la doctrine capitaliste. On retrouve dans ces questions les mêmes notions de consentement et du stigma que nous avions abordées dans notre précédent article « Genre et sexualisation » autour du travail du sexe. Dans la même interview, Baldwin ajoute : « Ce que la République Américaine a toujours essayer de faire, c’est m’accommoder à un système qui est toujours destiné à ma mort. […] C’est ce que vous entendez réellement par intégration. […] Nous avons été intégré-e-s depuis que nous sommes arrivé-e-s ici. » Les figures de l’alterité (les personnes Noires ou autrement racisées, précaires, des communautés LGBTQIA+, travailleuses-eurs du sexe, non-valides, …) ont en effet été intégrées à l’imaginaire capitaliste en tant que figures catalisant la peur d’être mis en marge. Le maintien des inégalités et des discriminations renforce cette peur en affaiblissant les relais politiques, autant qu’il renforce le désir de conformité et de protection.
Un autre point soulevé par James Baldwin lors de la même interview est celui de la culpabilité. Une Histoire et un ordre social qui se sont construits par la violence – notamment vis-à-vis d’une partie entière de la population américaine qui vit encore parmi les autres, ainsi que de l’enfermement de celleux qui véhiculent l’oppression et en dépendent – ne peuvent pas se maintenir sans nier la réalité de la violence ainsi prescrite. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu dans l’article précédent avec le constat fait par le collectif Zetkin, cet ordre et son Histoire ne peuvent tenir dans le temps qu’en établissant une distinction hiérarchique supposée « naturelle » entre des catégories de personnes et d’êtres vivants, certaines étant même déclarées supérieures à toutes les autres. Cela ne fait bien sûr qu’accroître les violences sociales. Essentialiser les différences, sur la base du genre, de la race, de la classe, de la validité (de façon non-exhaustive), permet de justifier toute violence infligée arbitrairement et de ne pas avoir à la remettre en question. On allonge ainsi le système de dette, on l’étire dans l’espoir de pouvoir éviter de le purger et de continuer d’en tirer les bénéfices immédiats tout en assurant sa propre position individuelle (qui n’est peut-être pas aussi assurée) au sein du système dominant. Un autre exemple de l’importance des questions d’intersectionnalité est démontré par l’ancienne juge de la Cour Suprême des États-Unis Ruth Bader Ginsburg, qui explique dans un entretien de 2015 à Bloomberg Quick Take que des lois restrictives sur l’avortement affecteraient en fait surtout les femmes pauvres (elle fait ici mention des femmes cisgenres, mais on pourrait étendre le propos aux hommes trans et aux personnes non-binaires). Des personnes suffisamment aisées auraient en effet les moyens de payer le trajet vers un État à la législation plus souple, ainsi que les frais médicaux. Par ailleurs, elle souligne que dans les années 70 où l’accès à l’avortement était de manière générale beaucoup plus restreint, les mouvements féministes déployaient davantage d’effort pour défendre cet accès à toutes les personnes en ayant besoin, quel que soit leur niveau social. Ce droit étant depuis (pour l’instant) mieux garanti, Ruth Bader Ginsburg regrettait qu’on ne se mobilise pas plus pour défendre son accès aux classes sociales moins favorisées, dont beaucoup concernent les personnes racisées et d’autres groupes minoritaires, souvent cumulés.
Lire notre histoire et la façon dont elle est réactualisée par un ensemble de pratiques politiques demande donc de question les espaces proposés à l’investissement ainsi que les personnes à qui ceux-ci seraient supposés s’adresser et à quel point l’écart se creuse lorsque vous ne correspondez pas à certains standards. Le problème arrive quand certain-e-s ont plus d’effort à fournir pour atteindre ces espaces et ces standards quand cette difficulté se base seulement sur l’identité supposée ou déclarée de la personnes ou groupe de personnes. Par définition, elles ne l’atteindront jamais, et James Baldwin nous explique qu’il y a une Histoire qui justifie que si une personne devait y arriver, cela voudrait dire que ce standard devrait être dévoilé dans l’Histoire des violences qui l’ont engendré. Si à cette injustice manifeste, le corps politique répond : « Ce n’est pas notre problème », alors nous devons commencer à nous poser des questions.
1« It comes as a great shock around the age of five, or six, or seven to discover that Gary Cooper killing off the Indians when you were rooting for Gary Cooper, that the Indians were you. » In James Baldwin, I am not your negro (Raoul Peck), ed. Pinguin, Vintage books, US, 2017, p. 23. Ma traduction.
2James Baldwin’s speech at the National Press Club, 1986.
3Qu’il retrace dans son premier roman, La Conversion (Go tell it on the mountain), 1953.
4Voir par exemple, « James Baldwin & Nikki Giovanni, a conversation », 1971, disponible sur YouTube.
5In Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, 2004.
6Voir aussi « Black History Speaks: James Baldwin Speaks at Q & A with educators », disponible sur YouTube.
« Je devais découvrir que la ligne qui sépare un témoin d’un-e acteur-rice est une ligne en effet très fine ;
toutefois, la ligne est réelle. »
(‘I was to discover that the line which separates a witness from an actor is a very thin line indeed ;
nevertheless, the line is real.’)
James Baldwin, I am not your negro (Raoul Peck), « Witness »
Il existe deux types de complexité : l’un représente la diversité des chemins empruntés par le vivant pour élaborer leurs espaces habitables, l’autre l’intrication des liens et des rapports hiérarchiques de dette. Ces derniers ont à voir avec la contention par laquelle le régime des lois morales tient toute action comme éminemment et préventivement responsable de son inévitable sanction. La prescription morale perpétue ainsi la mémoire de cette sanction. « Parce qu’il y a la violence, il y a la morale », expliquait le philosophe Paul Ricœur.1 Nous sommes enjoint-e-s à purger un mal originel qui a ou aurait été fait et en vertu duquel l’ordre social et/ou familial doit être maintenu, la dette observée et payée. La dette s’inscrit au cœur du champ de la loi morale, et elle est générationnelle – comme en témoignent notamment les séquelles des périodes officielles comme officieuses d’esclavage et de colonisation.2 Néanmoins, un point fondateur de notre travail ici est de renverser le corollaire du constat herméneutique en explicitant qu’aussi bien, comme nous l’avons vu, parce qu’il y a la morale, il y a la violence. En effet, c’est la morale qui donne sa mesure et fait exister la violence en tant qu’objet d’interprétation, mais aussi, c’est la contrainte prescrite par les lois morales qui empêche la libre réalisation des individu-e-s et induit une violence sociale et émotionnelle, sous forme d’anxiété ou de rage. Sans les espaces intermédiaires propres à l’élaboration du trauma, ce sont les cibles immédiates qui servent d’exutoire.
Le webzine culturel, féministe et intersectionnel Deuxième Page sort sa première revue papier prochainement sur le thème de la colère, notamment de la colère féminine et de la manière dont celle-ci fut et est encore largement discréditée, assourdissant les voix qui se lèvent pour raconter leurs expériences d’un ordre politique oppressif – on pense entre autre aux stratégies dites du gaslighting. Ces voix sont souvent dépolitisées et pathologisées, par exemple, par le qualificatif de l’hystérie. Le genre, ainsi que d’autres catégories hiérarchisées, tombe comme une désolidarisation du droit et ici, le champ moral et sa tradition, la répartition des rôles de genre qu’elle établit, participent d’un cloisonnement du dialogue social et de la participation collective à son propre devenir. Le caractère impérieux du domaine moral et son efficacité justifient l’accoutumance vis-à-vis des injustices manifestes par une hiérarchisation des droits. L’ordre moral vient traditionnellement de la figure du Père et nous prenons cela pour acquis. Dans le roman L’hibiscus pourpre (2003) de Chimamanda Ngozi Adichie, c’est cette figure du père aimé et admiré en public mais respecté jusqu’à la crainte en privé qui reflète l’archétype de l’ordre patriarcal. Cet archétype n’est pas propre au genre masculin – ni n’en est l’essence – mais à une organisation masculine du pouvoir autour de rapports de force cristallisés dans le champ symbolique et politique. C’est un possible qui a été actualisé de façon précaire à travers les siècles, enjoignant la classe masculine à la renforcer par peur d’un soulèvement et par un cruel manque d’éducation affective – et cela aussi constitue une contrainte sociale reproductive qui a valeur de prescription. C’est un cycle de violence et de réponse défensive à cette violence. Nous nous accoutumons à ce que la marge de protection qui nous est offerte justifie d’être redevable aux figures parentales et d’y obéir, comme l’explique la psychanalyste Alice Miller.3 Or, cette obéissance est également justifiée par la nécessité impérieuse de maintenir une lignée familiale, politique et culturelle présentée comme le seul moyen de survie psychique et symbolique collective face à la perspective de la mort. Sous un régime de peur, nous nous accoutumons donc à obéir pour ne pas mourir, sans vraiment savoir toujours à qui et pour quoi obéir. C’est une tractation, un contrat que nous nous habituons à réactualiser sans cesse, comme une garantie par défaut.
Qui dit accoutumance dit dépendance, y compris pour ce qui est de donner du sens à nos actions et à celles des autres. Le système de « protection » – mais de qui et comment ? – de l’ordre moral (entendu du groupe dominant) est lui-même dépendant d’un système politique qui entretient une forme de violence légitime (car reproductible) à même de justifier sa hiérarchie. Bien des modèles du sacrifice sont finalement tirés d’une même verticalité du pouvoir, fût-elle même fondée sur un ordre mystique. Cette même verticalité et les verrous qu’elle implique formulent les conditions d’élaboration du trauma autour d’une figure d’autorité à la fois crainte et respectée, laquelle justifie l’usage légitime des violences physique et symbolique l’une par l’autre (Pierre Bourdieu, Sur l’Etat, 1989-1992) ; ou pour reprendre les mots de l’Abbé Pierre au sujet des écarts de richesse : « Il n’y a pas de violence qu’avec les armes. Il y a des situations de violence. »4 Si l’on pensait que ça n’avait rien à voir avec les enjeux du genre, qu’on songe au fait qu’aujourd’hui, en Europe, on assiste à la montée des partis d’extrême-droite, lesquels font reculer les droits à l’avortement – comme en Pologne et dans une trentaine d’autres pays du monde (dont les États-Unis et le Brésil) réunis autour du « Consensus de Genève ».
Comme toujours, l’intersectionnalité offre des clés de lecture. En France, selon le rapport du CCIF de 2019, 70% des actes islamophobes ont été adressés contre des femmes musulmanes ou supposées l’être en 2018. Pourtant, la majorité des attaques terroristes armées et revendiquées par des groupes islamistes sont identifiées comme étant perpétrées par des hommes. Les femmes tendent donc à être associées plus spontanément au quotidien à des objets et des cibles faciles d’attaque « ordinaire », non-organisée et impulsive lorsqu’il s’agit d’exprimer ouvertement un ressentiment diffus à l’égard des populations de confession musulmane. L’habitude d’une certaine impunité et normalisation face aux agressions commises envers des femmes et groupes minorisés, jusqu’au sommet de l’État, vient appuyer cette tendance. Il est par ailleurs rare qu’on questionne les contextes systémiques, voire géopolitiques qui entraînent agressions et attentats. Il faut rappeler le nombre d’entre eux perpétrés par des personnes s’identifiant à des idéologies d’extrême-droite (la majorité le sont aux États-Unis5) et souvent ouvertement misogynes. Cela confirme l’orientation politique par laquelle on véhicule la narration médiatique autour de ces événements en termes moraux de Bien et de Mal et leur exploitation. Cette division binaire rend difficilement compte des violences interstitielles propres aux dynamiques intersectionnelles. Ainsi, le 24 octobre dernier, la chanteuse de Lous and the Yakuza relatait sur son compte Instagram un cas de cyber-harcèlement à son encontre visant sa couleur de peau foncée, dont elle expliquait qu’il provenait pourtant d’hommes noirs. Un système de domination hiérarchique sur la base du genre, de la race, de la classe et/ou de la validité affecte aussi les dynamiques intra-communautaires, comme c’est le cas du colorisme. Le fanatisme n’est enfin pas le propre d’une religion comme l’Islam, quoi qu’en disent les adeptes du « séparatisme », sinon nous ne pourrions pas parler d’un fanatisme capitaliste et suprématiste qui estime qu’une croissance exponentielle infinie est possible dans un monde aux ressources finies et que ses bénéfices seraient « naturellement » échus aux hommes blancs (comme catégorie sociale), cisgenres et hétérosexuels. Ces derniers auraient autorité pour ce qui est de décider du cours de sociétés entières et de leurs écosystèmes naturels. La hiérarchisation raciale sert en effet très bien l’exploitation des ressources (matérielles comme humaines) par une classe dominante. Selon les chercheurs-ses du collectif Zetkin, « L’accaparement et l’empoisonnement [des terres de populations comme les Amérindiens ou les Ogoni dans le delta du Niger] n’est admissible que si leur valeur humaine est diminuée. Les exploits qui font la fierté des « races civilisées » n’auraient jamais pu être accomplis sans les matières premières, les marchés d’outre-mer et l’esclavage africain. »6
En France, le ton martial utilisé depuis le début de la crise sanitaire et économique liée au coronavirus, qui fait suite à la violente répression des mouvements de protestation des « Gilets Jaunes », illustre parfaitement les mécanismes d’accoutumance à l’injustice sociale par l’application de la « stratégie du choc » (Naomi Klein, 2008). Des interventions impeccables sur l’auto-détermination comme celle de Sara El Attar, consultante en gestion de projet et jeune femme voilée, sur la chaîne Cnews (21 octobre 2020), montrent bien l’effort de résilience constamment supporté et pourtant invisibilisé face au faisceau d’injonctions et de projections imaginaires – ici de façon exemplaire sur un plateau de télévision, face à des personnes qui ne comprennent, ne vivent et ne s’ouvrent pas à des réalités d’existence différentes des leurs. De nombreuses personnes des communautés Sud-Asiatiques tentent également de rendre plus visibles et lisibles leurs expériences sous-représentées et mal comprises (relatives aux communautés de couleur Brown). La conjonction entre un contexte global et géopolitique violent et l’absence d’espaces de dialogue sous le règne néo-libéral continue par ailleurs de provoquer des situations d’incompréhension et de violence inacceptables, qu’il s’agisse du meurtre de l’enseignant Samuel Paty par un fanatique religieux comme de l’agression au couteau d’une famille musulmane par deux femmes avec leurs chiens sur le Champ de Mars (20 octobre 2020). On pourrait croire que les situations de violence ne sont pas non plus une spécificité du néolibéralisme ; seulement sa spécificité bien réelle, c’est qu’un accès facilité aux ressources (matérielles mais aussi morales, intellectuelles, culturelles) existe, mais qu’il soit confisqué par les écarts de richesse, lesquels sont entretenus et accentués sans mesure (voir les derniers rapports Oxfam). Une tension de plus en plus grande continue de croître dans la marge restante entre précarité et confort. Plus celle-ci est atteinte, plus nous espérons préserver le peu de confort et de protection qui nous est offert, et nous nous rendons prêt-e-s à accepter la progressive destitution des « libéralismes politiques », selon les termes révélateurs annoncés par le président russe Vladimir Poutine, il y a de cela un an.7 Ceci correspond à la mise en place de l’accoutumance au pire, tant que nous n’en sommes pas personnellement touché-e-s, d’où le nécessaire maintien d’une dichotomie raciste Nord / Sud.
Nos corps et nos vies sont prises dans tout cela, et rien n’en reste sans effet sur nos représentations et nos apprentissages, comment nous nous formulons nos futures et composons avec un présent chargé d’une histoire par ailleurs souvent tue ou déformée, orientée politiquement (qui aujourd’hui a déjà entendu parlé des « folles de la Place Vendôme », ces mères venues protester contre les violences policières entre 1982 et 1986 ?8). Les rapports de pouvoir qui sont engagés désignent les espaces ouverts pour l’élaboration personnelle et collective et en referment d’autres. Genres et sexualités sont intimement dépendants de ces facteurs contextuels et constamment reconstruits, comme le signalaient les concepts que nous avons abordés précédemment liés aux hétérotopies chez le philosophe Michel Foucault. Adresser les problématiques qui leur sont liées ne peut se faire sans questionner ces contextes et leurs échelles, pour en tirer les grandes lignes, structurer son regard, se mettre à l’écoute de l’élaboration singulière de tout trauma.
Apprentissage social et la symbolique des monstres
Avant de revenir aux questions directement liées au genre et aux sexualités, faisons un détour par le cinéma et notamment avec un film : Us (2019), écrit et réalisé par Jordan Peele. Celui-ci représente une famille Noire Américaine de la classe moyenne, les Wilson, en vacances d’été à Santa Cruz, en Calilfornie. La nuit venue, iels sont confronté-e-s à leurs doubles horrifiques, toustes habillé-e-s d’une combinaison rouge et armé-e-s d’un ciseau, qui montrent l’intention de prendre leur place. Sans rentrer trop dans les détails pour celleux qui souhaiteraient voir le film (nous annoncerons un spoiler), on peut en dire que le point pivot de l’histoire se situe autour du personnage d’Adélaïde (Lupita Nyong’o) et du double qui lui est relié (Tethered), dont on apprend la nature véritable à la fin du film. Ce dernier introduit des éléments symboliques discrets qui captent l’attention d’Adélaïde et évoquent l’existence parallèle de deux mondes : l’un évoluant à l’air libre, l’autre souterrain. Les gens ordinaires, et les monstres. La classe des dominants, la classe opprimée. Le récit officiel et son oubli, l’Histoire et sa livre de sang. On apprend plus tard que la population des doubles peuplant les souterrains aménagés est issue d’une expérimentation scientifique avortée qui avait eu pour but initial de contrôler les personnes à la surface. La scène d’ouverture du film montre la personne qu’on identifie comme étant Adélaïde enfant se promener le soir avec ses parents sur la promenade au bord de la mer, tout au long de laquelle se tient une fête foraine. La petite fille échappe à la surveillance de ses parents et se perd dans une galerie aux miroirs sur le thème de la forêt et du chamanisme Amérindien. Celle-ci invite les promeneurs-ses à « Découvrir qui iels sont ». Adélaïde y fait la première rencontre avec son double et une grande part du film tourne autour de la relation traumatique entre les deux êtres. Le schéma manichéen Bon-ne / Méchant-e est ainsi remplacé par une ambivalence entre coupable et victime qui lie Adélaïde à Red.
Illustration 1: Lupita Nyong’o dans Us, de Jordan Peele (2019)
(Spoiler : Ce qu’on découvre à la fin du film, c’est qu’à ce moment qui initie le récit, le double enlève la petite fille et l’emmène dans les souterrains où vivent les « Relié-e-s », lesquel-le-s sont dénué-e-s de parole. Elle prend ainsi sa place à la surface et usurpe son identité, tandis que la « vraie » Adélaïde se retrouve la seule douée de parole dans un monde clos, semblable à un cauchemar. Mais pour cela, alors même que les parents d’Adélaïde à la surface retrouvent une enfant incapable de parler et étrange qu’iels ne reconnaissent pas, celle-ci devra apprendre à intégrer le langage et les codes de leur monde, le monde « libre ».)
Le film Us, au-delà de la construction symbolique très fine évoquant l’histoire des États-Unis et la construction de l’altérité (le massacre des Amérindiens, la mise en esclavage des populations Noires Africaines, l’exploitation capitaliste des classes prolétaires, …), pose la question de l’apprentissage des codes sociaux, symboliques et corporels (les premiers indices qui trahissent finalement la véritable identité d’Adélaïde) et du même coup, des interfaces qui font la médiation entre soi et les autres. Cet apprentissage et ces interfaces régulent les interactions sociales et les réseaux de valeur. Au final, ils permettent donc à Adélaïde de réussir à jouer le rôle d’une jeune femme comme les autres, qu’elle vient aussi à apprendre grâce à la danse, l’art comme vecteur de singularité. La symbolique du masque est là constamment dans le film et fait presque écho au terme de masking (« masquage ») dans le lexique analytique féministe des neurodiversités, lequel désigne l’effort constant de conformation aux normes de conduite sociale dans le but de favoriser son intégration et d’éviter le stigma de la différence. Or, comme l’affirme Morgan-e Blier, militant-e queer et handi-e, « personne n’a jamais été normal. Le corps humain n’a jamais été standard. »9 Le thème du monstre, pris ici dans sa dimension horrifique, évoque celui des freaks, des gens différents, à la marge, comme les off colours de Homeworld dans la série animée Steven Universe (2013-2019). Les espaces sociaux « normaux », leurs mondes de représentation et leurs codes fonctionnent ainsi comme des interfaces sociales et symboliques qui sont soumises à une lecture, à une interprétation et à une évaluation constante. On évalue et on surveille sa conformation à la norme et celle des autres constamment, de façon compulsive, comme condition de notre évolution dans les espaces où notre corps est exposé. (Nous avions développé autour de ce thème l’idée d’une méta-herméneutique, soumettant à l’interprétation tout champ lisible du corps soumis au regard.)
Dans Us, la concomitance récurrente d’identités semblables mais sensiblement différentes par leur allure et leur comportement souligne « l’inquiétante étrangeté » (Sigmund Freud, 1919) d’une indétermination et d’une indécision. J’hésite entre m’identifier et rejeter l’élément auquel je suis censé-e pouvoir m’identifier. Dans une scène mettant en parallèle la vie des « Relié-e-s » avec celle de leur « Originaux-les » à la surface, nous sommes constamment en train d’établir des correspondances, de retrouver les ressemblances et les divergences, et c’est cette tension entre deux mouvements contradictoires – d’attraction et de rejet – qui crée le malaise, l’espace de différence et le décrochage du rapport entre la reproduction et sa référence. C’est parce qu’il y a un effort constant d’évaluation et que cet effort est actif que toute divergence est perçue comme une perturbation de l’effort d’identification. Le film aborde ainsi brillamment le thème du pulsionnel, qui de la même manière que le concept de jouissance, on l’a vu (Darian Leader, 2020), est soumis à un usage qu’il s’agit ici de questionner.
Le « pulsionnel » ou la rupture de l’intimité
Comme évoqué dans l’article précédent, la (com)pulsion de répétition et la jouissance s’établiraient dans l’absence de terme (autant compris comme fin que comme objet signifiant défini, ayant un contour bien délimité et une forme finie), voire l’impossibilité d’un terme. Il est impossible d’assimiler la personne à son double ou à sa propre image dans le miroir, comme il est impossible pour sa propre main d’être l’objet et l’agent pour s’en saisir, et c’est parce que cette distance est irréductible que notre perception établit dans cette image une distance, qui est imaginaire parce qu’on ne peut la résoudre ni la combler. Elle résiste en tant qu’objet non-assimilable à la parole. C’est l’idée que nous avions observée dans le dispositif logique de l’identité posé par le psychanalyste Jacques Lacan (voir « Identité et identification »), empruntant à Saussure l’idée qu’un signifiant se définit d’abord par tout ce qu’il n’est pas – y compris lui-même comme faculté à se répliquer. Si une chose est Une, elle n’est pas censée avoir un autre qui lui soit identique, d’où l’incongruité de sa propre réflexion. Ce genre d’idée a beaucoup nourri des démarches artistiques conceptuelles comme celle du plasticien Marcel Duchamp au début du siècle dernier ou du compositeur John Cage dès la fin des années 40. Elle pénètre de manière générale, comme nous l’avons vu, toutes les questions liées à l’altérité dans les points de vue assignés à la minorité sociale.
Or, de la même manière que nous avons critiqué l’usage préférentiel des concepts théoriques liés au sexuel, pour envisager plutôt les processus de sexualisation, nous devons nuancer la catégorie de « pulsionnel », habituellement jugée comme élément élémentaire et irréductible. Que serait un corps sinon un ensemble coordonné de pulsions ? Nous avons vu avec Francisco Varela qu’une vision prescriptive du monde naturel et humain pouvait distorde notre champ de perception et d’évaluation. Parler de pulsion revient à parler d’un donné qui s’établirait en-dehors de toute structure relationnelle. Or, nous l’avons vu, il faudrait envisager les choses autrement parce qu’il n’y a pas d’expérience qui puisse en fait exister en-dehors de ce cadre, en vertu même du principe de sensorimotricité – lequel implique tout corps au cœur des modalités d’interaction qui le lient à ses environnements perçus. Une expérience est ainsi toujours incarnée et située dans cette intrication du fonctionnement sensorimoteur des corps avec leurs environnements d’expériences qu’ils réinventent constamment (F. Varela, E. Thompson & E. Rosch, 1991). De même, l’exercice de la pensée, l’ouverture de l’imaginaire puis l’élaboration symbolique et structurelle du langage prennent toutes racine dans ce cadre. Les modalités d’interaction qui régulent nos expériences aujourd’hui sont de surcroît interdépendantes des systèmes de règles et de dettes qui forment nos environnements sociaux de façon artificielle (joignant le corps aux actes de langage, au sens d’artifier emprunté à la chercheuse en neuroesthétiques Ellen Dissanayake) et répartissent les espaces de pouvoir – notamment en fonction des critères de genre (Kate Millett, Sexual Politics, 1970), mais aussi de race, de classe et entre autre, de validité. C’est parce qu’il y a ce regard de l’autre que ma relation à mon corps embarque avec elle la mémoire d’une sanction et sa situation traumatique. Si le pulsionnel désigne tout ce qui du corps n’est pas pris en charge dans le champ social, laissé à la charge de l’individu-e qui se devra de le contenir, alors non seulement la dimension sociale doit être prise en compte dans sa qualité de regard auquel on soustrait la pulsion, mais aussi comme espace de rupture de l’intimité de la personne avec son propre corps. À qui alors adresser la douleur ou le plaisir de ce corps-là ?
Par peur de complaisance avec cette charge pulsionnelle suspectée chez la personne qui fait office de patient-e et par attachement, lui-même suspect, à un lexique témoignant d’une objectivité scientifique « neutre » (sous-entendue de tradition masculine), la théorie psychanalytique, chez Sigmund Freud comme chez Jacques Lacan, a fini par déposséder le sujet de cet espace propre à soi où on loge le pulsionnel – parfois en oubliant sans doute eux-mêmes qu’ils étaient des « sujets parlant » dépendants des conditions de leur propre émergence et culturellement situés – et qui est tout simplement l’intime. Au-delà du corps en tant qu’objet de pulsion, il y a les différents espaces d’élaboration de son action et de son sens, lesquels ne se valent pas et n’incluent pas les mêmes droits de réponse. Ceci agit sur la qualité même de tout symptôme, puisqu’il pourra être interprété tout à fait différemment, par exemple, selon le genre de la personne (il n’y a pas d’exemple aussi emblématique à ce titre que le diagnostic d’hystérie). Il existe un territoire de relation à son corps propre qui doit être réapproprié par la personne et pour elle-même. Et c’est très important, parce que la rupture de l’intime causée par la sanction – notamment morale, dans ce qu’elle se signale comme un impératif préventif, par ailleurs souvent signifié dans la théorie psychanalytique et son usage par le concept orienté de « castration » – est justement ce qui marque l’expérience directe du corps du sceau de la culpabilité. Or, si on ne met pas la culpabilité assignée à la pulsion en rapport avec la légitimité qui devrait être absolue de l’expérience intime, on manque aussi la perspective de la cure, qui est non tant l’acceptation d’un « désir » impérieux en tant que construction inconsciente du pulsionnel, mais la réappropriation de l’intime, qui peut ou non faire part à la sexualisation de cette expérience. On ne peut s’abstenir de contextualiser le pulsionnel au même titre que le sexuel et de les ramener à leurs conditions d’émergence en tant qu’objets symboliques.
Darian Leader a examiné avec attention les gestes compulsifs de nos mains dont on ne sait que faire dans l’espace public et même privé, partout où elles sont potentiellement soumises au regard (Mains, 2017). Cette compulsion signale une insécurité face à une non prise en compte du corps dans ses dimensions expressives dans l’espace social, autant que la compulsion de rectification, d’isolement, de séparation de leur activité du reste du corps visible, lequel doit être normalisé de façon impérieuse. Pour autant, est-ce que ce « pulsionnel » existe en-dehors de son rapport de tension avec cette force de conformation issue du champ d’interprétation sociale ? Au-delà de sa dimension strictement nerveuse, le pulsionnel est coloré d’une violence. Or, nous avons vu que toute violence est co-dépendante du champ moral qui impose et prescrit une contrainte du corps et sa conduite préférable. Le pulsionnel émerge de cette violence qui est une rupture de la capacité du corps à s’auto-déterminer et à se présenter à lui-même. Le pulsionnel se présente comme une transgression, mais cette même transgression se prend à la mesure des interdits prescrits et de l’absence d’une répartition équitable des espaces de parole et de réinvention de soi. Ces champs forment des interfaces interprétatives et sociales qui conditionnent l’accès au sens et à sa situation équitable. L’apprentissage du respect de l’intégrité physique et psychique des autres devrait être prioritaires. Cet apprentissage permettrait de soumettre une frustration éventuelle à sa propre évaluation et à projeter des alternatives dans les champs intermédiaires restant ouverts. Or, le champ moral et prescriptif impose une conduite linéaire qui ferme l’accès aux alternatives à partir d’un certain point d’acceptabilité sociale, laquelle est basée sur des normes et des conventions et intriquée à des impératifs politiques et hiérarchiques.
Cette compartimentation des espaces possibles est tout à fait lisible dans la séparation imperméable entre les espaces naturels et urbains, comme l’exprimait l’essayiste Sylvia Federici avec le concept d’enclosure (voir « Identité et identification »). Le pulsionnel n’existe pas hors de l’enfermement, du cloisonnement et de l’orientation qui lui donnent sa norme et dont la binarité est le premier inhibiteur de nuance (Bien / Mal, homme / femme, riche / pauvre, peau claire / peau sombre, valide / invalide, …). Permettre l’élaboration ouverte des moyens d’expression propres et des modalités de dialogue est loin d’être une porte ouverte au crime si elle permet, encore une fois, l’apprentissage du respect mutuel du droit à l’auto-détermination. Ses termes ne reflètent pas non plus un manque de complexité ni une dimension utopique. Ils évitent juste de porter caution aux structures signifiantes qui prennent la perpétuation des violences systémiques comme un donné. C’est grâce à cette flexibilité qu’on permet au contraire une régulation sereine des espaces collectifs et intimes et par là, de la liberté.
1In Paul Ricœur, Ecrits et conférences 2 : L’herméneutique, ed. Seuil, 2010.
2En France, la situation dans les Antilles est toujours préoccupante, notamment en regard de la pollution des terres par l’épandage de pesticides et de la répression des mouvements de protestation. L’activiste féministe et anti-raciste Angela Davis dira même d’un pays comme la Martinique que son fonctionnement, soumis à la Préfecture Française, s’établit toujours comme celui d’une colonie (à la conférence « Moving Together: Activism, Art and Education », Université d’Amsterdam, mai 2018).
3In Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, ed. Flammarion, 2004.
4Discours donné le 22 janvier 2007, Fondation Abbé Pierre.
6In Zetkin Collective, Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat, coordonné par Andreas Malm, ed. La fabrique, 2020. Lire aussi l’article de Basta ! Mag, « Déni du réchauffement, mépris pour les renouvelables, haine des réfugiés climatiques : le « fascisme fossile » », 22 octobre 2020.
8Voir l’ouvrage de Fatima Ouassak, La puissance des mères : pour un nouveau sujet révolutionnaire, ed. La découverte, 2020.
9« C’est une idée qu’on nous a mise dans la tête pour qu’on soit d’accord avec la façon dont on maltraite les personnes qui ne sont pas considérées comme appartenant à la norme. Il faut bien se rendre compte que […] la façon dont les gouvernements, les groupes, les institutions, les entreprises et les individus traitent les personnes malades et/ou handi est pire que de vivre avec une maladie et/ou un handicap. Et d’autre part être valide, non malade, est un état temporaire. Il va y avoir un moment dans votre vie où vous allez vous casser la cheville, où vous vous rendrez compte que vous n’êtes pas câblé comme tout le monde, où vous allez tomber malade, où simplement vieillir. » Dans un témoignage du 23 octobre 2020(dont nous tairons la source ici), où iel parle de l’effort constant de sur-adaptation et d’effacement de son handicap. Le « camouflage » (masking) peut en effet s’appliquer aux handicaps de manière plus large.
On trouve dans un pan de la théorie psychanalytique une tendance à considérer un ensemble symbolique uni et à tendance universelle soutenant le psychisme humain. Les manifestations théoriques du Nom-du-Père ou du phallus dans la théorie lacanienne, héritée des années 50-60, masque mal leur appartenance à un contexte social et culturel marqué par les structures patriarcales. Elles ont certes leur pertinence en tant que marqueur d’un ordre symbolique efficient, mais déterminé socialement tout en s’érigeant comme norme et comme donné se répétant de lui-même. Cette structure est logique si l’on considère valide une identité entre genre et attribution génitale ou l’observation d’un terrain avec les conditions de sa genèse.
Or l’analyse contextuelle apporte bien sa dimension active et performative à la constitution de l’identité en réponse et en interaction constantes avec un contexte qui est bel et bien déterminé culturellement, socialement et politiquement, et surtout historiquement. La structure familiale ne peut elle-même que s’organiser par rapport à ce contexte social et politique qui l’englobe, ce qui ne prescrit pas pour autant la réponse qu’elle formule à ce contexte. La structure de la famille autant que les individu-e-s qui la composent conservent leur part active dans cette réponse tout en étant conditionné-e-s par les moyens de leur transmission (les outils conceptuels et structurels du langage), pour autant qu’elles soient en mesure d’analyser et d’évaluer les interactions qui la traversent.
Comme en témoigne Taline Oundjian, par exemple, jeune femme « française, d’origine arménienne » : « Pour la génération de Mamik [ma grand-mère], s’assimiler était un devoir, et les trois générations qui l’ont suivie se sentent avant tout françaises. Pourtant, j’ai besoin de me construire avec la part que j’ai choisie. Pas celle dictée par ma famille, par un État racisant, ou par une quelconque convention. »1 L’historienne Raphaëlle Branche rappelle également, à propos de la guerre d’Algérie et du silence des appelés français revenus d’une guerre qui ne dit pas son nom, que « D’habitude, on a l’impression qu’il s’est passé une expérience, et qu’elle produit du silence ou de la parole. Mais on ne peut pas comprendre si on se focalise sur l’expérience. Le silence est une structure relationnelle. Il faut prendre en compte beaucoup plus large, ne pas se contenter de regarder l’appelé, ce qu’il dit ou ne dit pas mais à qui il le dit, à qui il peut le dire, avec quels mots peut-il confier son expérience. Je me suis centrée sur la famille car elle est le premier lieu de transmission de l’expérience mais comme une poupée russe, cette famille est aussi dans une société. »2 On pourrait évoquer ce même silence qui « [fait] sienne la fiction selon laquelle le colonialisme a pris fin en 1962 », explique l’écrivaine Françoise Vergès pour qui « le féminisme s’est leurré sur l’existence d’un vaste territoire ‘ultramarin’ issu de la période esclavagiste et post-esclavagiste comme la présence en France de femmes racisées. Complice alors des nouvelles formes du capitalisme et de l’impérialisme, il demeure silencieux sur les nouvelles formes de colonialité et de racisme d’État dans les Outre-mer et en France. »3
Observer des dynamiques signifiantes à travers le discours d’une personne, qui se constitue alors comme sujet de sa propre expérience, ne nous permet pas d’essentialiser leur nature dans des structures immuables, surtout lorsque ces dynamiques émergent clairement en réponse à un contexte orienté politiquement, dont nous n’avons que des traces parcellaires. Le politique prescrit des conduites typiques, admises, en décourageant les prises de parole divergentes à travers des mécanismes de répression jouant à des niveaux divers (répressions physique et matériel à l’appui d’une répression symbolique comme nous l’avons vu avec Pierre Bourdieu, qui est aussi la résignation du sujet). La psychologue Céline Béguian, spécialisée dans le traumatisme, rappelle en citant Sándor Ferenczi (Confusion de la langue, 1933, Payot) que « la peur, quand elle atteint son point culminant, [oblige l’enfant] à se soumettre automatiquement à la volonté de l’agresseur, à deviner le moindre de ses désirs, à obéir en s’oubliant complètement et en s’identifiant totalement à l’agresseur. »4 Nous avons aussi vu précédemment qu’un système d’interprétation peut et émerge souvent a posteriori pour justifier des rapports de pouvoir.
Lorsque les moyens de subsistance et de survie sont en jeu, nombreuses sont les stratégies qui permettent de composer avec la force de domination qui nous soumet à son régime d’interprétation, lequel justifie ses propres actions. Nous entrons dans un régime de persuasion qui nous engage dans une relation à long-terme de subornation à la règle dominante. On oublie souvent, notamment, que dans l’idéologie « capitaliste impérialiste, suprémaciste blanche et patriarcale » (belle hooks), laquelle gouverne à peu près la totalité des moyens engagés pour la domination stratégique des territoires (et ce même lorsqu’ils concernent des États non-ocidentaux à participe du moment où ils participent d’une économie géo-politique mondialisée), la définition et la position de « l’homme » sont plus ou moins équivalentes à celles de propriété. On peut rappeler par exemple, en ce qui concerne la culture politique française, que la rédaction de la Déclaration des Droits et des Devoirs de l’Homme et du Citoyen de 1795, participant de la Constitution de la première république, tranchait radicalement avec la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789.
Aussi, « Cette transition des droits [naturels] de l’homme vers les droits de citoyen [expression absente de la Déclaration mais explicitée dans les articles 12, 13 et 14 de la constitution] est accompagnée de la priorité accordée au droit de propriété consacrant la liberté économique et conditionnant l’exercice des droits civiques ; elle permet de sélectionner parmi les hommes ceux qui, « homme(s) de bien », « bon(s) fils, bon(s) père(s), bon(s) frère(s), bon(s) ami(s), bon(s) époux », sont des « bons citoyens » — donc non seulement aptes mais encore habilités à défendre la patrie et le gouvernement, à assurer la conservation de la propriété contre toutes les exactions du « peuple » ou contre toutes les réclamations indues des « exclus des registres civiques ». »5 Ainsi, cette Déclaration affirme que « tout citoyen doit ses services à la patrie et au maintien de la liberté, de l’égalité et de la propriété, toutes les fois que la loi l’appelle à les défendre » (art. 9 Décl. 1795, devoirs). La devise actuelle de Liberté, Égalité, Fraternité masque mal ce passage oublié mais significatif par une devise bien différente.
Avec la montée du capitalisme à l’ère industrielle, la notion d’accumulation de biens évolue aussi en fonction de la manière dont celle-ci articule force et production de travail, salaires, usage, (re)distribution et plus-value. À la fin du XIXe siècle, pour les économistes néoclassiques, « le capitalisme a eu besoin de montrer un temps qu’il produisait de la richesse, mais ce n’est plus le problème. Le problème – soulevé par Marx – est de montrer sa capacité à durer au-delà des crises, à s’auto-organiser. »6 Au début du XXe siècle, et notamment dès les années 20 aux États-Unis, des théories et outils pratiques à la résilience de ces structures du pouvoir économique et politique sont échafaudées, notamment en ce qui concerne la « manipulation de l’opinion en démocratie »7, c’est-à-dire l’assimilation de la dynamique de consommation à celles d’obéissance. Les mécanismes de hiérarchie et de pression sociale y sont clairement utilisés pour « fabriquer le consentement » des populations tout en conservant l’illusion du libre-arbitre quant au choix des objets de consommation et aux modalités de participation collective au politique (le vote).
La question de la valeur, qu’elle soit financière, matérielle, politique et/ou sociale, remplace la seule question de « l’accumulation de marchandises » décrite par le philosophe allemand Karl Marx et met les populations « laborieuses » à un tout autre travail. D’elles-mêmes, elles vont être de plus en plus invitées à générer leurs propres preuves d’obéissance dans la mesure où les processus de dématérialisation progressifs nous conduisent à produire notre propre contenu, y compris sur le champ administratif. Qui n’a pas aujourd’hui les moyens d’avoir un accès internet et une imprimante aura bien du mal à justifier les moyens de sa citoyenneté.
Aussi, pour en revenir à la question du genre dans son rapport avec le monde du travail, qu’il soit rémunéré ou gratuit, la « répartition inégale des hommes et des femmes dans les différents métiers est indissociable d’inégalités structurelles en termes de rémunération, de condition de travail et de prestige social. »8 Nous ne pouvons nous en étonner, dans la mesure où même la Déclaration constitutive de notre première république n’accordait le privilège de la citoyenneté qu’à la portion de la population payant suffisamment d’impôt (suffrage censitaire) et donc, possédant assez de fortune pour justifier de leur statut social. Si les emplois générant le plus de capital (au sens large) sont détenus majoritairement par des hommes (sous-entendus cisgenres et hétérosexuels ou assimilables car empruntant leurs codes de représentation), nous pouvons a priori définir symboliquement un « homme » par sa propriété en regard de ce même capital, lequel vient ouvrir ou refermer l’accès aux espaces de décision et d’action sur le champ politique.
D’où que lorsque dans une affaire telle que les accusations de viol sur mineur-e à l’encontre du réalisateur Roman Polanski, il y ait une si vive réaction visant à défendre « l’artiste » en le séparant de « l’homme », notamment de la part d’une portion aisée de la population française. Que ferait en effet un Roman Polanski de sa vie s’il venait à être destitué de sa position ? Quel travail serait-il autorisé à exercer ? Pourrait-il encore faire des films ? Serait-il encore autorisé à s’exprimer publiquement sur des sujets divers ? Pourrait-il enseigner ? Après avoir purgé sa peine de prison, que pourrait-il encore faire, accablé du statut de paria ? Ici, nous sommes appelé-e-s à considérer plus les nuances de la vie d’un homme, qui a déjà exposé ses visions sur le monde et bénéficié d’une tribune médiatique et à travers ses films, que la souffrance des victimes. Cette dernière, en tant que souffrance de femmes ne jouissant pas du même capital symbolique ni d’un même accès à une parole publique élaborée, devient négligeable devant le préjudice fait à la notion symbolique de propriété. Dans la mesure où haut capital équivaut à une plus grande licence d’appropriation des biens matériels et moraux, la chute d’un Roman Polanski équivaut à la chute de cette licence, qui oblige à un travail de reconfiguration.
Et c’est bien parce qu’il faudrait repenser le rapport au monde d’un éventuel Polanski déclassé, ce qu’il devrait ou pourrait faire dans une société décidée collectivement après avoir été déclaré responsable de ses actes devant la justice, c’est bien parce qu’il faudrait repenser le rapport au monde de ces personnes en-dehors des structures de pouvoir qui les protège que l’accusation est subversive et source d’une angoisse du pouvoir. L’accusation d’Alice Coffin à l’encontre de Christophe Girard est l’accusation du soutien du pouvoir politique à un pédocriminel notoire. L’accusation d’Assa Traoré est celle d’un système étatique et policier profondément raciste, issu d’une pensée coloniale et responsable de la mort de son frère Adama Traoré. L’accusation des associations étudiantes et LGBTQ+ à l’encontre des Crous de France est celle de structures institutionnelles transphobes et d’une politique de sape des organismes publics censés soutenir la diversité des chemins de vie sur tout le territoire. Enfin, l’accusation d’Adèle Haenel dans sa prise de parole à Mediapart en novembre 2019 portait bien sur un système d’abus de pouvoir qui donne licence aux violences sexuelles tout en verrouillant l’accès des victimes à la parole publique et à l’écoute. Attaquer un homme de pouvoir auteur d’un préjudice – notamment, mais aussi en tant que structure politique dont nombre de femmes participent également par leur silence, leur complicité ou leur participation active –, où que ce pouvoir se situe, de l’État à la famille et à la rue, c’est attaquer le symbole de la propriété, c’est-à-dire la licence à s’approprier un espace qui a été pensé en continuité avec une histoire du pouvoir masculin, en particulier dans nos sociétés impérialistes, suprémacistes blanches et capitalistes occidentales.
C’est de cela qu’il s’agit, pas d’une idéologie, mais d’une histoire, de son héritage, de ce que nous choisissons d’en reproduire et d’en transmettre.
1In Taline Oundjian, « Et tu viens d’où sinon ? », Women who do stuff, Numéro 2 – La Famille, 2020, p.75.
2Lire entretien à Mediapart, « Appelés en Algérie : enquête sur un silence français », 2 octobre 2020.
3Ecouter l’entretien à France Culture, « Après la décolonisation, l’histoire coloniale et raciale disparaît dans la construction du récit féministe français », 24/04/2020.
5In Geneviève Koubi, « La Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen : obligations des législateurs et devoirs des citoyens », 1795, pour une République sans révolution, dir. Roger Dupuy, PUR, 1996, pp. 143-159, paragraphe 10.
6In ouvrage collectif, Economie, Sociologie et Histoire du monde contemporain, ed. Bréal, 2016, p. 53.
7Lire Edward Bernays, Propaganda : Comment manipuler l’opinion en démocratie, ed. La Découverte, 2007 (1928).
8In ouvrage collectif, Introduction aux études sur le genre, ed. Deboeck, 2012, p. 191. Voir aussi le travail de la préhistorienne du CNRS Marylène Patou-Mathis sur l’absence de division genrée du travail durant la préhistoire (pour une brève introduction : « Non, les femmes préhistoriques ne balayaient pas les grottes » sur France Culture, 13/10/2020).