Vers une autre pensée des sexualités

Texte en pdf :

Avec un remerciement chaleureux à Marie-José Minassian pour m’avoir introduite, il y a bien des années, au travail passionnant d’Ellen Dissanayake.

Cette réflexion est introductive à un travail plus vaste de refonte de nos outils de pensée en ce qui concerne les sexualités, notamment telles qu’elles sont abordées dans la plupart des traditions en psychanalyse dans nos sociétés occidentales. Dans ce cadre, la théorie de la sexualité, quelle soit freudienne ou lacanienne (pour citer deux de ses courants de pensée majoritaires, du moins en France), s’appuie sur le modèle du coït hétérosexuel et cisgenre pour fonder sa vision de la différence des sexes sur le plan symbolique. La sexualité est perçue comme un foyer assez chaotique de pulsions et de désirs qu’un ordre symbolique préférentiel viendrait canaliser au travers de certains interdits (notamment et à juste titre, celui de l’inceste) et de prescriptions (le modèle cis-hétérosexuel est posé comme norme logique du fait de la théorie de la différence des sexes, de la complémentarité génitale et de la fonction reproductive de l’acte sexuel dans ce sens).

Cette théorie expose comme divergences et/ou comme perversions tous modes d’expression de l’expérience sexuelle et/ou de genre qui n’entrerait pas dans ces prescriptions (de l’homosexualité aux pratiques BDSM1) et ce en y établissant une différence de nature plus qu’au travers d’une analyse des questions éthiques liées à la violence, à la contrainte, au droit inaliénable et mutuel à l’auto-détermination et à la notion critique de consentement. La critique n’est ainsi pas neuve, notamment dans une perspective féministe et intersectionnelle, de la vision partiale et située qu’offre cette élaboration et de l’histoire bio-politique et médicale de la cristallisation des schémas sexuels et de genre dans l’imaginaire collectif et des pratiques de pouvoir les un-e-s sur les autres.2

Mais ici, il ne s’agit pas tant de repartir sur ces notions en elles-mêmes, que nous avons par ailleurs déjà évoquées dans de précédents textes. Il s’agit plutôt de reprendre les choses dans notre perspective anthropogénéalogique de départ ; notamment, en utilisant un outil de réflexion en neuroesthétique élaboré par la chercheuse américaine Ellen Dissanayake, de façon à questionner les fondements de nos outils d’approche de l’expérience sexuel.

Un des concepts-clés du corps de pensée d’Elle Dissanayake dans son approche de l’évolution et de l’émergence des facultés esthétiques chez l’espèce humaine, c’est l’idée d’artification. S’inspirant de l’observation du comportement d’autres espèces animales dans le champ de l’éthologie, Ellen Dissanayake propose de moins considérer le contenu sémantique d’une œuvre ou d’un objet d’expérience esthétique comme étant le plus important dans cette expérience, mais plutôt la marque laissée par l’individu-e sur le monde à travers elle. La possibilité même de cette marque, de ce moment singulier entre l’individu-e et le monde qui l’entoure, de ce lien spécial, qui a un impact émotionnel et affectif pour l’individu-e et de l’individu-e à ellui-même, serait l’élément fondateur de l’expérience esthétique plus que son contenu symbolique. Par exemple, pour les premiers êtres humains à avoir apposé la marque peinte de leurs mains sur la roche, l’expérience même de pouvoir accomplir cet acte et de rendre des éléments de la vie ordinaire (les mains, la couleur, la roche) extraordinaire, aurait été à elle seule fondatrice de cette expérience – avant d’être répétée, simplifiée, formalisée, ritualisée, …3

De fait, on voit comment une telle approche peut intéresser la manière dont nous abordons l’expérience sexuelle, qui elle aussi est d’abord individuelle et singulière, avant d’être ensuite répétée, simplifiée, formalisée et ritualisée. C’est une expérience à laquelle nous pouvons virtuellement avoir accès de façon relativement immédiate et qui a sur nous un effet spécial, qui sort de l’ordinaire, avec la radicalité de ne pas forcément recourir à la médiation d’une structure symbolique (si l’on ne considère que l’excitation génitale, par exemple). Après cela, c’est l’attitude des autres par rapport à cette expérience et à son existence dans le monde qui change notre propre rapport : comment on y réagit ; comment on nous la présente, avec ses simplifications et ses interdits ; comment les êtres elleux-mêmes autour de nous se débattent avec leurs envies, leurs frustrations et leurs incompréhensions autour de la chose. Tout cela, nous en devenons témoin à mesure de notre croissance depuis l’enfance, de façon plus ou moins traumatique. Nous nous confrontons aussi à tout l’imaginaire et l’ensemble de règles codifiées autour de l’expérience sexuelle, dans le but de la canaliser selon un certain ordre, lequel a à voir avec la morale, le politique et le social.

Ce qu’il y a à comprendre de cette ouverture sur la théorie de l’artification, sans doute, c’est que contrairement à une marque sur un objet, par exemple, l’expérience sexuelle ne dure pas ou en tout cas, l’aboutissement de l’excitation génitale ne survit pas à son avènement. Elle se trouve donc compensée par une esthétique de l’érotisme ou par la fonction qu’on lui attribue dans le corps social (comme les fonctions de reproduction et de contrôle, notamment, sur les corps des femmes, des minorités et des étrangers-ères au corps social tel qu’il se conçoit lui-même). On part donc d’une chose relativement simple, de l’expérience d’une relation spéciale à son propre corps, pour aboutir à un ensemble de règles régulant cette expérience, qu’elles soient justifiées (comme l’interdit de l’inceste et de manière générale, comme devrait y aboutir l’exigence d’un consentement éclairé) ou non (toutes les violences et mécanismes d’oppression que ces règles justifient ou du moins, qu’elles admettent alors même qu’elles n’auraient pas de justifications légitimes et absolues, sinon leur arbitraire et leur historicité).

Une bonne partie de la psychanalyse se targue par ailleurs d’aborder la sexualité, les pulsions et le désir d’une façon qui soit amorale, neutre et de libre observation. Elle demeure toutefois arquée sur l’idée d’une structure fondamentale, logique et inaliénable de la constitution psychique des individu-e-s quand à l’identité sexuelle, qui serait une structure préférentielle (encore une fois, autour des modèles d’une sexualité hétérosexuelle, cisgenre, souvent ignorante de sa situation dans un imaginaire blanc, bourgeois et valide en ce qui concerne les cultures dites occidentales).

L’avantage de l’apport que peut constituer la théorie de l’artification chez Ellen Dissanayake dans ce contexte, c’est de ne pas présumer automatiquement de la violence intrinsèque des pulsions d’excitation lorsqu’elles interviennent, mais plutôt de l’effet qu’elles auraient sur notre curiosité et notre sens de nous-mêmes – surtout si l’on situe notre travail dans le cadre de la théorie du paradoxe sensorimoteur, qui pose l’expérience des structures cognitives de la pensée humaine comme une disruption du rapport à notre corps et à ce qui nous entoure. De fait, la violence s’articule ailleurs, dans la frustration et dans la contrainte qui fonde l’expérience humaine et qu’il s’agit de comprendre et d’apaiser pour ouvrir, dans le meilleur des cas, à des solutions dans l’organisation de la vie collective.

Nous rappelons que dans notre travail, la question de la violence est étroitement liée, dans une perspective herméneutique empruntée au philosophe Paul Ricœur, aux structures de l’ordre moral et de la mesure de sa contrainte. Si un pan de la psychanalyse justifie cette contrainte (exprimée, par exemple, à travers le concept freudien de surmoi) par une sorte d’ontologie sexuelle innée (la sexualité « normale » serait intrinsèquement hétérosexuelle et entre personnes cisgenres), nous pouvons ici mettre en balance l’expérience individuelle et inaliénable de l’excitation sexuelle, émotionnelle et sensorielle, d’un côté, avec les contextes de violence au sein desquels des traumas, au lieu d’être entendus et accueillis, sont convertis en interdits et en règles, de façon éclairée ou non, de l’autre, avec leurs intersections. La possibilité de verbaliser des enjeux et de les entendre, lorsqu’il s’agit de transgressions de l’intégrité physique et psychique des individu-e-s, en est le nœud central, qui malheureusement, aujourd’hui encore, est trop peu considéré – rencontrant des résistances ayant trait aux politiques de contrôle de la chose sexuelle et des violences sexistes, sexuelles et de genre.

C’est qu’on a déplacé le cœur du problème, au fil du temps et des cristallisations culturelles, politiques et sociales, d’une capacité inaliénable à dire oui ou non, à notre capacité à nous conformer à des motions de contrôle des corps certes plus confortables pour des personnes qui ont peur, qui ont beaucoup à perdre à entendre un refus et qui de fait, s’accrochent désespérément au contrôle qu’iels peuvent avoir sur leurs frustrations et leurs souffrances et donc, sur les autres et la possibilité de leur objectification. C’est à toutes ces questions, entre autres, qu’un tel remodelage permettrait de nous atteler d’une façon à séparer l’expérience sensorielle et émotionnelle, singulière et inéliable de l’individu-e, de celles liées aux réponses collectives qui en tirent leurs justifications symboliques, sociales et politiques – c’est-à-dire, des enjeux de pouvoir et de contrôle.

1Lire, par exemple, Gayle Rubin, « Une conversation avec Gayle Rubin », realised and translated by Rostom Mesli, in Raisons Politiques, 2012/2 (n°46), pp. 131-173.

2Lire, par exemple, Paul B. Preciado, Testo Junkie : sexe, drogue et biopolitique (Grasset, 2008), largement inspiré du travail de Michel Foucault, et bien sûr, l’ouvrage emblématique de Judith Butler, Trouble dans le genre. Le féminisme et subversion de l’identité, La Découverte, 2006 (1990).

3Lire, par exemple, Ellen Dissanayake, « The Artification Hypothesis and Its Relevance to Cognitive Science, Evolutionary Aesthetics, and Neuroaesthetic », Cognitive Semiotics, Issue 5 (Fall 2009). En anglais.

To the Origins of Thinking : A Human Paradox

Text in pdf : A Setting Bird – To the Origins of Thinking – A Human Paradox

 

To Marie-José

To Daniel

Introduction





An idea doesn’t belong to anyone

When it comes from and answers to the experience of many.



We have tried to answer, for quite some time now, the same question : what if ? What if we had one valuable and possible answer to one of those questions that tickles us since humans were being human ? What if we had one possible response to the question : where did our capacity to think come from ? There has been much ado about the many ways that we have tried to explain where a species such as ours could have evolve from. There has been over centuries of various cultural traditions and many passionating and beautiful insights, scientific explorations and creativity. Yet, let us just stop there and take a moment, for time is now running out. What if we could suggest one possibility, one single hypothesis that would provide us with a better chance at sorting all those questionings out ? What if, as the expression says, it was only in our hands all along and we missed it out ?

It is time to take a strong and gentle step. It is not only about knowledge. It is about a choice, a choice to make some space for imagining differently the starting point to the course of our entire common history. Some years ago, we started to develop and discuss a theory of anthropogenesis, called the ‘sensorimotor paradox theory’1. The idea was quite simple : according to biologist Gerald M. Edelman, what the human brain would have needed to develop the capacity for self-consciousness is the capacity to ‘delay or lag neural responses’.2 Indeed, if I automatically respond to a situation, I don’t take the time to think first about whether I would or not respond in the first place and how. Then, let us try something. Try to look at your own hand for a minute. Just open it in front of you and look at it as if it were any other object in your surrounding environment. Now, try to catch it without using your other hand and without withdrawing the one that stands as the object of your consideration. As much as you want to, you can’t. The need for a response is there, but forced to a delay, suspended. An image, the one of a possible action that you would like and feel the urge to do and resolve, but denied. An image, that stands for itself, as an only possibility for imagination.

The idea is simple and all the elements were there at the time of our prehistory, before engaging any semantics that would come later on with symbolic elaboration.3 The latter would not come from nothing, but be supported by an experience in the empirical world, that would develop alongside bipedal stance.4 The possibilities in the world as we perceive it would change dramatically. Our hands would become as useful as they are alien, identified to their objects, transforming the way that our body has to engage in an effort to touch and enact them.5 And, when it comes to enacting an impossible possibility, we get to a paradox, that opens room for an abyss – an abyss that only imagination and projection can fill. An abyss that we could stimulate and sustain just for the sake of its effect on ourselves. An abyss for stupefaction and the experience of the extraordinary.

Without even unravelling the whole chain of how we would have then developed symbolic and linguistic capacities, along with the transformation of socialisation and collective meaning, it seems important to stress that a robust founding hypothesis should be worth considering, if it means revisiting the whole paradigm that we use to rest our knowledge on. It means as well that we have an ethical responsability to decide where we would like to go with such a scientific and philosophical proposition, what we would do with it and why. Most of all, it may remodel many categories that were historically built on throughout the development of Western societies, very much entangled with cis-patriarcal6, capitalist, colonial, imperialist and pervasive ableist views. Our work leans then as much on Chilean biologist Francisco Varela’s work on proscriptive and permissive systems, as on intersectional social and political analysis concerning gender, race, class, sexuality or ability issues. For they are interpenetrated into the way that we make society and come to develop individually into seeing and participating of a shared world of meaning.

We will try to expose here the essential of what we need to know in order to evolve another gaze on things as they came to be where we are now. More importantly, we will try our best to make it accessible for the most, indulging the urge to overcome the exclusion of disabled and marginalised groups of people from the conversation. We will try to be thematic and as clear and interactive as possible. For this is collectively that the journey must resume.

I – ‘The natural order of things’

There are two ways of interpreting the evolution of anything, whether an individual or collective trajectory like the evolution of the various species on Earth. You can say that it happened this way but it was one possibility among many others, or that it had to happen that way. Biologist Francisco Varela argued that the second option was the one supported by neo-darwinist thinkers (like the computationist current in cognitive science), that he called a prescriptive vision of evolution.7 We know this interpretation of Charles Darwin’s theoretical work well by the expression : The survival of the fittest. In other words, it should mean that through a period of time, only the individuals of species that would adapt in an optimal way to certain environmental conditions would be the ones that eventually survive. This means that to this kind of doctrine, not only is it critical that nothing would impede the individuals’ capacity to survive and reproduce when the conditions change, but they should also do it in a certain way.

The major problem of this kind of perspective is that it takes the way that species did evolve and thrive – as much as we can observe it – as the way that had to be given the circumstances. It also gets along with the idea that all physical traits or behaviours of such or such species necessarily are or have to be adaptative. Konrad Lorenz, one of the founding figures of ethology (though controversial for his ties with Nazi’s racist ideology), warned the readers of his work about misunderstanding what he called the ‘teleonomy’ of evolutive trajectories.8 Observing the result of a trajectory would indeed be very different from expecting a specific result, which expectation may distort interpretation. Moreover, he pointed out many examples of some species with remaining physical traits or behaviours that did not apparently offer any adaptative or evolutive advantage, but did not seem to bother them either. The criterium of their ‘utility’ would depend much on whom it is useful to.

This joins with Francisco Varela’s proposition that we should switch paradigm, from a prescriptive to a proscriptive vision of evolution. According to him, so long as nothing threatens the two criteria of their survival and reproduction (that is proscribed), there is no imperative that the individuals of a given species should adapt ‘optimally’ to arbitrary rules given from the outside. They would simply create their own relation to their environments of interaction as they perceive them and in a way, recreate them constantly by interacting with them as to, so to speak, live their lives. They would do so without having to mind what researchers would come to think about it maybe centuries later with their own perspectives, imperatives and goals. (We may remind by the way that in the field of epistemology, philosopher Thomas Kuhn already suggested that Science did not form itself in an abstract or blank canvas, but by the grouping of scientists, which means actual people tied to their times, societies and belief systems.9)

One key element to the shift proposed by Varela is the concept of sensorimotricity. The sensorimotor system describes the way that each individual constantly adjust their movements to their senses. The way that those stimulations inform them of their own situation in time and space shapes their relation to their surroundings and to a world of others. If I want to move my hand or my head to catch or smell something, I should do so by guiding my body through my own perception of my hand or my head moving (that I sense and see). That means that the way that I perceive my environment is also dependent on the way that I interact with and within it, by enacting the possibilities at hand and being embedded inside them. To Varela, the concept of enaction illustrates that adapting to one’s surrounding environment is not abstract and impartial, but that the individual commits to it and actually realises something that they only could do with their own body, situated in one particular moment and space. It has to do with agency even before being conscious that a story could be told about it. In addition, the very perception of space and time is relative and co-dependent on the scales of our capacity to perform such or such action, what we are in the capacity to perceive and grasp, limited by the measure of our own body. We tend to forget that because urban infrastructures have been designed for certain types of bodies, with a certain size and ability to evolve inside them. We even come to an anthropomorphic interpretation of how other species interact with our shared environment as we witness them be, in the way that we tell the stories that we imagine that they live. However, a spider has a very different perception of what a leaf is to them than we have, as well as somebody in a wheel-chair has a very different perception of stairs than physically abled people have, or autistic people would feel when it comes to neurotypical forms of interaction.10

This means that we have to be careful with the way that we describe possible processes of evolution, if we don’t mind our own situated perspective. Feminist philosopher Donna Haraway developed in this sense the concept of situated knowledge11, that means to deconstruct the very preconceptions that we have about knowledge, the context where it takes place and emerges, the social biases that we might be subjected to without being fully aware of or daring to think them (being part of a group that exercises an influence on our judgment). This methodological principle would apply to many fields of research and dynamic analysis, to which a proscriptive approach could benefit. What does say that Imperialist, White Supremacist, Capitalist Cis-Patriarcal and Ableist societies such as ours (to take up from Black American scholar bell hooks’ terms) necessarily had to acquire hegemony over the way that we practice, make society today and treat our living ecosystems ? The practice of scientific research doesn’t escape that question. To what aim and what kind of living together do we want reality to adapt to ? Because in the end, it is not only about knowledge, it is about a decision : deciding how we want to interact with our surrounding environments, for whom and, importantly enough, for how long. And this is a political issue, for the way that we describe our lived reality says a lot about what we omit to say about it and spend time and energy to silence.12

As any species does, we make our own reality by experiencing it with the means at hand, and now is the time to lift the vail.

Therefore, why is that distinction between the prescriptive and the proscriptive so important ? Because when you state that something must be this or that way, you should better find how to justify that assumption. Most of the time, the justification of prescriptive systems such as ‘Only those who adapt optimally to the current conditions survive’ hides the motive of defending one’s own privileged position, which they feel could be threatened, whether in a direct or indirect way. German philosopher Georg W. F. Hegel illustrated this kind of relations of power in an allegory called, at the time (mid-19th century), the ‘Dialectic of the Master and the Slave’ – that would later inspire Karl Marx’s work. According to him, not only the master comes to be dependent on the work of the slave‘ that they subjugated, but also on the pressure maintained on them so that they would not revolt and try to liberate themselves. Relations of power never stand by themselves, they have to be reinforced and maintained in time. There, a strategy is needed.

For instance, the way that we describe a world that should serve as a common-base understanding for all is very much dependent on who gets to produce such a description and impose it as a collective truth. It should be reminded that the vision of Darwin’s theory that we exposed earlier served the elaboration of what is commonly called Social Darwinism, since English philosopher Herbert Spencer’s work in the 1850’s. Social Darwinism applies the idea of the ‘survival of the fittest’ to the organisation of capitalist societies, promoting a minimum implication of the State into the economy and social organisation. According to the supporters of the ideology, if we only let things go and did not intervene in social and economical issues, the latter would simply solve themselves out and acheive balance according to some ‘natural order of things’. The ‘fittest’ would then ‘naturally’ occupy the top of social hierarchy, because this was, in a way, ‘meant to be’ and fit to their satisfaction. To this view, best is not hindering those who are fitted in their access to privilege. Except that the actual state of political and social organisation is not neutral and already dictates the norms according to which some should have access to the spaces where power and its distribution are given, and many others would not. To say that those with the capacities to produce wealth and acheive a higher social position should have the liberty to thrive without restriction shouldn’t mean that most of the others, on the sole basis of their birth place and social identity (gender, race, class, …), should be denied any of those opportunities and would not even get to the doorstep of that competition or even to a sustainable living. In the end, what is at stake is often not less than the very material and moral means for their mere survival.

Defending such a vision of how a society should work eludes that there is already a social hierarchy built on inequalities, political injustice and discriminations. In fact, it would only tend to favour mostly those who already benefit from them (check the regularly updated Oxfam reports), if it were not for the institution of adequate social and regulatory policies (when they are not turned back against the already most precarious of the concerned populations, as it is often the case). Most of all, such a position likes to forget that the ruling of the privileged only comes from a particular history of establishing and maintaining the very structures of privilege that would back up the heroic striving of the fittest. Those mostly resulted from a history of violence, systematic oppression and debt contract. In fact, most people’s position of subordination to those systems of power and oppression only holds because they are taken by the economical debt for the access to a relative peace and material services, even the vital ones – as capitalism creates value from exchanging and lending them for some virtual currency. There is always someone, an intermediary that we never see that eventually sums up the bill, as we don’t directly own the means of production for those goods and services.

So we are borrowing some comfort, in exchange for an agreement to certain practices that we don’t always understand, whether concerning the way that our consumption goods and primary services are produced or the financial cost of ‘tax avoidance’. And even if we don’t accept those terms, most of the times, we are not in the position to bargin with what our States choose to close their eyes on or actively promote. In France, for instance, the ‘Yellow Vests’ movements of 2018 against anti-social policies and growing precarity resulted in brutal police repression, that ended the hope to eventually be heard by politics when going to the streets. According to French sociologist Pierre Bourdieu, it is because we can be deprived of that which is vital to our survival by an organisation of political power – in many cases, the State, which holds the legitimacy of the use of physical violence (police repression, imprisonment, confiscation of goods, …) –, that we are compelled to accept its imposed legitimacy in the use of symbolic violence (having us accept inequalities, even the most brutal).13 That is how it makes system.

There is always an ideology that then appears as a mean to justify inequalities, in order to go on making profit from them. It allows some to exercise political domination, even coming from people that do not hold the means of decision, but that are dependent on the slightest power that such a political system grants them in exchange for their obediance.14 Even oppressed people may have to accept the intolerable and ‘play the part’, sometimes reproducing onto those below them what they have to suffer, just so that they would survive themselves. Black studies, for example, from (but not limited to) W. E. B. Du Bois to Frantz Fanon, James Baldwin, Paul Gilroy, Toni Morrison or Maboula Soumahoro, analysed in that sense the impact of slavery on the colonised soul. On another subject, self-advocacy groups on neurodiversity regularly point out the effects of over-adaptating to the pressure of certain kinds of normed social interactions that autistic people, for instance, are the least comfortable with. The notion of ‘masking’ was notably developed to show how performing codified social cues was both a way to (over-)adapt to others’ expectations and to avoid negative reactions towards their autistic traits. Disability studies are also passionating when they come to cross with intersectional issues such as gender, race, class and sexuality (Crip Theory).15

All this detour is important because often, issues that are relative to social identifications have been subjected to strictly moral, then (pseudo-)medical interpretations throughout the history of Western societies and their colonies. French philosopher Michel Foucault described them as systems of control over the bodies, in the 1970’s. Thus, indigenous people, notably on the African continent, were the object of European colonisers’ curiosity, at the age of ‘biological racism’ or ‘anthropometry’, a pseudo-scientific endeavour that, for instance, promoted the measurement of skulls in order to establish an essential difference between races. Intersex people, in their turn, were (and are still in many countries, like France) mutilated and their gender scrutinised, for instance, by Neo-Zealand-American sexologist John Money in the 1960’s.16 Only in 1973 was homosexuality removed from the Diagnostic and Statistical Manual for Mental Disorder (DSM) by the American Psychiatric Association, then from the World Health Organization (WHO) in 1990 – but transidentity had to wait until 2018 to be finally removed from the same list.17 Those examples are all tied to the same prescription : one better be a cisgender heterosexual and able white man from an upper class than anything else ; and the more one diverts from that privileged model, the more difficult their road might be to access the same spaces and rights.

That is why we speak of systemic oppressions, that those who benefit at any level from them try to justify by means of statements over the ‘natural order of things’, so long as they are not impacted themselves. Feminist YouTuber Natalie Wynn analysed something interesting, by the way, concerning transphobic bigotery.18 She suggested that the slogan ‘Trans women are women’, serving as a defence of trans women against public attacks, apart from the fact that it excluded trans men and non-binary people, would focus very much attention on a metaphysical inquiry : ‘What is a woman ?’ Engaging that kind of question would surely lead to granting those who intended to do so in the first place the liberty to eventually deny womanhood to trans women. Instead, if we took another slogan such as ‘Trans Liberation Now’, this would rather stress the common political issues and discriminations that most trans people face, whether trans women, trans men, non-binary people and intersex people. Again, as long as someone’s identity is not threatening another’s physical, psychic or emotional integrity, why would anyone feel the urge to oppose and deny them the same essential rights than anyone else ? What kind of prescription is going on here ?

As well, a question that is supposedly posed as an elementary scientific conversation is merely hiding the attempt at denying and silencing the voices of minorities and their demand for social justice. It requires from marginalised groups of people to justify their own existence, already reduced to precarious conditions.19 It prevents us from recognising that their very means of living are threatened daily by discriminatory social and political infrastructures, practices and prejudices – which, in most capitalist and social class representations, mean to already objectify and alienate them into a source of disgust and rejection, inducing into others the fear of being assimilated to their distress.

Instead of saying to marginalised groups – whether they are marginalised on the basis of their gender, race, social class, of their sexual orientation or disability – : ‘We have other priorities. Why would you need to exist in public spaces and within social and political participation already ?’, we should be asking : ‘Why don’t you want us to exist and be public as well as you do ? And why would you address issues concerning our lives without even consulting us or having us invited to take part in those decisions ?’ If another example was required, on both American continents, indigenous people are dying or facing major harm, again, for asking this kind of question, whether they defend the Amazon from deforestation or sacred lands from a pipeline project.20 And they are not the only minorities that we are willing to sacrifice worldwide.

That is why such a concept as proscriptive systems is capital, precisely in order to open our vision of a shared reality to all narratives, points of view and histories that are intricated and which we depend on, especially in a globalised world. Scientific interpretation is never far from the political and never disconnected from a perspective on the kind of making society together we want to get to on this only yet livable planet. Eventually, a statement on how evolution works doesn’t only affect scientific research. It tells us something about the hierarchies that we create between living beings – those that are granted the spaces where decisions are made and those that are not. Our current competitive vision of the evolution of species tells us something about how we dare justify the destruction of our whole ecosystems with the idea that human species had to be on top of others. This vision of a ‘natural law’ to the reckless struggle for survival roots imperialist white-supremacist capitalist and ableist cis-patriarchy into defending a few people’s right to hegemony, under the pretense that otherwise, someone else would crush them first. ‘Better us than them, right ?’

Then, knowledge is indeed political, because some production of even a pretense of knowledge and its access could either benefit the inclusion of all voices, experiences and perspectives, or on the contrary, maintain the exclusion of the many to the privilege of the few. Black American lesbian poetess Audre Lorde, on that matter, stressed very well how the fact that the history of the minorities’ struggles was not compiled and transmitted in the official telling nor even that much inside the communities participated of a sense of dispossession. To her, in the context of Black feminist issues that she worked on, it was like they had to ‘reinvent the wheel’ and start it all over again from scratch at each generation.21 Further more, we cannot separate the production of knowledge from its material ends. Notably, to be visible and validated in capitalist terms, whether in the medias or in the sphere of scientific research, means that we be granted fundings. Whether those fundings depend on public or private investments, we can still ask who owns them and who decides of their attribution and to what end ? How could it orientate ongoing representations, studies and decision making ?22 It is not enough to address an issue, it should also be listened to and discussed in such conditions so it could eventually result in concrete material policies that would do justice to all parts. If the end of producing scientific knowledge is not to improve individual and collective shared means for living, what is it for then ?

That is why proscriptive systems are so important, because as long as the physical, mental and emotional integrity of each part engaged is respected and they are granted an equal right for participation, there are no reasons why we should prescribe any compulsory conduct onto them that would be preferable from establishing local and fully chosen agreements, taking the necessary time to find every moment’s balance at each place and for each situation. We need to be specific about the complexity of human and all the living’s realities. Nevertheless, in the context of societies that claim to be democratic, but developed throughout a history of colonisation, land theft and slavery and still perpetuate them through the geopolitics of global and neoliberal capitalism, we could only resist the pressure, keep thinking alternatives and wonder for the best…

All the questions raised before open to an ecological vision of knowledge, defined by Belgian philosopher Isabelle Stengers as ‘a milieu where livings with divergent interests cohabitate in an intricated way’.23 According to her, rather than clinging on exclusionary oppositions, for instance between the ‘rational’ and the ‘subjective’, we should invoke spaces that would be open for various situated experiences to be heard and considered in their participation to a same object of collective interest. They would in fact all create a different object altogether that would enrich our common perspective.

Such a separation between the ‘rational’ and objective, and the ’emotional’ and subjective often conceals an attempt at removing oneself from the possibility of being denied an affirmative position and being hurt by doing so – especially when they are not used to being criticised or rightfully suggested another possibility. It is a very prescriptive and moral attitude : ‘It is not me, it is the rule, that all must follow.’ Except that, as we saw, this affirmation almost never questions the founding grounds of those rules, nor whom they benefit to. We actually live under political systems that maintain themselves from the principle of being the tradition and inalienable law, no matter how unequal they may be. They are not supposed to be questioned since they benefit to some, and that is why there has been such a brutal backlash against movements of liberation, whether (trans)feminist, anti-racist and anti-colonial, anti-capitalist, ecologist, …

Most of the time, the resistance from tradition to self-questioning is the least rational thing. There is a symbiotic nature to our relationship with our environments of interaction that affects every part of our experience since childhood. It goes with sensorimotricity as with what English psychiatrist John Bowlby called attachment. Whatever skills that we develop in time, we develop them from a need to be granted a comforting grasp on our closest reality, notably our parents and primary caregivers. Our capacities or incapacities to formalise language and symbolic manipulations enable us, according to psychoanalytical theory since Sigmund Freud, to sublimate our insecurities towards an affective and positive response from our figures of attachment. Whatever ideal of adulthood might be this imperative to control one’s emotions, we are still built together through our sensory and emotional experiences, that means : trauma. And trauma affects and shapes what we allow ourselves to face in our daily lives.

Therefore, even observing the stars and the laws of physics cannot evade the question of whom the observation is meant for and to what purpose. The question of who receives a proposition as knowledge is both social and political, epistemological and hermeneutical, as the context of its emergence may inhibit or favour ways of expression over others. The general frame and world of meaning in which we conceive ideas may be fertile as the limits from which to create forms, as they can be desastrous as to their social implications if they come to impact political decisions in critical ways. If everything or anything cannot be taken and available as knowledge and valid as such for a vast majority of people – that means that knowledge itself is adaptable enough to various conditions –, then the contrary – the compliance of this variety of conditions to one unique set of knowledge – may resort to ideologies that may also be prejudicial. As we saw, a proscriptive frame to the production of knowledge, on the contrary, by protecting first the physical, psychic and emotional integrity of all the variety of people that may be impacted by its occurrence, would leave the door open to the conversation without threatening the very means that there would be one.

There is always a motive and conditions to the elaboration of a discourse on the reality that we try to share that is both produced by and for sentient people with a rich, diverse and often contradictory emotional experience. If one’s integration within the communities that concentrate the production of knowledge and its means of recognition appears to be a higher motive than the actual attention given to the task, relations of power within the group might cast some rigidity upon the very scope through which we conceive some discourse as knowledge or not. Then, if the general understanding of the group actually denies some portions of living experience as potentially conditioning their work field, it might result in a very partial vision of what reality is or should be. It is to forget that our very capacity to produce mental images and manipulate language structures relies on memory, that is constantly generated by our body on a sensorimotor basis and thus, always approximative and subjective. English psychoanalyst Darian Leader explored, in his book Jouissance (Paris – Stilus, 2020), 150 years of scientific literature on how the experience of pain, to whatever degree, fundamentally participates to our psychological growth. It cannot be perfect. The pretense to the production of knowledge may be of attaining a form of objectivity, but any language in itself is only a set of signs. Their interpretation, on the other hand, can never be cut off and extracted from the context through which one perceives their own world of experience to the intersection of others’, that is, in the end, always rooted in traumatic inscription.

II – Let us talk about collective trauma

We cover bodies and objects with meaning, signs that we identify as familiar, friendly or not. The idea that some thing or sign is familiar or friendly, or on the contrary, unfamiliar or unfriendly, seems to come with the more intuitive sense of feeling safe or not around them. The sense of security or insecurity prescribed onto some objects or figures might often be established by association though, rather than from direct experience with one particular person or object. Being afraid of being bitten by a dog might not necessarily mean that one has ever been bitten by a dog or this dog, but knows what it means to be bitten. Moreover, if a sign or figure is collectively pointed out as dangerous, ordering the members of the community to address their fear and insecurity at this designated cause – whether imaginary or based on experience –, we get to channel all the painful experience of a group of people into a collective traumatic response. Collective imagination would be fed by the need to respond to aggression and trauma, but designated an arbitrary expedient.

This collective response to a shared trauma finds its rationality in the cultural, political and social structures of what founds the organisation of a society, its internal hierarchies and justifications.24 It structures the elaboration of laws, whether official or not (it may be considered a kind of law within a family and taught to children that every dog bites, no matter their shape and apparent behaviour). It is true when we talk about large, deep and obvious traumas, like a terrorist attack or an economical crisis, but it is also true of slightest impressions. If attacks in the United States or in France claimed by islamic organisations did, for instance, foster the targeting of Muslim people more or less as the root of a radical opposition and problem, it was also reflecting a deeper conditioning of how we associate certain signs on the bodies (a beard, a vail, the colour of one’s skin) as a source of threat. Further more, such dynamics impact the way that sigmatised people would anticipate those associative reactions of fear toward them, affecting their relation to their own body in public spaces.25

The way that we create homogenous categories reveals the kind of oppositions that is supposed to unify a group. This is well known when we study the elaboration of racial categories throughout a history of colonialism and slavery. The political and economical goal of exploiting the bodies of the colonised and enslaved could not bear considering them as subjects capable of self-determination and free will. Even though people on the African continent before colonisation did not consider themselves as ‘Black’, for example, but as belonging to one kingdom or to one tribe or the other, all those different people were assimilated as one homogenous group, ‘Black people’, when displaced altogether on the American continents. They would become the ‘Black people’ as opposed to the ‘White people’, no matter how different those people are among each other within those arbitrary categories.

When collective trauma is used as a mean to justify discriminatory politics, whether on racial, gender, class or other basis, it durably shapes the way that a society produces imaginaries and justifies our narratives of justice, especially when it erases the traces of its own history, as the United States did with the history of Indigenous peoples. When one group casts a stigma and stereotyped attributes onto another, being associated with the sigmatised group casts onto you those presumed attributes with no regard for your own personnality and experience, but as a pre-requisite to that question : ‘Am I safe ?’ Something that Black American writer James Baldwin analysed so often, is that the oppressing group evolves motives to fear you because they don’t want to face that they are taking advantage of your situation as being oppressed by them. Therefore, it projects onto you the duty to prove that you are not a threat, that there is no need to feel in danger near you and retaliate. It shapes the perception that one has of themselves and the mental and emotional charge of adapting oneself to the gaze of someone else that doesn’t understand nor want to see them for what they are, of what kind of relation binds them together in a same though conflictual world of meaning.

In fact, the idea that trauma only affects the deeply wounded and the broken and diverts them from ‘normality’ is a very ableist view. It obliviates the fact that trauma affects us all and sometimes, not in the most overt ways. We elaborate our identity as a function of what we can allow ourselves to express among a society of others. That is why in identity issues, the personal is always tied to the political. As we saw earlier with Hegel, policies of domination often work as a contract, an exchange over someone’s life : ‘If you work for me, I’ll spare your life or won’t send you in prison and you will be able move within a certain limit’. The extent of that limit might be useful for a while when it relies on an equal treatment. It is not so salutary when it serves the domination of a group over another, not on the basis of their actions towards them, but for the simple fact that they are there.

Starting her Indigenous Peoples’ History of the United States (Boston – Beacon Press, 2014), Roxanne Dunbar-Ortiz reminds that the history of US settler colonialism is ‘the founding of a state based on the ideology of white supremacy, the widespread practice of African slavery, and a policy of genocide and land theft.’26 As James Baldwin argued, it could not be so without alienating in the mind of the oppressor those whose existence, culture and history that they destroyed : as the ‘natural’, essential enemy. According to him, nothing was more frightening to ‘the white man’ than the terror of his own guilt27, especially when it comes to white people of popular classes, who lived next to the slaves and the segregated with only the colour of their skin to tell them apart. The proximity of their social class would make their cohabitation less bearable as it would require more personal effort from the white person to push away the pain of identifying with those that they force into slavery and extreme precarity.28 French scholar Maboula Soumahoro explained that it was one of the main differences between racism in France and in the United States : French people did not have to cohabitate with the slaves that they sent to the American continents on the same territory as people in the US had to, so it is still easier to pretend that racial issues do not exist or are neglectable in France, an ‘universalist’ and colour-blind country.29 However, what the establishment of the United States and their extension was even more radical, according to Roxanne Dunbar-Ortiz, as they had almost totally erased all the traces of the Indigenous life and history before colonisation – if it weren’t for Indigenous peoples’ resistance to only survive and manage to preserve and pass on their culture.

That results over time into a system of intergenerational oppression and trauma that would establish the oppressor’s law : ‘Such category of people has always worked for us or others, it is in their nature to be servile, so this is the way that things are and any other way would be subversive, dangerous and unnatural.’ Of course, this goes on as well for discrimination and oppression against women and gender minorities, popular classes, disabled people, … If we question our ‘traditions’, we might sometimes discover actual skeletons in the closet. How to build one’s own identity in that kind of context ? When thinkers like W. E. B. Du Bois and Frantz Fanon, for instance, analysed the effects of colonisation on the colonised mind – as well as the coloniser’s –, they precisely stressed those mechanisms of sustained oppression that came to alienate the very perception that they had of themselves. And we can extend that to the other oppressive dynamics, as intersectional analysis show, that imply that the access to resources that are essential to our survival and well-being are being dependent on our compliance to abusive systems of power concentrating and administrating them. We have to shape our personality, for instance, knowing that the access to those resources is dependent on our capacity to produce work in certain ways prescribed by preset relations of power that are maintained and that we are not in the position to discuss. The very fact that we are not part of the discussion about those matters, that the distance is too far from the source where the decisions are made for all, is participating to the tension that one has to bear in order to live with the violence that they induce. If we were to be participating subjects of such a system that would organise and distribute the resources available, we could name and ask whether their use is adequate to the benefit of all. If we are not and those resources are still being abusively exploited and our governing systems unchecked and uncontrolled as they damage the very ecosystems that we depend on, then it means that in a way, we are as much objectified and alienated, as we require to objectify and alienate those whose oppression we still benefit from. That ground has been a motive for anti-psychiatry movements in the 1960s and 1970s (R. D. Laing, Gilles Deleuze and Felix Guattari, Bruce Alexander’s ‘rat park’ experiment30, …), as some perceived that a strictly institutional and drug-based approach was insufficient to tackle socially-conditioned aspects of mental distress. How to build and choose oneself as a person when the least of your daily action depends on the perimeter of your cage, exploiting the lands and seas that we dry off and poison or precarious workers here and in other countries ?

Anyhow, we manage to keep on functioning or trying to, although we experience trauma on a daily basis, repressing the guilt that we are told not to have already. And that is it : trauma, in a large sense, means how we adapt to radical changes in our sensory and emotional experience and appreciation, from the slightest encounter to the most violent injury. In its etymology, it means as much ‘the wound’ as ‘the defeat’.31 It is how we surrender to the change in our reality and try to draw a livable map of our daily interactions around that. It is the story that we tell around the wound, hoping that we would not awaken the pain of its memory. The deepest is the pain, the more distance we would try to create between what we tell ourselves and its remembrance. We can do it despite its psychological cost and most have had to be resilient for a large part of their lives, even if it means functioning differently. (By the way, we can also be and function differently from the prescribed and expected norm in the first place and manage to still ‘function’ anyway, despite the frictions that it would create to the outside world.) That is where we come to the interesting part, that trauma irrigates our whole experience, that it is the intersection, the merging of sensorimotricity and meaning – that it can be reclaimed, as so many minority-assigned communities have done since there were domination and oppression structures.

In their testimony at a TEDxUMN event, Two-Spirit scholar from the Rosebud Sioux tribe Nicholas Cetanzi Metcalf explained how they managed to navigate during their youth and life as an adult between two separate worlds of meaning : the ‘American’ and the Indian one.32 It became even more delicate when it came to gender issues. Though Two-Spirit people – who identify as men, women, both, in-between or as a third-gender on the gender spectrum, although assigned differently at birth or not – used to exist and hold important social and spiritual positions in almost all the 566 Indigenous Nations on the North American continent, the arrival of European settlers and the colonisation of the lands broke their internal organisation – as it did on other continents.33 Forcing the subjugated populations to a Christian education participated to a sense of confiscation and shame over their indigenous cultures, calling Two-Spirit people berdache – as ‘male prostitute’ –, prescribing the Western binary conception of gender onto them. As Cetanzi confesses, it is still a struggle to feel safe while affirming their cultural and gender identity – trauma that they were passed on through their parents and that they still pass on to their children, by warning them about the dangers of affirming their parent’s gender non-conforming identity.

We may think that this is only a matter that concerns minorities, pertaining to who they are and not a result of how they have been treated for centuries, in the same way that psychoanalytic and psychiatric theory and practice still mainly individualises and pathologises such issues as deviances. But trauma and its consequences are never only a matter of being wounded and failing to respond to the wound as any ‘normal person’ would. It is always deeply interpersonal and intricated into the very notion of meaning, which is inscribed into the collective sense and transmitted that way. If we cannot give back meaning to an experience and integrate it in the way that we project into possibilities, a way that could be heard with attention and dialogued with, if we keep on being isolated in our means to try to make things right – that is, that a collective guilt could also be addressed and not denied its reality and consequences on future generations – then, how could anyone be alright and feel up to the task of healing ?

III – Difficult diagnosis

‘The illusion of safety is as frustrating as it is powerful.’

Roxane Gay, « The Illusion of Safety/The Safety of Illusion », Bad Feminist, 2014

There are many reasons why trauma shouldn’t be seen solely as an individual issue. We have tried to analyse so far how the dynamic structures of trauma could be conceived and maintained collectively. One may object that it is too much taking from people their responsability for their own lives. In a sense, maybe ; but maybe the choices and decisions that we make are choices amongst possibilities. We would like to stress here that any responsability taken, moreover, depends on what one is asked for and what story is willing to be heard and most of all, understood. One is often well aware of the kind of stories that, on the contrary, cannot be told and the risk if we tell them of not being believed.

The world of meaning and comprehension that is collectively conceived and maintained, participates of what James Baldwin called ‘a system of reality’.34 Depending on how one situates themselves inside of a shared system of reality would not only affect the way that they would perceive the world around them, but the roles attached and expected from such a point of view and perspective upon their self-expression. What are the stories that we are usually told that we come to tell ourselves and to ourselves, because we expect that those are the stories that most people are used to hearing and ready to hear ?

In an essay called « The Careless Language of Sexual Violence », Haitian-American writer Roxane Gay reacts to the way that the shocking rape of an eleven year-old girl by eighteen young men in Cleveland, Texas, was covered. In fact, most newspapers emphasided on the fact that those men’s lives and the town’s would be impacted, without seeming to care that much about the girl, if not blaming her or her mother. Roxane Gay questions a culture of numbing toward the notions and representations of rape and rapists – whether in literature, newspapers, films and series, music, … –, pertaining to what we usually call ‘rape culture’. Such a way of depicting rape turns it as if it were an inevitable part of how our societies function – not a question of ‘if’ a person identified as a woman, or assimilated to that position, is likely to be raped, but of when. She says, ‘I increasingly feel that writing is a political act whether I intend it or not because we live in a culture where [careless reports and articles of such facts are] permissible and publishable. I am troubled by how we have allowed such intellectual distance between violence and the representation of violence. We talk about rape, but we don’t carefully talk about rape.’35 In that context, many stories are not likely to be heard, at least without being distorted and used against themselves.

When we talk about trauma, we don’t only talk about someone being hurt and trying to recover from it, we talk about how we allow people that are hurt to tell their stories. Do we help them situate their experience into rightful meaning and redirect their lives on to new possibilities in a welcoming way ? Trauma is both about the repressed memory of the hurt and the strategies adopted by the person to avoid such a memory, go round it and keep on living in a way or another. We can learn otherwise, but only if we can stage the source of the pain in our sight. Trauma is about how we make room around the wound so that we can recover from it, should we feel allowed and safe enough to face it again. Buddhist traditions call it Dukkha, all the tribulations of everyday life that are ‘hard to face’.36 Indeed, there are two sides of trauma : one that we tell and one that we feel, to which we can hardly find the words.

In her reflection over the way that we usually talk about rape, Roxane Gay quotes scholars Lynn Higgins and Brenda Silver’s book Rape and Representations (New York – Columbia University Press, 1991). They argued that ‘the act of rereading rape involves more than listening to silences ; it requires restoring rape to the literal, to the body : restoring, that is, the violence – the physical, sexual violation.’37 However difficult it is to hear and admit that one’s body can be violated, to live it in our own body, we need to understand that no one is immune to trauma, to the kind of contact that forces you to change your perspective, for the better or worse. But, how to tell in the most accurate way and share the reality of what is least communicable, that is, sensory and emotional experience ? They are both inalienable to our body’s most intimate reality, that is the experience of change and transformation that we cannot control, but only hope to guide. We can hope for better approximations. In the Buddhist view, it may be complicated as well to tell a story that would resemble ‘the truth’, in a world where everything is utterly changing and impermanent, close but never the same again38 ; therefore, one should better make peace with the way that their own body feels pain, discomfort and fear by accepting them in the first place. If the source of the pain is staged, one could change their own position toward it.

However, it is more difficult to let go of a wound when the causes are structural and persistent. The point is that, as many intersectional thinkers put forward, we should step out of an ‘either/or’ perspective – one that would state that if you fall short of the expected and prescribed norm, then you necessarily are to be antagonised. In that case, it is not that people can’t be resilient enough to live in a way or another with trauma or their disability in any matter – they don’t have the choice –, it is not because they do manage to live or survive through that they should still. Again, to observe people struggling with disabling pain in a certain context that doesn’t help nor is offering other acceptable solutions, doesn’t say more about them being hurt than it does about their being or feeling abandoned by the sense of community and support, of meaning and possibilities. That means, there might be a danger to the symptom and its diagnosis, in any kind of therapeutic or pseudo-therapeutic space that actually comes to hurt people who resort to it. Most disciplines would take the symptom as belonging to the individual’s responsability and failure to adapt to the way things presumably are and should be, rather than acknowledging that the way that we say they are could or should in fact be different.

Interpretation is based on a frame of reference, a language to its code and the limits of what it can express. If our frame is expecting too much, too rigid and excludes some possibilities, refuses to acknowledge a large piece of people’s actual experience, we take the risk of missing out what their experience is all about. We should listen first and try to understand ; yet, we should also be ready to put the very structures that found our expectations at risk as well. We should change the frame. If the system of reality and political system that we are living through are failing our comprehension and help to what many living beings are actually living on this planet, we should be ready to risk the pretend security of being held in debt to the power that it wields on them and all of us. That means, an unequal system of making society that is likely to induce hurting the people and living beings that are subjected to it, cannot be permitted to endure if we want to help those people durably and our shared ecosystems. At one moment in time, we should just stop putting bandages over wounds that find their causes still vivid and administering damage. There is a rage to trauma when it is bound to the injustice of political domination, that endures. It is not an individual failure : it is an attempt at surviving collective submission.

Nevertheless, they are not subjugated ; they are made by force.

Speaking of a change of frame, it seems now bewildering that most people have managed to get a sense of unlikely balance out of one of disruption. It is and at the same time, if we consider the theory of the sensorimotor paradox, they had and still have to. We probably have been passed on the habit of struggling, learning and normalising the disruption of one of our basic function as living beings, throughout some hundred thousands of years : sensorimotricity. The trauma of its constant contradiction – as is the hypothesis of the theory – may be at the core of our ability to elaborate meaning as a response, so that we would not find ourselves in complete disarray.

But, this must yet seem obscure as to how we came to make such a statement. We mentioned the sensorimotor paradox theory in our introduction without entering deeper into the subject. It is a complicated one, though rather simple, because it exposes a contradiction that is not to be resolved, a tension and chain reaction. The main idea is that seeing one’s own hand and staring at it as if it were any other object in our surrounding environment – especially when it is open in front of us – disrupts sensorimotricity. Something there is impossible to get beyond without hurting oneself or removing the object and ending the scene. For this object – the hand – to remain, we have to momentarily freeze ourselves to a certain extent, suspending our liberty to fully respond to any other object and most of all, to this very object – a part of our own body that we are willingly alienating from ourselves. It is a situation, a specific setting where the very hand that we are used to invest in order to fetch objects cannot move if we want this particular object to be. For this object to be, we have to deny our own capacity to act toward it : we are to be the witness that cannot participate other than in our potential imagination.

The experience is quite unique and prototypical, in fact, and provokes a dizziness that has no parallel with looking at any other part of one’s own body. It leaves the person with their sole capacity to witness the impression of their own senses and emotions, without being able to do anything about it – bodywise. Something, in that particular situation, blocks the capacity to enact any consistent interaction involving the whole body, but only the sense of that body, some level of self-consciousness (that is the condition of Edelman) – that is entropic, generates an internal and physiological disorder, because we want to but cannot enact the situation that stimulates us. Sensorimotor memory is generated without being able to go through it either. It is only but an image. It is the image of a moment, of a possibility without an end, circling and waiting for an unlikely outcome. We say that, but of course, such a habitual thing as living with one’s own hands can seem futile and hardly enough to make any suggestion about the origins of our capacity to think and elaborate imagination into narratives, especially if we think about those without hands or that cannot actually see. But, is it ? What about the way those people thousands of years ago would have felt like in such moments of self-exploration ? How could it change our bodies over a very long time ?

We reminded earlier that there should be a tighter connection between the depiction of an event and its bodily experience, how social conventions and norms of interaction have taught us to put a distance there from the expression of pain and distress, or even of pleasure – in fact, from the reality of the body. Imagine that you are frozen into a situation from which you need to get out, escape and try to resume your usual life – you could still call out for help, or try to break the spell that has you frozen. Staring at your own hand is much of the same : you cannot enact this situation, and you cannot simply eat your own hand – but you might still want to get out of it eventually. The situation is the image that you are stuck in, and the way out is the call, verbalisation or at least, the signifying of your distress that no one else can see. Psychoanalyst Darian Leader observed, in that sense, all the ways that our hands constantly have to be busy and fiddle with something when we are least aware, as if some part of us desperately had to express something out of it.39

The state of paradox makes everything strange around you, as you have to recover some sense of physical engagement, and marks in the world that you perceive. And yet, the dizziness is intoxicating, feels like a surreal moment. The experience is deeply personal, yet it might shape the urgent need to communicate something about it : a sense of one’s own self, palpable, concentrated, present and yet, impossible to extract. Even in order to say ‘Me’ and try to say something about yourself and the feeling of yourself, you have to do it so that others would understand, including their perspective, using a sign rather than transmitting the non-communicable reality of your experience. Yet, it feels like you are standing out of your own body, cast off, detached.

Paradoxes are hard to solve out. Their contradiction concentrates much energy that would find no solution, except a way out. They are traps that we can only give up. No matter how hard we try, it is as stimulating as it is frustrating. From there, such energy could fuel the need for a resolution, if not of the paradox itself, at least of other things that could find easier relief. As we try to understand some vision that cannot be, a dead end, we slowly elaborate ways round it : we elaborate the trauma of the impossible.

The proposition of the sensorimotor paradox as an evolutional drive is difficult to present without resorting to the reader’s own experience of such a paradox. We are trying to make avaible to representation something that is fundamentally an impossibility for literal resolution. It is a state of tension, that drains the mind and body. We cannot rest on a paradox, that is why such a psychoanalyst as Jacques Lacan used to say that signifiers (the sensory support of words : phonetic, scriptural, gestural, …) worked as a chain, always refering to another and never seeming to find an end – because it can’t. We think because we can’t rest on a paradox, and that a paradox is what keeps us on the edge of releasing everything that we contain into an acceptable conduct. Something must have been interrupted in our earliest ancestors’ daily lives and interactions, so to provide enough energy to sustain this specific need, the one for diving into an imaginary experience, suspending all the rest for a moment of sheer dissociation. Because it is dissociative, it is hard to picture. It rejects its self-observation. And else we believe in a supernatural intervention, our own body, others’ and the experience of our environments were the only things that could provoke such a radical shift, to push us beyond the limits of interaction. It happens within the perimeter of our own body’s self-experience and is a break in its capacity to provide a primary response, only to invest a secondary kind of responding : the one that is not acted out loud, only figured in one’s own mind – a representation of what could be enacted.

So, when we actually pounder the idea that such a simple fact as staring at one’s own hand could disrupt the very basis of sensorimotricity, it doesn’t take long before one actually considers that it could be a reliable starting point for supporting such a change. Our hands were one of the primary means for interaction and engagement in the world, first as a locomotor support, then as a relational one. It is elementary and radical enough to leave one no other choice but to confront themselves with what is hardest to face : the incapacity to respond, though in the urge to react, to a situation of discomfort. And gazing at one’s own hand is uncomfortable because one cannot solve it, as it is fundamentally contradictory : the hand with which one would first be tempted to grasp the object in question is the very hand that has to stay still, so that the object of one’s interest could remain available. Lest we lift the spell off.

As we saw, trauma such as an experience of distress is not only the memory of the experience, it is also how one would react and re-adapt to the existence of that memory and the way that it affected their sensory and emotional expectations in the long run. The fact is that in this case, the experience is unique as it gives us only two options : leaving the situation by resuming bodily interaction (and releasing the objectified hand), or sustaining it, along with its emotional turmoil, wondering about all the dizziness of a new world of experience. For imagination is an effort that needs to be sustained and first, could not reasonably be sustained without a little help from one’s own body. Imagination is born out of a violence against oneself, and it is in itself, a difficult diagnosis.

IV – Is anyone responding ?



Thinking, and notably the constant flow of conscious thoughts, is mostly born out of a certain urgency to resolve a tension that is difficult to distinguish and tell apart. To stop or try to stop thinking confronts us to the reality of such a suspension that we were talking about earlier. Thoughts cover up the silence and incapacity to close the fracture up. Thinking mostly is a resort, in order to vent an anxiety and energy that have been building up from stopping one’s own body in their spontaneous and careless interactions, inside of their surrounding environments. We are being taught this fundamental notion of social adaptation since childhood up to adulthood : what are the objects that we can or cannot touch, what is appropriate as an expression or behaviour, … But those rules come with internalised representations, that of experiencing a welcoming or rejecting response to our attempts at communicating the desire to reach others.

We can’t always get what we want in the time and space that we want it. Psychoanalysis, notably since Freud, spent considerable time and insights studying how such desire was to be sublimated into substitutive conducts. The latter would combine particular sets of body expressions, verbalisations and social activities – in agreement or not with social contracts, although mostly tacit. This process of substitution, mostly evading conscious planification, can work as an escape from literal and bodily confrontation with the entities denying us access to what we desire or demand, whether justified or not. We are often found in the tension between an aggressive response to our discomfort and fears, and the need to feel reassured, connected and supported, held whenever we lose touch with the ground. That is, by the way, what the sensorimotor paradox does : it makes us lose touch with the ground, that we try to figure out another way, from memory. It also opens a space in-between for imagination to replace the enaction of a conflict into symbolic narrative structures, whether they are conscious or not (anymore).

But, for this space to open, we first needed a crack in our commitment to responding and being responded into continuous interaction and feedback, so that we could then delay the response and escape into imagining it. It is important to say that according to the point of view that we choose, the fondness for imagining and thinking could even be seen as pathological on strictly sensorimotor terms (it is not ‘working’ and functional in its first use), that should require some adjustments and a great deal of learning. To some kind of purist, the sole act of thinking itself could be seen as a deviance to, say, the ‘laws of nature’, like thrusting a stick in a bicycle’s wheel. After all, it took us thousands of years to elaborate an alternative and make up for it. We are still younglings at the scale of evolution.

As we saw, the sensory and emotional image of our experience is all that remains available when it comes to the sensorimotor paradox. The time of sensorimotricity – of the instantaneous response – is suspended into opening to another kind of time, closer to a mystical and absolute experience – absolute because no response is possible to that particular situation, on the sensorimotor level, other than being a witness to it. As Ellen Dissanayake stated, the feeling of making something special – in our relation to an object onto which we leave our imprint – may be more significant than its symbolic content. Here, the possibility that there is a relation opens in itself to the ways that then give it a shape. There has to be a content to be chosen because of the experience. The loss of ground creates the need for some kind of meaning ; but the interpretation, its justification and formalisation come after.

In psychoanalytic terms, the repression of the event that strikes the body comes before its symbolic substitution – and the ways for symbolising it have to find meaning in other sources of inspiration. As Darian Leader investigates it in Jouissance (2020), the experience of pain informs us of the existence of some limit to our body’s expension, whether physical or symbolic. The way that we will compose with those limits would take part of the inscription of trauma within our perception of what is surrounding us. In every move that we make, our traumatic memory is charging and alerting the possibility of a wound. On the symbolic level, the memory of the wound is its own alert, and we often try our best to avoid it and cover it with another kind of meaning, representations and social performance. The latter often constitutes the opportunity to not address the sense of insecurity that we may be inhabited with. Our social identity, the way that we appear to others and come to appear to ourselves, is woven in trauma.

It is curious then that while we may be struggling with our own inner trouble, others often seem to be just fine, living their lives ignorant of our own worries – and of course, they do have worries of their own. Maybe that is why we substitue so easily experiences that are difficult to face and their memories with forms, attitudes and sceneries that we witness and that seem to go on happening in the most natural and effortless way for others. We may not have or be able to intervene into others’ affairs and conduct that take place in front of us. Especially if we are a child surrounded by our parent-s or caretaker-s, the hopefully relative stability of their behaviour could be a source of support to our demand for a resolution. So long as everything is happening around us in all appearance of normality, of some form of stability and enough consistency, we can manage to learn to be alone with ourselves in the presence of others, as English psychoanalyst Donald W. Winnicott put it. In fact, more distressing than not being able to respond is that we would not be responded back. A silence for the mind because, again, we are losing our ground. There is nothing to replace and fill our own paradox with. In the very case of the sensorimotor paradox, as our own hand cannot respond to us, even the imaginary response that we could give by producing memory images could not undo the situation : our hand won’t respond until we break the scene. We have to give it up.

In the same way, it is because we know that anyone is not supposed to respond to our constant sollicitations for interaction – although we learnt the ways to do it and the modalities of verbal exchange – that we have to compensate with overthinking the very fact that we had to condition ourselves on to the end of maintaining an appearance of ‘normal’ conduct. We cannot get constant volontary interactions and at the same time, we cannot let ourselves be with our own bodies in any way that would seem unfit to social expectations. We cannot vent our need for interaction by climbing on tables or dancing ecstatically in the streets without raising worry and suspicion, for example. We cannot address out loud the traumatic memory of being refused total expressive freedom in a certain social context – maybe sometimes for good reasons, especially when aggressive to others. So we have to channel that energy into thinking and mostly, phantasising the response that we would give to the violence of having to remain silent. The energy that we have to contain cannot be spent by simply interacting with our environments at will, as children do spontaneously. That energy has to go to compulsive thinking, that is irrational ; because thinking is rooted in the emotional, not the rational (that psychoanalytic theory and practice usually acknowledge, although often neglecting certain relations of power and constraint that push harder on some people). As it is compulsive and immediate, it is the first means that we tend to use to cover up trauma as soon as we have learnt that expressing our pain and distress could be responded and perceived negatively as annoying.

In a way, our early ancestors may have had to learn how to be alone in the presence of others with their own experience ; that is, having them as a limit to what we can express and thus, soon after, a likely substitute to the very primary paradox itself, in order to sustain the capacity for imagination. In the seek for a response, not knowing how to adequately express their awkward emotions to others, maybe that is where objects intervened, to make sense out of their urging hands, deriving attention onto something else ; that means, their fabrication, their invention, their appropriation into something personal and their elevation to the status of the artificial, and the way others can see them too – artefacts. The object is here, silent, transcends and marks the call.

V – Trapped into thinking

One thing that we could learn from the ideas mentioned above, is that maybe thinking functions mostly as a traumatic response to a form of aggression. We mostly think compulsively in a restless way. Getting a rest from one’s own thoughts is often difficult to acheive for many people, especially if the context and conditions in which they are living is precarious in some or several ways. The few moments where we get to make sense out of this constant flow of thoughts and think that we acheived a kind of stability are usually very brief and swiftly swept away by another movement of thoughts that gets out of our control. Thinking happens, mainly, out of a sense of instability. It is a way of engaging sensorimotricity by simulating it, to get a grasp back at our body’s situation out of an utter dizziness. Somehow, because of social self-control, the enaction of sensorimotricity, to a certain extent, can only be imaged mentally. Because of the control that we exercise over ourselves, we have to virtually evacuate the tension of not being free and able to respond spontaneously to our surrounding stimulations. Imagination is the escape from the neural blocking. We are trapped into thinking.

This is something that we tend to forget, notably in our Western societies and cultures, but we may have used to think a great deal more with our hands in the past than we are now. Our hands, as they progressively liberated themselves from mainly locomotor functions with the increase of bipedal stance, were one of the first means for us to relate, reach and explore what was surrounding us. They were our mediation to experience. Our hands are more intimate to our way of seeing the world than we like to think, not only because we use them or not (if or at least, when we can), but because they carry the epigenic memory of our agency. They are both control and relation, and if the sensorimotor theory developed here is correct, they may be at the core of some blueprint that made our mind. The difference now is that we have to learn faster to show less of them than we talk. We are, since birth, stimulated that way (René A. Spitz, 1965)40.

We are sollicitated, progressively in our socialisation as children, to replace active and physical enaction to actual situations with alternatives, some kind of distance and restraint, so to privilege speech, observation and conversation. Some gestural forms of expression are proscribed or regarded as socially inappropriate, sometimes regardless of the actual harm that they cause. As they are perceived negatively, we learn to control them and discart them. In a whole, it has to do with social class : the higher someone is in the social hierarchy – if we refer only to Western societies –, the more control they are supposed to have over their own body, that also means that the least physical effort should be dispensed. In a model of mass society based on the idea of the middle-class, which is supposed to aspire to what the upper-class has – even if an ersatz of it –, speech, social representation and the increasing pursuit of evading all physical effort which can be delegated, participate of masking our dependence on sensory and motor integrity and reliance. Body autonomy becomes a privilege. Then, it goes without saying that performing certain social norms of conduct is supposed to prevent us from being associated with any form of disability, that have a history of stigmatisation and social outcast.

Our sensorimotor memory is the first that we get to explore, that shapes the rest of our interactions. Our mental representations are rooted in those memories of engaging physically and emotionally, of speaking or actively participating, if only as a witness, to someone else’s speech or action. Even if we don’t consciously picture some action while thinking through formalised language, the effectiveness of speech and the sensation of control that it provides derive directly from sensorimotor engagement. Thinking and our ability to language come from speech that eventually, is enacted through and as a sensorimotor feat. Moreover, it creates and participates of a collective scene, as the act of speech is being taught and sanctioned by the authority and participation of others, their stimulation, approval and understanding of our attempts at speaking or not. By the act of thinking, we engage all that memory that is bodily and affective at the root. We seek that effectiveness that, we hope, should result back into the primary participation of others in the play of words.

In that light, we could say that trauma is what prevents us from doing or imagining to ourselves what we could not do or enact without exposing ourselves to harm. It conditions our perspectives, what we intimately keep as a knowledge of where we cannot go. So, all the constant flow of conscious thought is mostly conditioning us to absolutely not go there, to not bring back those memories of a certain kind of situations where we are and feel exposed, especially if we can’t voice our pain out. We usually think our thoughts through a voice that, on the contrary, seems to embody a certain kind of confidence, force and assertiveness, that would be able to erase and contain fear. They work as an imperative to not go there where it is not safe, where others might hurt us, but also an imperative to look and appear a certain way that comforts the preset order of things.

Trauma, again, is not the hurt. It is the constant effort to not be exposed again to the hurt. Trauma is all the mental and body conditioning that we carry in order to not find ourselves in the situation where we would be wrong, found offensive to others (even when their reaction is injustified) and disempowered. Trauma is the force and pressure to make things appear as positive and pro-active as possible, still in control and having us not likely to be told off by anyone and discarted from our agency. There is a lot of anguish in trauma as it is, for much of it, socially constructed, because there might not be that much safe (whether public or private) spaces for people to breathe out of it.

Threfore, thinking is not at all neutral. It is compulsive and for most of it, built over fear, sublimated and derived away from our body and mind’s harm. Not only that, but the fear of being harmed may be even less important than the fear of being found powerless, robbed of one’s agency and own projection into living. One field of experience that is interesting in that matter is the practices of BDSM. Though often regarded as a pathological mean to sublimate trauma (into the ‘sadomasochistic’ frame), what has mainly been discarted in that outside interpretation is the importance of consent within those practices. That means that trauma can, in non-abusive cases, be adressed within controlled boundaries (Simon Z. Weismantel, 2014)41. As Roxane Gay put it : ‘when you say, in some form or fashion, stop, the pain or humiliation or domination stops, no questions asked. […] There is nothing better than knowing the suffering can stop’.42

YouTube video maker and artist Kat Blaque made a series of videos on her experience of BDSM43 – notably as a Black trans person. She also stresses the fact that what matters most to her is the empowering agency that comes with the importance of consent, to be able to set the limit to what would be done or not to and with her own body. Pain there is mostly a sensation that can be experienced within a safe and predictable enough environment and with skilled and concerned partner-s – in best and proper cases. But, how much do we really consent to the terms of our inclusion or exclusion within most of social spaces in our daily lives ? That remains largely conflictual. In that context, the prevalence of the choice given to the practicioners over what is done to and with their bodies and in what conditions gives more clarity to the balance between pain and control, between aggression and agency. Is pain really the problem in trauma, or is it the incapacity to respond to it in a closing and meaningful way ?

Most of many people’s traumatic hurt comes less from the first physical and emotional pain than from the incapacity to mutually recognise and set boundaries to it, to the conditions in which the subject of their body and psychic integrity will be addressed with others. In such a taboo subject as incest and pedocriminality for instance, the incapacity for the victims to feel that they would be heard by others is far more alienating than resisting and bear resilience to the pain.44 The traumatic conditioning of our thoughts often comes with the anxiety over whether we would actually have the spaces and time to tell who we are, our experiences or at least, discuss the terms of any exchange that we might participate to when meeting with other people. That is also very pregnant in the critique of neurotypical norms, which mostly imply the implicit nature of the terms given to social interactions, even when they are not supposed to include any explicit consent, for they are deemed to go without saying.

In fact, the arbitrary classifications supposed to rule our interactions with the world and others are most of the time taken for granted. They help maintain what sociologist Charles Tilly called ‘durable inequalities’, should they be theoretically inconsistent, though structurally persistent and mediated by collective and inter-individual representations as well as social practices in rather different spaces and on different levels (Gayle Rubin, 2012)45. There can be a discrepency between the performance of social interactions, especially when contrived, and the social context and relations of power pressuring the individuals to act a certain way – as there would be, for instance, a difference between cinema and the actual relations of power or collaboration between the people producing it, as there is between representation and the institution. What matters in the end is the impact in the long run of both performance and the structural motives for those social practices, whether or not they are sanctioned and privileged by social hierarchies, and whether we are to participate and get to choose their terms. Every space has its own rules, and within those spaces, any relation should be as carefully and mutually decided and chosen, whether stigmatised or not.

But unfortunately, we have to limit the breadth of our own minds to what appears safest in a social context where consent is often carelessly disregarded and broken. In « The Careless Language of Sexual Violence », Roxane Gay again points out, on a subject mentioned above, that ‘Perhaps we too casually use the term « rape culture » to address the very specific problems that rise from a culture mired in sexual violence. Should we, instead, focus on « rapist culture » because decades of addressing « rape culture » has accomplished so little ?’46 It is something that is much discussed in feminist circles, that the mention of the perpetrators of assaults is often eluded and their victims held passively accountable for their own situation – as if it fell from the sky. In the way that we keep telling those stories and kind of event, we often focus on the result – the person that has been hurt – but, without an agent – the actual person that commited the assault, the ones who put the landmines out there. Here, ‘the language of pain operates through signs, which convey histories that involve injuries to bodies, at the same time as they conceal the presence or « work » of other bodies.’47 For example, we regularly count how many women and trans people have been murdered for the past years, but we are often unable to stress that it is mostly cisgender men who murdered and still murder them, that the problem is not the victims but the assaulters and a system of violence that supports them. How can we put limits to something that isn’t there, hardly summoned to the recollection, that doesn’t appear in the terms of our understanding ? What if the same story is told over and over with a whole where an action should be ? Narratives matter.

What there is to understand is that we live in universes of representation that accompagny each and any one of our movements and thoughts, and that we enact rather unconsciously at any moment. In that sense, Judith Butler’s idea of performativity is consistent with Francisco Varela’s of sensorimotor enaction. If pain, as philosopher Sara Ahmed recalls, has an object, is deeply subjective and complex and ‘is not simply the feeling that corresponds to bodily damage’48, though experienced through our body, so is our response to it in the short and long run. The recognition of pain as pain that ‘involves complex forms of association between sensations and other kinds of « feeling states »‘ underlines that it is inscribed in a world of meaning. We respond to it with means available to us from our current and ongoing experience, both solitary and relational. Our response may even inhibit certain sensations of pain in order to uphold its immediate consistency. It may even generate something more emotionally disturbing in itself than the previous sensory event.

The recognition of pain would also be, in that perspective, the recognition of the surface of our body being a source of contact and vulnerability to others out of our control. Indeed, our skin, the borders and surface that ‘[separate] us from others also [connect] us to others.’49 Sara Ahmed as well quotes from philosopher Drew Leder’s The Absent Body (1990), when suggesting that in the absence of pain, ‘the body is « absent » only because it is perpetually outside itself, caught up in a multitude of involvements with other people.’ Dysfunctions such as pain would draw back attention to the body itself, or else, intensify its awareness. Experience is a spectrum that has some of its aspects reinforced and others seemingly muted – or not signified in ways that could allow us and others to be acknowledged.

Those considerations are interesting, because of the paradoxical nature that we suggested of the human mind and the apprehension of pain within the structure of trauma. This apprehension comes to have us over-preparing, orientating and narrowing our own capacity to respond to various situations accordingly where our body would be exposed to others, whether physically or virtually. All the ways that we try to respond to pain or any sensory disruption would eventually form a consistent ensemble of apprehension through which we would try to navigate as safely as possible in relation to other bodies and beings – with and to which we also hold on an experience of interaction and response. The way that those interactions are framed into narratives shape the way that we would carry our own body into a world of possibility or impossibility, in full or lack of awareness of our constant adapting to its surroundings.

The response of others to our pain, whatever it might be, is still a response that we could work from in order to express some part of what we would need to express in that moment. At least we try, or submit to an incapacity to do so. This creates a network of possibility or impossibility for us to express what we feel in various spaces and times and in relation to the probability that others would show themselves available to a (hopefully) positive listening and response. In return, witnessing someone else’s pain can also be a moment when I can open up, being available and releasing control to those trusting us with their vulnerability or not. Sometimes, we are just waiting in the world for the moments when we can finally relinquish that control and open up to others in ways that we feel are impossible or unlikely in our daily lives. Lacking control over the latter makes us even more eager to seizing those moments where we could finally let out our urge to be heard. Pain is waiting, lingering and trying to connect and release its charge, if not constructively, at least compulsively. We may be only looking for solutions that would permit us to find that interactive and enacting contact again – what Sara Ahmed calls contingency, word that shares the same Latin root with the word contact (that is, contingere : com, with ; tangere, to touch).

But, the precise location of pain can be rather difficult to point out at times. It creates some mental environment of seeking and easing the source of the pain and all the process to that seeking that brings us to its relational, repositioning and narrative aspects. It comes to mediate our interactions with others in pervasive ways. When it cannot be told and seen in its continuity, it might find other ways to express itself in and through the body, coming in-between our relations to others and our own body. The perception of our own body becomes relative to those relations as sometimes, the response that we give is less about the pain than it is about mending the possibility that we could have shared our situatedness with a world of meaning that would have us evolve.

Can we possibly grow a space for that ?

VI – Of objects and subjects

The formation of an object of experience or thought depends much on whether we are projecting any sort of action to it or not. Objectification goes with instrumentalisation. It does, whether actualised and enacted or only left hanging as a retained potentiality and an imaginary projection. To turn an experience of another body (any kind of body, whether living or inert) or one’s own into an object of experience means that we project, at some point, some kind of motor development. Even if it is internalised, repressed or delayed, we apprehend objectified experiences through the very deep memory of enacting some possible sensorimotor engagement to it. To mentally grasp an object, a form, is to mobilise such a memory. We have been trained and training for so long since childhood that we may not even notice the substitution of the mental image for the actualised action – though it is there.

Hence, the sense of alienation when we face other people, that we cannot objectify and physically interact with them at our will so easily. We become subject to the inalienable part of their presence, as we are unable to move them according to what we expect, as far as we may try as children, teenagers or adults. When we talk about human phenomenology (the spontaneous analysis of perception), we cannot escape a complicated dialectic between an active or passive position that cannot exist. What we expect from others depends a lot on what we know may be expected from us, that affects our interaction with them. Alienation then becomes moral when we fail to let another be the subject of a relation at the same level as us, when the other fails to accept being a subject with us, or when we feel incapable of being worthy of participation ourselves other than as the object of someone else’s expectations. To be subject to something is somehow to accept receiving something that is else, that is other than ourselves into a shared world. Resisting this, for fear of failure, hurt and trauma, pushes us to react on the level of a protective reaction ; that is, on the level of trying to turn our experience, or any part of it into an object that we could act toward and somehow control – even if it means alienating the very other that we fail receiving or that fails us.

Of course, the balance is tenuous to the structure of dialogue : not a confrontation between two objects, but a shared space opened between two subjects that are open themselves to acceptance and to a gift of oneself. All the reactions born of fear, such as rejection, or hate, or the delusional desire of possessing somone else, objectify and alienate those other than us (should it be within our own conception of ourselves) that we cannot welcome nor be welcomed by. What we repress in ourselves is precisely what we cannot allow ourselves to be welcomed by, that is a feeling well-known by many minority-assigned people. Trauma lingers in-between, creating non-objects, irrealisable and forbidden objects to which we cannot act nor relate to, leaving only contrived possibilities around them. All objects around us appear in contrast to those that we cannot see or form, because enacting them would seem far too painful to bear. In the mean time, valuable shared spaces for dialogue, care and collaboration find their pathways collapsed under the weight of traumatic and often repeated and systemic hurt. We are subject to a trauma for having been the object of a hurt – that is the shock –, but all violence in human societies is systemic as it is born of intricated contexts. Violence is not random aggression : it is aggression or self-aggression out of a collective restraint.

Such is the matter of all life and experience, for trauma isn’t only about the big things that hurt us the most as it is also about all the little things, all the small encounters and situations of contact that continuously shape our perception of the world around and push us to change and transform. Trauma is never linear, for experience is the least linear thing. Such an idea is at the core of most Buddhist traditions and is also a motive to question the categories in which we encapsulate reality and compartmentalise our failures at being subjects of balanced dialogue into objects of control. From this sense of what is in our hands, we could do much. We could, for example, degender our relation to our own bodies and others’, as advocated by non-binary writer and performer Alok Vaid Menon, as well as we could try to heal the traumatic fabric that tears our societies apart. We could step out of a binary between nature and culture, the urban world and the other ecosystems for an intricated perception and comprehension of what and where we are. But, unacknowledged pain still creates new objects for a delusion of control that we never had.

This is to understand that pain alienates us and others when we are not capable and willing to accept that being a subject is to let relations happen with bodies, ideas and perspectives that we cannot control and might not understand fully. But it is not more about optimal adaptation and appropriation. The boundaries that we can set are those that could help each part of the encounter accept that a shared space needs two subjects, and that neither is to be the object of the other without their share of consent. It is then about being open enough so to be able to let other than us happen, with the trust that they would do the same.

We exist as much as we are let to be. Now, let us make it mutual.

Of course, when we talk about trauma saying that it can be tied to the slightest experience of contact, it doesn’t mean that all trauma has the same ‘value’ or impact, but that it differs mostly in degree. Trauma is not equally invalidating or not. It is relative to the wound, that can have various proportions and degrees of severity. However, a severe wound doesn’t necessarily mean a severe trauma. It depends on whether or not the person can or cannot face it and go through its altering effects.

One can make more sense out of a grave injury than of less self-evident but deeper motives for desperation and helplessness. The whole mythology of the hero is based on that pattern. Trauma, in fact, is more about a collapse in perspective than it is about pain itself. Pain is mostly an organising sensation, whether occuring next to a physical encounter or a strictly internal motion or memory. In some sort of way, pain is but a situated memory of the body being imprinted into neural connections. It doesn’t tell much yet about the position of the individual toward the experience of pain – that tells the trauma. We saw earlier that the practice and culture of BDSM specifically allows a high degree of pain to be supported within a consensual system of projection, perspective and support that integrates pain as a consistent part of its sustainability. It is because we know that pain can end that it should not evolve into trauma. Because trauma is about how one can project themselves into enacting their own alternative perspectives inside of a set context that would make enough sense within ; or on the contrary, how one would find themselves unable to have those perspective and meaning formed in the first place. You cannot conceive a path in trauma, only create derogatory ones around it.

Trauma forms around that collapse in possibilities, which suddenly stop seeming within our reach, but out of touch. From there, we are forced to find new ways and shape new perspectives, but that demands work and the capacity to change or at least, to do with the resources available at the time. We often do things by default, for changing oneself can imply facing an adverse environment. That is why trauma is political. The objects that we have around us that we feel able to use and relate to are often the ones toward which we have less fear of being punished for. We build dependence over micro-sanctuaries, things that we like or are only able to eat or watch or do compulsively because outside of those spaces, many other things are difficult.

As pointed out by Darian Leader in Hands, the micro-space of our own hands forms one of such primary sanctuaries – maybe the first –, that can then welcome other objects. From that, we have a measure of our own limits. It can be hurtful, as it can be a start in order to build something else. Within such spaces, we become subjects to our own insecurities, which can be built and reinforced by structural forces, both external and internal. Those insecurities are often tied to experiences that involve some surrounding environment in the face of which we feel hampered or crippled. Crip theory is by the way a salvatory tool to imagine new spaces and times for our relations to them to be reconfigured through the experience of trauma as a private and collective issue as well. Trauma is then less about living with oneself in pain than it is about living with oneself amongst other people, in a network of relation within which we struggle to fit. It tells more about rejection and helplessness in the face of the ultimate perspective of institutionalisation and the denial of basic rights, than it informs us about what a person could do or not on their own and with the adequate support.

In the end, it is always a matter of having internalised the one perspective of being denied a voice of our own and the deprivation of the right to self-actualise and self-determine, despite all prescriptions. It is about casting upon someone a version of themselves from which it has been prescribed that they could never leave or change. It is about stating as an unalterable fact that one could or could not possibly evolve, even if we let them. It is about not even caring that anyone could.

Such is trauma, as a hermeneutic and moral issue, that means that some people are not supposed to grow out of a certain depiction of themselves where they are hurt, hurtful to others or dependent on someone or something else’s presence, that they should be stuck there forever. Can we change from our pain if we don’t allow others to change from the pain that they have done, yet, whatever their gravity ? Trauma is something woven, around which we grow the rest of our selves’ possibilities that are available and doable, until the memory of the pain is outgrown and we have to break up with the fear of that pain. But, can we do that if we know that some others won’t be able to because they are not supposed to ? It is a narrative, but we are not its only writers. We are, somehow, somewhere, part of a same story and memory, only through different angles. It eventually brings up the complicated notion of justice and whether it should be retributive and individual or not.

If the only response to trauma is a pay back, how could we ever change our collective imagination without the perspective of mutual hurt as a fatality ? Ultimately, the theory of anthropogenesis that we suggested brings an interesting response to that question : there will always be an unbalance, that is part of how maintaining humanhood would work ; but we still need to address all the intricated ways in which we are pressured and keep pressure on ourselves and others in return, whether directly or indirectly by our actions. It is counter-productive – if it ever should be productive – to try to resolve issues of power, trauma and justice by seeking an immediate sanction that would absolve us from the ongoing and collective work of healing.

We can have a better understanding of stable structures than we have of the immediate reactions that they sollicitate from us. We need a clear way in order to experience the present moment. To focus on whether or not we participate to structures of power and oppression and in what measure is far more stabilising to the body and mind than seeking for short-term reactions to provocations. It is not easy, because we are not all in a position of material and moral security that can allow that. Our relation to our own body can be an unfathomable trap – that is the paradox – within which we can rapidly lose ground. Because our main daily effort and energy goes to standing and sustaining predictable conducts, working with clear and readable structures for analysing the world that we live in and participate of is a good way to navigate all the uncertainties that lie ahead.

Reproducing formalised patterns of behaviour to look alike amongst others and avoid rejection is but one of the ways in which we try to forget and obliviate how much we broke our own bodies into a social mimic, or alienation for those who can’t. Social and cultural reproduction would not be a problem in itself, if it weren’t for the possibility or not of a choice. The possibility of choice is often constraint and broken by relations of power, pressure to conform and trauma. We internalise social norms as a source of possible danger, whether or not we benefit from them to some extent.

Justice should, in a sense, be mostly about being able to make our own choices and that it should be a mutual and reciprocal basic right. We have to be regulated. Our whole existence being rooted in a sensorimotor disruption calls for regulation. But, sole externally-based regulation, one that works from the threat of exclusion, is not the same thing as teaching and accompanying living beings into being able to self-regulate their insecurities and open to actively listen and understand, or at the very least accept other people’s perspectives. Such a structure as the idea of a proscriptive conception of making society and thinking oneself amongst others is, for example, one very simple way and structure through which to envision our place in a shared world. It goes with understanding that someone hurting you may simply be reacting to a universe of hurt. It doesn’t diminish the impact and gravity of their actions towards you, but it also tells very much about how we are made unable to perceive ourselves outside of a network of hurt and reaction that engage our compelled responsability – trapped in a cycle of direct or indirect retribution and with our own limitations, that being stigmatised instead of being acknowledged as a start from which to work and grow.

 

A way to conclude

We are constantly making some mental effort to remember the world that we live in and what is expected from us inside of it. Understandably, we don’t want to be caught off guard. We want to be prepared to drive away in advance any reason to be told off and brutalised. We know that our univserse of action is dependent on the world of understanding that is generally shared or at least, that most people are encouraged to perform. It may be alienating, but there is much at stake. Not performing the right conduct or response, what is socially taken as being the ‘right way’ to live and express oneself, can lead to harsh consequences. For some, it may lead to death. It is as simple and plain as that. The stakes can be very high ultimately, indeed.

We often forget that when we consider the activity of our human mind that we are not – as intersectional analysis never cease to stress – born out of a vacuum world. We are born out of pressure, since the moment that we are pushed away into the clear air, and though there are some forces that try to soften the weight of that pressure, with as much love and care as there can be, this pressure still orientates the way that we evolve in the world that we manage then to perceive. Most of us try to be seen in a positive and valued light, in spite of what it may cost to attract that light, some kind of care. Many of us struggle to know how. Many others try to pretend otherwise.

Imagine how it could have felt to be on the edge of something as disturbing as conceiving an object of imagination to the mind, before there was even a first human community, before there was any formalised and symbolic structure for language. What to do with such an overwhelming feeling of being related to something else than us that could suddenly bear some part of us that no one else could possibly know about ? How could we be our first of worlds ? This kind of imprint, in the sense of Ellen Dissanayake’s work, is at the heart of what we seek : creating connection. But, the connection is fragile, it is delicate. It is a perfect vulnerability.

There are only two absolutes : that we live and experience, and that we die. Within that measure is the desperate seek for meaningful encounters, with any beings or feel-like beings, so that we feel alive – or that it feels like we are living. However, we also depend on material sustenance, and we depend much on others, and if we are to be excluded from others, we might get lost. There is this pressure of not getting lost, because everyone fears that. Seeing someone lost reminds us of feeling lost ourselves with them : we lose the map. One second of distraction from that constant effort to keep our mind mapped within our socially-based response system is enough to feel a sudden loss of ground. What if we are never capable of coming back to the common world that conceived us as valid-enough beings to be let wandering, unasked ? In what world are we living in that could ask us to justify that we do try to keep on living without further questioning of our rightful belonging ? What kind of clue are we to give in to testify of that right ?

Our constant stream of though and self-imagination is the most dreadful way through which we try to keep the compass. Our ability to think is not a merry road, but a condition. It is of terror and hurt of being left alone in the wild or desert land that we try to surround ourselves in imagination with some kind of security and certainty, of a grasp on reality, from figures of inspiration that seem to embody the confidence that we wished that we had and that sometimes is past onto us or given away. Somehow, if we are lucky, there are beings that love us enough to give us that. Then, if we didn’t acknowledge that we are terrified, would we really be ‘human’ and need the love that fosters our imagination, for the better or worse ? And by what kind of magic trick are we made to convince ourselves that we are in control, though that form and figuration of control is but a wishful performance that we play on and on in our own head to keep us on track ? Are we really so sure that it will all be okay ? And if it is in some measure, to what cost if we don’t challenge all the unnecessary crushing over our heads ?

Somehow, we need to let go. We need to take that moment, to pounder the fact that we will never clear out the fracture from which we grew a mind and soul. And that is alright. We are a paradox at heart. Let us be proud of being alive anyway. We may not always know what keeps us alive, but that is okay too. All that we should resolve ourselves to do, is to work on releasing the pressure points that are in and out of ourselves. Some are little. Some are driving our whole societies to a point where there seems to be only to forsee a brutal end. As philosopher Hannah Arendt said, we have to learn how to move in the breach (Between Past and Future, 1968), but we could also fight for more than settling for the slightest piece of dignity. Which ever way, we are here to stay, for a while. So, it better be good. Let us sit down for a moment. Let us breathe. Let us take that hands of our own that would say that we will work together. Let us be resolute that we will never solve the unsolvable of our mind. Let us just walk round it for a while, and that will be good enough. Let us set a centre to dance for.

Or finally, let us try to make society all together again.

2In Gerald M. Edelman, The Remembered Present : a Biological Theory of Consciousness, Basic Books, New York, 1989.

3Read Ellen Dissanayake, « The Artification Hypothesis and Its Relevance to Cognitive Science, Evolutionary Aesthetics, and Neuroaesthetic », Cognitive Semiotics, Issue 5 (Fall 2009).

4Which happens to be more relevant as a criterium for our evolution than the size of our brain. Read André Leroi-Gourhan, Le Geste et la Parole – Tome I : Technique et language, Ed. Albin Michel, 1964.

5On our strange relation to our hands, read Darian Leader, Hands, Hamish Hamilton, 2016.

6The ‘cis’ prefix stands for ‘cisgender’, as opposed to ‘transgender’. A cisgender person broadly identifies without discomfort with the gender assigned to their body at birth. It is a matter of fact that the gender binary canvas as a mean for rigid identification was very much imposed throughout the extension of Western and capitalist societies during the colonial and industrial era. The ‘rectification’ and uniformisation set onto the diversity of gender expressions as to shape them according to Christian but also medical, social and political normative views impacted as much pre-colonial societies in the other continents as the European ones (read Alok Vaid-Menon’s Beyond the Gender Binary, London – Penguin, 2020 ; Lexie’s book Une Histoire de Genre : Guide pour comprendre et défendre les transidentités, Paris – Marabout, 2021 ; or the collective work directed by Michaëla Danjé, AfroTrans, Paris – Cases Rebelles, 2021).

7In F. Varela, E. Thompson & E. Rosch, The Embodied Mind, Cognitive Science and Human Experience, MIT Press, 1991.

8In Konrad Lorenz, Les fondements de l’éthologie, Paris – Flammarion, 2009 (1978).

9In Thomas Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, University of Chicago Press, 4th Edition, 2012 (1962).

10‘Neurotypical’ means the way that uses and norms of social interaction are standardised in a way that benefit people at ease with certain social capacities, but harm people who can’t perform them without an additional effort.

11In Donna Haraway, « A Cyborg Manifesto: Science, Technology, and Socialist-
Feminism in the Late Twentieth Century », in
Simians, Cyborgs and Women: The
Reinvention of Nature
, New York – Routledge, 1991, pp.149-181.

12A salute to Abigail Thorne and her Philosophy Tube YouTube channel.

13Read Pierre Bourdieu, Sur l’État, Cours au Collège de France (1989-1992), Paris – Seuil, 2012.

14This motivated German-American philosopher Hannah Arendt, in her analysis of the Eichmann trial, to say that there was a ‘banality of evil’ in the way that Nazi’s ‘Final Solution’ had been orchestrated so to assign every protagonist to a specific part of the chain of command and make them able to keep themselves unaware of their responsability.

15Read Charlotte Puiseux, « Criper la théorie queer : un nouvel enjeu des études sur le handicap », 2015, https://charlottepuiseux.weebly.com/alter2015.html .

16Read Judith Butler, Gender Trouble, Feminism and the Subversion of Identity, New York – Routledge, 1990.

17Read Delphine Montera’s work on social medias (@Autistequeer_le_docu), on the connection between ableism, cisheteronormativiy and the practice of psychiatry.

18« J. K. Rowling », on her channel ContraPoints, January 26th 2021.

19Read « 2021 on pace to be deadliest yet for trans and gender non-conforming Americans », The Guardian, June 14th 2021, https://www.theguardian.com/world/2021/jun/14/us-trans-transgender-deaths-2021 .

20Read « At least 331 human rights defenders were murdered in 2020, reports find », The Guardian, February 11th 2021, https://www.theguardian.com/global-development/2021/feb/11/human-rights-defenders-murder-2020-report .

21Read Audre Lorde, « The Master’s Tools won’t Dismantle the Master’s House », Your Silence Will Not Protect You, London – Silver Press, 2017.

22Read A. Fabbri, A. Lai, Q. Grundy & L. A. Bero, « The Influence of Industry Sponsorship on the Research Agenda : A Scoping Review », Am J Public Health, November 2018, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6187765/ .

23Read « Isabelle Stengers. Philosophie activiste, récits spéculatifs et ouverture des possibles », Le Carnet et les Instants, https://le-carnet-et-les-instants.net/archives/entretien-avec-isabelle-stengers/?cn-reloaded=1 . My translation.

24Read, for instance, Deborah Tollefsen, « The Rationality of Collective Guilt », Midwest Studies in Philosophy, XXX, 2006.

25Read Sara Ahmed, The Cultural Politics of Emotion, Edinburgh University Press, 2004.

26She also refers to anthropologist Patrick Wolfe’s work, p. 2.

27Read James Baldwin / Raoul Peck, I Am Not Your Negro, New York – Penguin Random House, 2017.

28Natalie Wynn called that the ‘proximity effect’, on her Contrapoints episode on « Envy », https://www.youtube.com/watch?v=aPhrTOg1RUk .

29French-speaking people may listen to the Kiffe Ta Race podcast episode #49, « 2020 : Et l’on découvrit le racisme made in France », where Black French scholar Maboula Soumahoro tracks back this process, https://soundcloud.com/kiffe-ta-race/49-2020-et-lon-decouvrit-le-racisme-made-in-france .

30Mia Mulder’s YouTube video « What If Psychiatry Is Fake ? » is an interesting introduction to the subject of social conditioning in mental illness and psychiatry issues, https://www.youtube.com/watch?v=YK7M1NReCAI .

32See Nicholas Metcalf, « Why We Need Gender Fluidity », TEDxUMN, august 6th 2015, on YouTube. The transcript can be found here : https://www.coursehero.com/file/102057755/PSY-211-Transcript-for-Why-We-Need-Gender-Fluiditydocx/ .

33Read Lexie or Michaëla Danjé’s introductive work on those matters in the books quoted above (in French).

34In his 1965 debate speech at Cambridge University’s Union Hall, https://youtu.be/oFeoS41xe7w .

35In Roxane Gay, « The Careless Language of Sexual Violence », Bad Feminist, Great Britain – Corsair, 2014, p. 132.

36See American psychologist Mark Epstein’s presentation « Working with Trauma: Integrating Psychotherapy and Mindfulness » at the Family Action Network, January 23rd 2018, https://www.youtube.com/watch?v=bJuWsiBQnZI .

37Op. cit., p. 136.

38In the main Buddhist traditions of Theravāda and Mahāyāna, one of the central ideas is that even one’s own self cannot be consistent with any essential entity. It only appears as a delusional fabrication that would be tied to its objects of identification. One’s own name would, for instance, be such an object bringing the illusion of a stable identity, because of its recurrence, while all of our experiences are constantly changing, being born and let go of. ‘What we call a « being », an « individual » or « me », is a convenient word, a label that we attach to the combination of the five [constituents of experience, called the Five Aggregates].’ (The Five Aggregates being : Matter, Sensations, Perceptions, Mental Formations and Conscious. In this sense, the core of Bouddhist philosophy is based on a phenomenological approach that does not necessarily resort to the belief in any external and invisible deity.) In Walpola Rahula, L’enseignement du Bouddha, Paris – Seuil, 1961, p. 45. My translation.

39In his book Hands cited above.

40 In René A. Spitz, De la naissance à la parole : La première année de la vie, ed. Puf, coll. « Bibliothèque de la psychanalyse », 1965.

41 In Simon Z. Weismantel, « From sadomasochism to BDSM : rethinking object relations theorizing through queer theory and sex-positive feminism », Smith College, 2014.

42In « Dear Young Ladies Who Love Chris Brown So Much They Would Let Him Beat Them », op. cit., p.184.

43In her playlist « Sex Positivity and Trauma ».

44Listen, for instance, to Charlotte Pudlowski’s podcast « Ou peut-être une nuit », Louie Media, 2020 ; or Axelle Jah Njiké’s « La Fille sur le Canapé », Nouvelles Ecoutes, 2020.

45 Gayle Rubin, « Une conversation avec Gayle Rubin », realised and translated by Rostom Mesli, in Raisons Politiques, 2012/2 (n°46), pp. 131-173.

46Op. cit., p. 133.

47In Sara Ahmed, op. cit., pp. 20-21.

48Ibid., p. 23.

49Ibid., p. 25.

Note sur la circularité

Nos derniers commentaires sur la notion de neutralité soutenaient un aspect et une exigence critiques. En effet, il s’agit pour nous de trouver un point médian entre exigence clinique et thérapeutique impliquant un temps long, et les contraintes pratiques, sociales et politiques qui induisent un temps plus court, une urgence du quotidien accentuée par des facteurs systémiques. Pour nous, la neutralité (ici appliquée à la psychanalyse) appartient à une terminologie politique implicite que l’analyse intersectionnelle révèle, sinon d’une absence de soucis pour la détermination du ou de la patient-e, du moins d’un non-engagement. Nous discutons ici des termes employés dans la théorie et la pratique analytique et de l’imaginaire que ceux-ci entraînent avec eux, ainsi que leur histoire. Si on défend que seule la neutralité peut aborder tous les sujets, c’est qu’en l’adoptant on se suppose dégagé-e de toute oppression contextuelle, ce qui est une position assez privilégiée. Est-ce que la neutralité tient en temps de guerre sociale, où les espaces par lesquels se projeter dans l’avenir tendent à s’écraser les uns contre les autres ? Et sinon, comment agir sans participer soi-même d’une précipitation dans l’abîme du conflit, et comment pacifier la situation ? Car nous vivons dans des temps de guerre sociale, sur fond de crise écologique, où l’histoire de nos sociétés globalisées montre ses conséquences les plus dramatiques, autant que ses promesses de résistance.

L’exigence thérapeutique – de soin –, qu’elle emploie les outils de la psychanalyse ou d’autres, présente un dénominateur commun : la préservation de l’intégrité physique et/ou psychique de l’individu-e. Nous l’avions mentionné à propos du travail de Darian Leader sur la psychose (What is madness ?, 2011), la tentative de guérison passe par la tentative de se préserver soi-même. Pour ce qui est d’une guérison psychique, le but est d’aboutir à une autonomie affective de l’individu-e vis-à-vis des autres. Cela veut dire que l’autre ne s’impose plus comme le recours principal à sa propre préservation ; mais que chacun-e acquiert la possibilité de choisir sa participation à un devenir commun, c’est-à-dire l’auto-détermination et sa mutualité nécessaire.

L’analyste, dans le champ thérapeutique, choisit d’être là et de participer. Il n’y a rien de moins neutre là-dedans. Néanmoins, iel le fait en sachant que le but est de ne plus servir soi-même, en tant qu’autre, d’objet de compensation et de confusion entre ce qui participe de l’imaginaire anxieux de la personne ou d’une réalité partagée où chacun-e a sa part dans le consentement, ainsi que la capacité de projection individuelle et collective à long terme. Puisque le langage est une voie de convention, c’est la part volontaire de celle-ci qui est en jeu. Nous créons donc, dans l’espace analytique et thérapeutique, un espace de circularité qui permet à la personne de revenir à soi-même, tout en se situant avec lucidité et ouverture dans l’espace collectif. Cette circularité doit être engagée par la personne de l’analyste ellui-même, tout en choisissant ellui-même avec lucidité de quelle raison iel est à même de coopérer. L’idée de la neutralité évoque une zone de non-droit, où la demande tombe, un mur, une absence de réponse. Que l’analyste réponde la même chose, renvoie la personne à la circularité de l’espace qui engage un consentement mutuel, cette valeur de miroir est bien loin de la neutralité, parce qu’à tout le moins, elle dit : je vous écoute. Il n’y a pas d’écoute sans réponse, même si cette réponse est un engagement à ce que la personne parle de soi et puisse le faire en toute sécurité.

Nous semblons pinailler sur un terme et ses équivalences, mais si un pan de la théorie psychanalytique tient tant à l’influence des mathématiques, qu’iel songe seulement qu’en mathématiques, la neutralité renvoie à un ensemble vide. Un ensemble vide ne peut donner lieu à aucune application. Il ne sert à rien, et à moins d’éprouver une fascination pour ce rien, il reste que la demande du corps est inaliénable, puisqu’elle sollicite le fondement de la sensorimotricité des êtres vivants. En effet, l’hypothèse du paradoxe sensorimoteur nous apprend que l’aporie du langage et du signifiant n’est pas un vide, mais un banal blocage neuronal. C’est tout de même quelque chose. Il n’y a pas à chercher plus loin dans ce mystère-là, à moins d’en faire l’expérience pour elle-même, car l’on pourrait tout aussi bien s’y perdre à l’infini, et c’est l’impasse de la négativité de l’analyse. À un moment, l’analyse doit apprendre à « nettoyer », à pacifier l’esprit à partir du centre de toute demande, qui est de se positionner comme sujet d’un discours qui engage l’écoute et la réponse de l’autre. De là, on peut permettre l’apprentissage de la mutualité, parce que notre vie entière de langage est basée sur la convention. Il s’agit donc sûrement d’apprendre à se mettre d’accord sur ce qu’on désigne par le réel et la diversité des vécus et de ses expériences. L’analyse engage le mouvement et fluidifie la reconnaissance des accords locaux passés et présents, établissant la simplification des principes qui les régissent, leur réactualisation et leur éthique, la faculté d’auto-détermination et la capacité à aider d’autres dans cette faculté. Car l’analyse de soi engage l’analyse des autres.

C’est en ouvrant cet espace que nous voulons finir ce petit cycle sur la question de la neutralité.

Crédit photo : « Papillon », La Fille Renne ❤

Pour en finir avec l’argument raciste en transphobie

Il y a un argument qui revient souvent et que nous avions déjà traité dans la rhétorique transphobe. C’est celui qui prétend que se revendiquer d’un genre différent de celui assigné à la naissance, ce serait comme prétendre se sentir d’une couleur de peau différente de la sienne. L’exemple souvent utilisé est plus frappant, parce que les personnes utilisant cet argument l’expriment ainsi : « c’est comme si moi, personne blanche, je prétendais me sentir noire. »

Outre le fait que les éléments signifiant le genre sont plus discrets que ne serait-ce que la seule teinte de la peau, l’équivalence genre / couleur de peau est complètement erronée et l’exemple choisi n’est pas non plus anodin. La couleur de peau n’est pas neutre et comme les indices de genre, les indices raciaux sont interprétés compulsivement dans les rapports interpersonnels. La couleur de peau sert en effet de référence à l’identification d’une culture d’origine supposée de la personne et du rapport que cette culture entretiendrait avec nous. Elle sert à l’identification et participe donc d’un déterminisme social, puisque comme pour le genre, cette identification précède l’établissement d’un éventuel échange. Or, l’effet provoqué par l’exemple ci-dessus, tenu par la rhétorique transphobe, c’est qu’il y aurait quelque chose d’évidemment incongru à se « sentir noir-e » lorsqu’on est blanc-he. Il n’est en revanche pas évident de savoir si les personnes qui utilisent cet exemple ont conscience qu’elles s’appuient sur des fondements racistes. À savoir qu’en tant que personne blanche, l’utiliser n’est pas neutre d’une position sociale qui permet de le faire sans dommage moral. Il serait moins évident pour une personne racisée de penser qu’il serait aussi facile de simplement « changer de peau », pour tout à coup jouir des mêmes privilèges que les dominant-e-s et effacer les stigmates du trauma (ce que montre remarquablement bien la série américaine Lovecraft Country, 2020). Il ne s’agit pas juste de couleur de peau, de passer simplement « de blanc à noir », mais du déclassement, du saut qualitatif dont il s’agirait par ce changement de couleur. Se « revendiquer noir-e », ce serait vouloir se revendiquer du camp des opprimé-e-s alors même qu’on est privilégié-e là où l’on est, ce qui paraît incongru. Cela sous-entend, notamment, que les personnes trans seraient des personnes qui voudraient se démarquer, exister, et qui n’auraient pas les ressources pour réussir socialement autrement. Ce sont les « perdant-e-s » qui essayent de se faire remarquer. Cela sous-entend aussi que les personnes racisées font en fait, elles aussi, partie des perdant-e-s.

Indices de genre et indices raciaux, s’ils sont mis au même niveaux dans cette rhétorique, ne sont les uns et les autres pas neutres et ne valent pas pour eux-mêmes, puisqu’ils sont interprétés socialement. Néanmoins, ils ne veulent pas dire la même chose. Contrairement à l’identification de la couleur de peau et autres indices raciaux à une culture supposée et sa situation dans l’espace social, l’identification de genre, elle, s’applique de manière à peu près égale à toutes les cultures et à l’intérieur d’elles. On identifiera, par exemple, une femme, mais on le fera dans un cadre précis qui est celui de son appartenance ou non à un même groupe social, culturel et/ou racial. L’identification de genre bénéficie, de fait, d’une plus grande indétermination, car il reste encore à savoir l’appartenance supposée à un groupe ou une famille qui permet ou non l’établissement d’un échange toléré socialement. La couleur de peau détermine des groupes sociaux beaucoup plus circonscrits et d’une certaine manière, plus imperméables dans leurs histoires et leurs intersections. Une femme blanche sera perçue différemment d’une femme noire ; bien qu’elles soient toutes deux perçues comme des femmes* (l’astérisque ouvre à la pluralité des femmes dont on parle, incluant les personnes trans, non-binaires et intersexes). Si l’on fait partie du groupe majoritaire, par exemple en France, une femme blanche sera perçue comme adhérente au groupe et associée spontanément ; une femme noire, par exemple, fera de son côté l’objet d’une délibération et sera perçue comme mobile vis-à-vis de celui-ci – c’est-à-dire, susceptible d’en être exclue si l’on juge les éléments de familiarité et d’adhésion insuffisants.

La division genrée de l’espace social s’effectue à l’intérieur du champ d’intégration ou d’exclusion sur la base de la couleur de peau et de la culture supposée, soit de la race comme argument social. Tout le monde a affaire au genre à l’intérieur de son groupe social, mais peut se passer d’avoir affaire au groupe social voisin. Nous sommes bien identifié-e-s selon notre genre supposé, à l’intérieur du groupe social et culturel dans lequel nous évoluons, mais la fracture entre les groupes prime et nous exclut des autres dans un contexte de société inégalitaire où règne encore un faisceau de discriminations structurelles. Allez donc dire à une personne trans racisée que sa transidentité serait aussi fictive que de déclarer qu’elle se sentirait blanche. Cela implique non seulement qu’il serait incongru qu’elle soit trans, mais que ce verrouillage induise une imperméabilité persistante dans les rapports entre les races sociales. Chacun-e doit rester à sa place, ce qui interdit toute remise en question des facteurs structurels et historiques des inégalités d’accès à l’auto-détermination. C’est non seulement insultant pour l’expérience que cette personne a pu et peut faire du racisme face aux populations dominantes, voire à d’autres groupes, comme de la transphobie qu’elle peut subir à la fois au sein et à l’extérieur de son propre groupe social et culturel d’origine.

En outre, condamner une personne au genre qu’on lui suppose sur la base de son attribution génitale et mettre cette dernière sur le même plan que la couleur de peau revient à mettre le sexisme et le racisme sur un même plan passif et homogène, alors même que les mouvements féministes n’ont cessé de défier les rôles de genre prescrits. On nie ainsi la détermination sociale de ces rôles au même titre que les discriminations racistes structurelles et leurs histoires, et on prive les personnes concernées de toute prise sur leur devenir. Transformer le racisme, le sexisme ou la transphobie, ce n’est pas agir sur le même plan. Changer la transphobie, c’est changer individuellement son genre perçu et défendre son droit à l’auto-détermination au sein d’un groupe plus ou moins homogène. Changer le sexisme, c’est changer la division et la répartition inégalitaires des espaces de décision dans nos sociétés sur la base du genre supposé. Enfin, on ne change pas le racisme en changeant sa couleur de peau, mais en changeant la position des cultures dominantes vis-à-vis de celles qu’elles prétendent dominer, et ce sur des arguments pseudo-rationnels de l’avancée technique ainsi que sur le déni d’une longue histoire d’oppression et de spoliation. Et à la limite, changer sa couleur de peau ne serait pas même un plus grand problème en soi que la fracture historique qui soutiendrait ce changement.

Changer de couleur de peau supposerait transgresser cette histoire qui sépare aujourd’hui encore des groupes entiers et des millions de personnes d’un traitement équitable sur la seule base de la couleur de peau et de la culture supposée, quelque soit le genre des personnes constituant ces groupes. A l’intérieur de ces mêmes groupes, des personnes peuvent se sentir en inconfort extrême avec les rôles de genre prescrits à leur naissance. Cela se règle individuellement et à l’intérieur du groupe, dans la dignité. Il ne s’agit pas de se désolidariser de sa famille ou de sa culture, mais d’y trouver sa place, et ensuite, la place de cette même culture dans le monde.

Alors s’il vous plaît, laissez les personnes racisées tranquille, et laissez les personnes trans tranquille. Aucune ne demande autre chose que d’être vues pour ce qu’elles sont, leurs communautés entendues et parler de leur expérience avec respect.

Crédit photo : La Fille Renne, « Papillon » ❤

Annexe – Commentaire sur l’idée de neutralité

Nous avions déjà discuté cette notion dans l’article Annexe – Expertises minoritaires, enjeux majeurs.

Il ne faut pas confondre mesure et neutralité. La neutralité n’est pas possible ni même souhaitable. Elle suppose qu’on ne prenne pas parti, ni même que l’on en représente un nous-même(s). Or, tout le monde n’a pas les moyens de se poser en observateur-rice. Cela suppose une autonomie, ne serait-ce que matérielle, de même que cela suppose que notre expérience n’intervienne pas dans notre jugement ni notre interprétation – son orientation ni sa situation (nous reprenons encore une fois l’idée des savoirs situés, proposée par la théoricienne féministe américaine Donna Haraway, 1988). Dans le meilleur des cas, c’est s’aveugler sur le fait d’être soi-même perçu-e par les autres et sur sa propre tentative – vaine – d’échapper à ce regard par lequel on se situe, qui nous offre un contexte à toute interprétation possible.

C’est une tout autre chose que la mesure et le soin portés à l’accompagnement du dialogue, d’un espace mutuel d’équité et d’une éthique de l’auto-détermination. Dans une situation de conflit, ne pas savoir quel parti prendre, soit parce que l’on manque d’éléments et de recul, soit parce que nulle option actuellement proposée ne nous semble favorable, ne veut pas dire rester « neutre » ; c’est-à-dire, désintéressé-e, voire insensible à l’issue du conflit. Se déclarer « neutre », c’est protéger non pas son intégrité morale, mais ses intérêts, c’est-à-dire ceux relatif à sa position par rapport à l’autre. On peut se le formuler clairement, ou se convaincre d’une plus haute raison morale, comme des objectifs professionnels ou politiques, eux-mêmes construits historiquement et socialement, c’est-à-dire qu’on en soutient la structure qui nous porte. Quoi qu’il en soit, la « neutralité » constitue souvent un abandon. On sort de la partie, dans une mesure variable, où l’on ne s’engage pas. Or, sortir de la partie sans dommage n’est possible que si l’on bénéficie d’une relative autonomie, ne serait-ce que matérielle. Encore une fois, c’est une question de structure, laquelle dépend des facteurs contextuels dans nos sociétés. Pour beaucoup, en situation de dépendance et de précarité matérielle, physique et/ou psychique et émotionnelle, cette sortie est compromise, difficile, voire impensable. Souvent, cet impensable est littéral : on ne peut se projeter au-delà d’une situation qui nous enferme. Dans ce contexte, le point de vue « neutre » sert souvent de refuge, mais encore une fois, il n’est pas accessible à tout le monde, au risque de nier une part non-négligeable de sa propre expérience ou de celle des autres. Le « neutre » est fondé sur une assomption scientifique dont les origines trahissent des enjeux de pouvoir et polluent son imaginaire.

L’idée de neutralité est en effet foncièrement une notion de classe, co-dépendante de structures de discrimination actives basée sur l’identification du genre (traitement inégal des femmes, personnes trans*, non-binaires, intersexes), de la race, de l’orientation sexuelle ou de la validité en regard des normes physiques et psychiques. Pour ce qui est de la psychanalyse, il est à rappeler qu’historiquement, elle s’est d’abord adressée à une classe bourgeoise en pleine mutation industrielle, laquelle avait les moyens à la fois financiers et sociaux pour l’y orienter. La neutralité d’un Sigmund Freud est donc une neutralité toute particulière, située historiquement et culturellement, dans le sens où un sujet émerge à partir du moment où son statut social lui permet de se différencier de la masse des « autres », discriminé-e-s et assimilé-e-s socialement à un ensemble homogène. Ça, c’est la neutralité, son contexte et son impact.

Se déclarer « neutre », se placer au-dessus du jeu politique et social, à quelque niveau que ce soit, c’est supposer qu’on le domine et avec lui, la foule de celleux qui vont ou font avec, tant bien que mal. Le terme de neutralité, qu’on l’admette ou non, a ce présupposé-là. On peut prendre une mesure de distance avec un conflit, dans l’optique d’une prise de décision. La neutralité en est une qui ne se déclare pas comme telle ni ne se sent obligée vis-à-vis d’un devenir commun. Pas plus elle n’existe dans un cabinet de psychanalyse que celui-ci n’est hors du monde. Toute personne embarque avec soi les enjeux de pouvoir qui l’y ont menée et l’ont construite. Il faut pouvoir ouvrir un espace intermédiaire où l’expérience de chacun-e fasse sens. L’analyste n’a pas à s’y engager soi-même, ce n’est pas de sa vie dont il s’agit, mais il faut qu’iel soit en mesure de tenir cet espace avec l’autre qui s’y adresse, et qu’iel reconnaisse l’impact de son monde sur celui-ci. Il n’est pas besoin d’être « neutre » soi-même pour éviter les effets invasifs de ce qu’on appelle le transfert. Échapper à devenir soi-même l’objet du discours de l’autre, par exemple en tant qu’analyste, ne veut toujours pas dire être « neutre ». Le discours consomme l’objet, il l’assimile à sa propre création d’images, de mémoires. Si l’on tombe soi-même dans ce champ symbolique qui le nourrit, certes, on perd la commune présence de deux corps qui tentent d’établir une distance équitable entre eux. Donc cette distance est nécessaire pour qu’il y ait un espace ouvert à la projection qui ne consume ni l’un-e ni l’autre. Néanmoins, l’interprétation mutuelle, elle, suit son cours, et personne n’est dupe de cette condition. Le discours doit pouvoir se situer, toujours, dans l’espace intermédiaire entre les deux parties en présence formant la structure du dialogue. C’est de cela qu’il s’agit, aussi, lorsqu’on s’adresse à un sujet – un sujet dans le monde, à savoir un monde de sens qui le fonde. Si un espace de neutralité peut s’y ouvrir, il devra bel et bien être la création volontaire et consentante de deux personnes, voire plus, en reconnaissant que le sujet qui s’adresse à un espace d’analyse s’accorde à ce qu’iel sait néanmoins des rapports de pouvoir qui animent chaque point de vue et ce qu’iel suppose du point de vue de l’analyste. Dans tous les cas, notre présence aura toujours un impact et un effet sur l’autre ou groupe d’autres, et il serait vain de penser que cet impact puisse échapper à la lecture de soi, quelle que soit sa propre volonté d’y échapper soi-même.

Annexe – Langage, morale et interfaces sociales

Texte en pdf :

« Je devais découvrir que la ligne qui sépare un témoin d’un-e acteur-rice est une ligne en effet très fine ;

toutefois, la ligne est réelle. »

(‘I was to discover that the line which separates a witness from an actor is a very thin line indeed ;

nevertheless, the line is real.’)

James Baldwin, I am not your negro (Raoul Peck), « Witness »

Il existe deux types de complexité : l’un représente la diversité des chemins empruntés par le vivant pour élaborer leurs espaces habitables, l’autre l’intrication des liens et des rapports hiérarchiques de dette. Ces derniers ont à voir avec la contention par laquelle le régime des lois morales tient toute action comme éminemment et préventivement responsable de son inévitable sanction. La prescription morale perpétue ainsi la mémoire de cette sanction. « Parce qu’il y a la violence, il y a la morale », expliquait le philosophe Paul Ricœur.1 Nous sommes enjoint-e-s à purger un mal originel qui a ou aurait été fait et en vertu duquel l’ordre social et/ou familial doit être maintenu, la dette observée et payée. La dette s’inscrit au cœur du champ de la loi morale, et elle est générationnelle – comme en témoignent notamment les séquelles des périodes officielles comme officieuses d’esclavage et de colonisation.2 Néanmoins, un point fondateur de notre travail ici est de renverser le corollaire du constat herméneutique en explicitant qu’aussi bien, comme nous l’avons vu, parce qu’il y a la morale, il y a la violence. En effet, c’est la morale qui donne sa mesure et fait exister la violence en tant qu’objet d’interprétation, mais aussi, c’est la contrainte prescrite par les lois morales qui empêche la libre réalisation des individu-e-s et induit une violence sociale et émotionnelle, sous forme d’anxiété ou de rage. Sans les espaces intermédiaires propres à l’élaboration du trauma, ce sont les cibles immédiates qui servent d’exutoire.

Le webzine culturel, féministe et intersectionnel Deuxième Page sort sa première revue papier prochainement sur le thème de la colère, notamment de la colère féminine et de la manière dont celle-ci fut et est encore largement discréditée, assourdissant les voix qui se lèvent pour raconter leurs expériences d’un ordre politique oppressif – on pense entre autre aux stratégies dites du gaslighting. Ces voix sont souvent dépolitisées et pathologisées, par exemple, par le qualificatif de l’hystérie. Le genre, ainsi que d’autres catégories hiérarchisées, tombe comme une désolidarisation du droit et ici, le champ moral et sa tradition, la répartition des rôles de genre qu’elle établit, participent d’un cloisonnement du dialogue social et de la participation collective à son propre devenir. Le caractère impérieux du domaine moral et son efficacité justifient l’accoutumance vis-à-vis des injustices manifestes par une hiérarchisation des droits. L’ordre moral vient traditionnellement de la figure du Père et nous prenons cela pour acquis. Dans le roman L’hibiscus pourpre (2003) de Chimamanda Ngozi Adichie, c’est cette figure du père aimé et admiré en public mais respecté jusqu’à la crainte en privé qui reflète l’archétype de l’ordre patriarcal. Cet archétype n’est pas propre au genre masculin – ni n’en est l’essence – mais à une organisation masculine du pouvoir autour de rapports de force cristallisés dans le champ symbolique et politique. C’est un possible qui a été actualisé de façon précaire à travers les siècles, enjoignant la classe masculine à la renforcer par peur d’un soulèvement et par un cruel manque d’éducation affective – et cela aussi constitue une contrainte sociale reproductive qui a valeur de prescription. C’est un cycle de violence et de réponse défensive à cette violence. Nous nous accoutumons à ce que la marge de protection qui nous est offerte justifie d’être redevable aux figures parentales et d’y obéir, comme l’explique la psychanalyste Alice Miller.3 Or, cette obéissance est également justifiée par la nécessité impérieuse de maintenir une lignée familiale, politique et culturelle présentée comme le seul moyen de survie psychique et symbolique collective face à la perspective de la mort. Sous un régime de peur, nous nous accoutumons donc à obéir pour ne pas mourir, sans vraiment savoir toujours à qui et pour quoi obéir. C’est une tractation, un contrat que nous nous habituons à réactualiser sans cesse, comme une garantie par défaut.

Qui dit accoutumance dit dépendance, y compris pour ce qui est de donner du sens à nos actions et à celles des autres. Le système de « protection » – mais de qui et comment ? – de l’ordre moral (entendu du groupe dominant) est lui-même dépendant d’un système politique qui entretient une forme de violence légitime (car reproductible) à même de justifier sa hiérarchie. Bien des modèles du sacrifice sont finalement tirés d’une même verticalité du pouvoir, fût-elle même fondée sur un ordre mystique. Cette même verticalité et les verrous qu’elle implique formulent les conditions d’élaboration du trauma autour d’une figure d’autorité à la fois crainte et respectée, laquelle justifie l’usage légitime des violences physique et symbolique l’une par l’autre (Pierre Bourdieu, Sur l’Etat, 1989-1992) ; ou pour reprendre les mots de l’Abbé Pierre au sujet des écarts de richesse : « Il n’y a pas de violence qu’avec les armes. Il y a des situations de violence. »4 Si l’on pensait que ça n’avait rien à voir avec les enjeux du genre, qu’on songe au fait qu’aujourd’hui, en Europe, on assiste à la montée des partis d’extrême-droite, lesquels font reculer les droits à l’avortement – comme en Pologne et dans une trentaine d’autres pays du monde (dont les États-Unis et le Brésil) réunis autour du « Consensus de Genève ».

Comme toujours, l’intersectionnalité offre des clés de lecture. En France, selon le rapport du CCIF de 2019, 70% des actes islamophobes ont été adressés contre des femmes musulmanes ou supposées l’être en 2018. Pourtant, la majorité des attaques terroristes armées et revendiquées par des groupes islamistes sont identifiées comme étant perpétrées par des hommes. Les femmes tendent donc à être associées plus spontanément au quotidien à des objets et des cibles faciles d’attaque « ordinaire », non-organisée et impulsive lorsqu’il s’agit d’exprimer ouvertement un ressentiment diffus à l’égard des populations de confession musulmane. L’habitude d’une certaine impunité et normalisation face aux agressions commises envers des femmes et groupes minorisés, jusqu’au sommet de l’État, vient appuyer cette tendance. Il est par ailleurs rare qu’on questionne les contextes systémiques, voire géopolitiques qui entraînent agressions et attentats. Il faut rappeler le nombre d’entre eux perpétrés par des personnes s’identifiant à des idéologies d’extrême-droite (la majorité le sont aux États-Unis5) et souvent ouvertement misogynes. Cela confirme l’orientation politique par laquelle on véhicule la narration médiatique autour de ces événements en termes moraux de Bien et de Mal et leur exploitation. Cette division binaire rend difficilement compte des violences interstitielles propres aux dynamiques intersectionnelles. Ainsi, le 24 octobre dernier, la chanteuse de Lous and the Yakuza relatait sur son compte Instagram un cas de cyber-harcèlement à son encontre visant sa couleur de peau foncée, dont elle expliquait qu’il provenait pourtant d’hommes noirs. Un système de domination hiérarchique sur la base du genre, de la race, de la classe et/ou de la validité affecte aussi les dynamiques intra-communautaires, comme c’est le cas du colorisme. Le fanatisme n’est enfin pas le propre d’une religion comme l’Islam, quoi qu’en disent les adeptes du « séparatisme », sinon nous ne pourrions pas parler d’un fanatisme capitaliste et suprématiste qui estime qu’une croissance exponentielle infinie est possible dans un monde aux ressources finies et que ses bénéfices seraient « naturellement » échus aux hommes blancs (comme catégorie sociale), cisgenres et hétérosexuels. Ces derniers auraient autorité pour ce qui est de décider du cours de sociétés entières et de leurs écosystèmes naturels. La hiérarchisation raciale sert en effet très bien l’exploitation des ressources (matérielles comme humaines) par une classe dominante. Selon les chercheurs-ses du collectif Zetkin, « L’accaparement et l’empoisonnement [des terres de populations comme les Amérindiens ou les Ogoni dans le delta du Niger] n’est admissible que si leur valeur humaine est diminuée. Les exploits qui font la fierté des « races civilisées » n’auraient jamais pu être accomplis sans les matières premières, les marchés d’outre-mer et l’esclavage africain. »6

En France, le ton martial utilisé depuis le début de la crise sanitaire et économique liée au coronavirus, qui fait suite à la violente répression des mouvements de protestation des « Gilets Jaunes », illustre parfaitement les mécanismes d’accoutumance à l’injustice sociale par l’application de la « stratégie du choc » (Naomi Klein, 2008). Des interventions impeccables sur l’auto-détermination comme celle de Sara El Attar, consultante en gestion de projet et jeune femme voilée, sur la chaîne Cnews (21 octobre 2020), montrent bien l’effort de résilience constamment supporté et pourtant invisibilisé face au faisceau d’injonctions et de projections imaginaires – ici de façon exemplaire sur un plateau de télévision, face à des personnes qui ne comprennent, ne vivent et ne s’ouvrent pas à des réalités d’existence différentes des leurs. De nombreuses personnes des communautés Sud-Asiatiques tentent également de rendre plus visibles et lisibles leurs expériences sous-représentées et mal comprises (relatives aux communautés de couleur Brown). La conjonction entre un contexte global et géopolitique violent et l’absence d’espaces de dialogue sous le règne néo-libéral continue par ailleurs de provoquer des situations d’incompréhension et de violence inacceptables, qu’il s’agisse du meurtre de l’enseignant Samuel Paty par un fanatique religieux comme de l’agression au couteau d’une famille musulmane par deux femmes avec leurs chiens sur le Champ de Mars (20 octobre 2020). On pourrait croire que les situations de violence ne sont pas non plus une spécificité du néolibéralisme ; seulement sa spécificité bien réelle, c’est qu’un accès facilité aux ressources (matérielles mais aussi morales, intellectuelles, culturelles) existe, mais qu’il soit confisqué par les écarts de richesse, lesquels sont entretenus et accentués sans mesure (voir les derniers rapports Oxfam). Une tension de plus en plus grande continue de croître dans la marge restante entre précarité et confort. Plus celle-ci est atteinte, plus nous espérons préserver le peu de confort et de protection qui nous est offert, et nous nous rendons prêt-e-s à accepter la progressive destitution des « libéralismes politiques », selon les termes révélateurs annoncés par le président russe Vladimir Poutine, il y a de cela un an.7 Ceci correspond à la mise en place de l’accoutumance au pire, tant que nous n’en sommes pas personnellement touché-e-s, d’où le nécessaire maintien d’une dichotomie raciste Nord / Sud.

Nos corps et nos vies sont prises dans tout cela, et rien n’en reste sans effet sur nos représentations et nos apprentissages, comment nous nous formulons nos futures et composons avec un présent chargé d’une histoire par ailleurs souvent tue ou déformée, orientée politiquement (qui aujourd’hui a déjà entendu parlé des « folles de la Place Vendôme », ces mères venues protester contre les violences policières entre 1982 et 1986 ?8). Les rapports de pouvoir qui sont engagés désignent les espaces ouverts pour l’élaboration personnelle et collective et en referment d’autres. Genres et sexualités sont intimement dépendants de ces facteurs contextuels et constamment reconstruits, comme le signalaient les concepts que nous avons abordés précédemment liés aux hétérotopies chez le philosophe Michel Foucault. Adresser les problématiques qui leur sont liées ne peut se faire sans questionner ces contextes et leurs échelles, pour en tirer les grandes lignes, structurer son regard, se mettre à l’écoute de l’élaboration singulière de tout trauma.

Apprentissage social et la symbolique des monstres

Avant de revenir aux questions directement liées au genre et aux sexualités, faisons un détour par le cinéma et notamment avec un film : Us (2019), écrit et réalisé par Jordan Peele. Celui-ci représente une famille Noire Américaine de la classe moyenne, les Wilson, en vacances d’été à Santa Cruz, en Calilfornie. La nuit venue, iels sont confronté-e-s à leurs doubles horrifiques, toustes habillé-e-s d’une combinaison rouge et armé-e-s d’un ciseau, qui montrent l’intention de prendre leur place. Sans rentrer trop dans les détails pour celleux qui souhaiteraient voir le film (nous annoncerons un spoiler), on peut en dire que le point pivot de l’histoire se situe autour du personnage d’Adélaïde (Lupita Nyong’o) et du double qui lui est relié (Tethered), dont on apprend la nature véritable à la fin du film. Ce dernier introduit des éléments symboliques discrets qui captent l’attention d’Adélaïde et évoquent l’existence parallèle de deux mondes : l’un évoluant à l’air libre, l’autre souterrain. Les gens ordinaires, et les monstres. La classe des dominants, la classe opprimée. Le récit officiel et son oubli, l’Histoire et sa livre de sang. On apprend plus tard que la population des doubles peuplant les souterrains aménagés est issue d’une expérimentation scientifique avortée qui avait eu pour but initial de contrôler les personnes à la surface. La scène d’ouverture du film montre la personne qu’on identifie comme étant Adélaïde enfant se promener le soir avec ses parents sur la promenade au bord de la mer, tout au long de laquelle se tient une fête foraine. La petite fille échappe à la surveillance de ses parents et se perd dans une galerie aux miroirs sur le thème de la forêt et du chamanisme Amérindien. Celle-ci invite les promeneurs-ses à « Découvrir qui iels sont ». Adélaïde y fait la première rencontre avec son double et une grande part du film tourne autour de la relation traumatique entre les deux êtres. Le schéma manichéen Bon-ne / Méchant-e est ainsi remplacé par une ambivalence entre coupable et victime qui lie Adélaïde à Red.

Illustration 1: Lupita Nyong’o dans Us, de Jordan Peele (2019)

(Spoiler : Ce qu’on découvre à la fin du film, c’est qu’à ce moment qui initie le récit, le double enlève la petite fille et l’emmène dans les souterrains où vivent les « Relié-e-s », lesquel-le-s sont dénué-e-s de parole. Elle prend ainsi sa place à la surface et usurpe son identité, tandis que la « vraie » Adélaïde se retrouve la seule douée de parole dans un monde clos, semblable à un cauchemar. Mais pour cela, alors même que les parents d’Adélaïde à la surface retrouvent une enfant incapable de parler et étrange qu’iels ne reconnaissent pas, celle-ci devra apprendre à intégrer le langage et les codes de leur monde, le monde « libre ».)

Le film Us, au-delà de la construction symbolique très fine évoquant l’histoire des États-Unis et la construction de l’altérité (le massacre des Amérindiens, la mise en esclavage des populations Noires Africaines, l’exploitation capitaliste des classes prolétaires, …), pose la question de l’apprentissage des codes sociaux, symboliques et corporels (les premiers indices qui trahissent finalement la véritable identité d’Adélaïde) et du même coup, des interfaces qui font la médiation entre soi et les autres. Cet apprentissage et ces interfaces régulent les interactions sociales et les réseaux de valeur. Au final, ils permettent donc à Adélaïde de réussir à jouer le rôle d’une jeune femme comme les autres, qu’elle vient aussi à apprendre grâce à la danse, l’art comme vecteur de singularité. La symbolique du masque est là constamment dans le film et fait presque écho au terme de masking (« masquage ») dans le lexique analytique féministe des neurodiversités, lequel désigne l’effort constant de conformation aux normes de conduite sociale dans le but de favoriser son intégration et d’éviter le stigma de la différence. Or, comme l’affirme Morgan-e Blier, militant-e queer et handi-e, « personne n’a jamais été normal. Le corps humain n’a jamais été standard. »9 Le thème du monstre, pris ici dans sa dimension horrifique, évoque celui des freaks, des gens différents, à la marge, comme les off colours de Homeworld dans la série animée Steven Universe (2013-2019). Les espaces sociaux « normaux », leurs mondes de représentation et leurs codes fonctionnent ainsi comme des interfaces sociales et symboliques qui sont soumises à une lecture, à une interprétation et à une évaluation constante. On évalue et on surveille sa conformation à la norme et celle des autres constamment, de façon compulsive, comme condition de notre évolution dans les espaces où notre corps est exposé. (Nous avions développé autour de ce thème l’idée d’une méta-herméneutique, soumettant à l’interprétation tout champ lisible du corps soumis au regard.)

Dans Us, la concomitance récurrente d’identités semblables mais sensiblement différentes par leur allure et leur comportement souligne « l’inquiétante étrangeté » (Sigmund Freud, 1919) d’une indétermination et d’une indécision. J’hésite entre m’identifier et rejeter l’élément auquel je suis censé-e pouvoir m’identifier. Dans une scène mettant en parallèle la vie des « Relié-e-s » avec celle de leur « Originaux-les » à la surface, nous sommes constamment en train d’établir des correspondances, de retrouver les ressemblances et les divergences, et c’est cette tension entre deux mouvements contradictoires – d’attraction et de rejet – qui crée le malaise, l’espace de différence et le décrochage du rapport entre la reproduction et sa référence. C’est parce qu’il y a un effort constant d’évaluation et que cet effort est actif que toute divergence est perçue comme une perturbation de l’effort d’identification. Le film aborde ainsi brillamment le thème du pulsionnel, qui de la même manière que le concept de jouissance, on l’a vu (Darian Leader, 2020), est soumis à un usage qu’il s’agit ici de questionner.

Le « pulsionnel » ou la rupture de l’intimité

Comme évoqué dans l’article précédent, la (com)pulsion de répétition et la jouissance s’établiraient dans l’absence de terme (autant compris comme fin que comme objet signifiant défini, ayant un contour bien délimité et une forme finie), voire l’impossibilité d’un terme. Il est impossible d’assimiler la personne à son double ou à sa propre image dans le miroir, comme il est impossible pour sa propre main d’être l’objet et l’agent pour s’en saisir, et c’est parce que cette distance est irréductible que notre perception établit dans cette image une distance, qui est imaginaire parce qu’on ne peut la résoudre ni la combler. Elle résiste en tant qu’objet non-assimilable à la parole. C’est l’idée que nous avions observée dans le dispositif logique de l’identité posé par le psychanalyste Jacques Lacan (voir « Identité et identification »), empruntant à Saussure l’idée qu’un signifiant se définit d’abord par tout ce qu’il n’est pas – y compris lui-même comme faculté à se répliquer. Si une chose est Une, elle n’est pas censée avoir un autre qui lui soit identique, d’où l’incongruité de sa propre réflexion. Ce genre d’idée a beaucoup nourri des démarches artistiques conceptuelles comme celle du plasticien Marcel Duchamp au début du siècle dernier ou du compositeur John Cage dès la fin des années 40. Elle pénètre de manière générale, comme nous l’avons vu, toutes les questions liées à l’altérité dans les points de vue assignés à la minorité sociale.

Or, de la même manière que nous avons critiqué l’usage préférentiel des concepts théoriques liés au sexuel, pour envisager plutôt les processus de sexualisation, nous devons nuancer la catégorie de « pulsionnel », habituellement jugée comme élément élémentaire et irréductible. Que serait un corps sinon un ensemble coordonné de pulsions ? Nous avons vu avec Francisco Varela qu’une vision prescriptive du monde naturel et humain pouvait distorde notre champ de perception et d’évaluation. Parler de pulsion revient à parler d’un donné qui s’établirait en-dehors de toute structure relationnelle. Or, nous l’avons vu, il faudrait envisager les choses autrement parce qu’il n’y a pas d’expérience qui puisse en fait exister en-dehors de ce cadre, en vertu même du principe de sensorimotricité – lequel implique tout corps au cœur des modalités d’interaction qui le lient à ses environnements perçus. Une expérience est ainsi toujours incarnée et située dans cette intrication du fonctionnement sensorimoteur des corps avec leurs environnements d’expériences qu’ils réinventent constamment (F. Varela, E. Thompson & E. Rosch, 1991). De même, l’exercice de la pensée, l’ouverture de l’imaginaire puis l’élaboration symbolique et structurelle du langage prennent toutes racine dans ce cadre. Les modalités d’interaction qui régulent nos expériences aujourd’hui sont de surcroît interdépendantes des systèmes de règles et de dettes qui forment nos environnements sociaux de façon artificielle (joignant le corps aux actes de langage, au sens d’artifier emprunté à la chercheuse en neuroesthétiques Ellen Dissanayake) et répartissent les espaces de pouvoir – notamment en fonction des critères de genre (Kate Millett, Sexual Politics, 1970), mais aussi de race, de classe et entre autre, de validité. C’est parce qu’il y a ce regard de l’autre que ma relation à mon corps embarque avec elle la mémoire d’une sanction et sa situation traumatique. Si le pulsionnel désigne tout ce qui du corps n’est pas pris en charge dans le champ social, laissé à la charge de l’individu-e qui se devra de le contenir, alors non seulement la dimension sociale doit être prise en compte dans sa qualité de regard auquel on soustrait la pulsion, mais aussi comme espace de rupture de l’intimité de la personne avec son propre corps. À qui alors adresser la douleur ou le plaisir de ce corps-là ?

Par peur de complaisance avec cette charge pulsionnelle suspectée chez la personne qui fait office de patient-e et par attachement, lui-même suspect, à un lexique témoignant d’une objectivité scientifique « neutre » (sous-entendue de tradition masculine), la théorie psychanalytique, chez Sigmund Freud comme chez Jacques Lacan, a fini par déposséder le sujet de cet espace propre à soi où on loge le pulsionnel – parfois en oubliant sans doute eux-mêmes qu’ils étaient des « sujets parlant » dépendants des conditions de leur propre émergence et culturellement situés – et qui est tout simplement l’intime. Au-delà du corps en tant qu’objet de pulsion, il y a les différents espaces d’élaboration de son action et de son sens, lesquels ne se valent pas et n’incluent pas les mêmes droits de réponse. Ceci agit sur la qualité même de tout symptôme, puisqu’il pourra être interprété tout à fait différemment, par exemple, selon le genre de la personne (il n’y a pas d’exemple aussi emblématique à ce titre que le diagnostic d’hystérie). Il existe un territoire de relation à son corps propre qui doit être réapproprié par la personne et pour elle-même. Et c’est très important, parce que la rupture de l’intime causée par la sanction – notamment morale, dans ce qu’elle se signale comme un impératif préventif, par ailleurs souvent signifié dans la théorie psychanalytique et son usage par le concept orienté de « castration » – est justement ce qui marque l’expérience directe du corps du sceau de la culpabilité. Or, si on ne met pas la culpabilité assignée à la pulsion en rapport avec la légitimité qui devrait être absolue de l’expérience intime, on manque aussi la perspective de la cure, qui est non tant l’acceptation d’un « désir » impérieux en tant que construction inconsciente du pulsionnel, mais la réappropriation de l’intime, qui peut ou non faire part à la sexualisation de cette expérience. On ne peut s’abstenir de contextualiser le pulsionnel au même titre que le sexuel et de les ramener à leurs conditions d’émergence en tant qu’objets symboliques.

Darian Leader a examiné avec attention les gestes compulsifs de nos mains dont on ne sait que faire dans l’espace public et même privé, partout où elles sont potentiellement soumises au regard (Mains, 2017). Cette compulsion signale une insécurité face à une non prise en compte du corps dans ses dimensions expressives dans l’espace social, autant que la compulsion de rectification, d’isolement, de séparation de leur activité du reste du corps visible, lequel doit être normalisé de façon impérieuse. Pour autant, est-ce que ce « pulsionnel » existe en-dehors de son rapport de tension avec cette force de conformation issue du champ d’interprétation sociale ? Au-delà de sa dimension strictement nerveuse, le pulsionnel est coloré d’une violence. Or, nous avons vu que toute violence est co-dépendante du champ moral qui impose et prescrit une contrainte du corps et sa conduite préférable. Le pulsionnel émerge de cette violence qui est une rupture de la capacité du corps à s’auto-déterminer et à se présenter à lui-même. Le pulsionnel se présente comme une transgression, mais cette même transgression se prend à la mesure des interdits prescrits et de l’absence d’une répartition équitable des espaces de parole et de réinvention de soi. Ces champs forment des interfaces interprétatives et sociales qui conditionnent l’accès au sens et à sa situation équitable. L’apprentissage du respect de l’intégrité physique et psychique des autres devrait être prioritaires. Cet apprentissage permettrait de soumettre une frustration éventuelle à sa propre évaluation et à projeter des alternatives dans les champs intermédiaires restant ouverts. Or, le champ moral et prescriptif impose une conduite linéaire qui ferme l’accès aux alternatives à partir d’un certain point d’acceptabilité sociale, laquelle est basée sur des normes et des conventions et intriquée à des impératifs politiques et hiérarchiques.

Cette compartimentation des espaces possibles est tout à fait lisible dans la séparation imperméable entre les espaces naturels et urbains, comme l’exprimait l’essayiste Sylvia Federici avec le concept d’enclosure (voir « Identité et identification »). Le pulsionnel n’existe pas hors de l’enfermement, du cloisonnement et de l’orientation qui lui donnent sa norme et dont la binarité est le premier inhibiteur de nuance (Bien / Mal, homme / femme, riche / pauvre, peau claire / peau sombre, valide / invalide, …). Permettre l’élaboration ouverte des moyens d’expression propres et des modalités de dialogue est loin d’être une porte ouverte au crime si elle permet, encore une fois, l’apprentissage du respect mutuel du droit à l’auto-détermination. Ses termes ne reflètent pas non plus un manque de complexité ni une dimension utopique. Ils évitent juste de porter caution aux structures signifiantes qui prennent la perpétuation des violences systémiques comme un donné. C’est grâce à cette flexibilité qu’on permet au contraire une régulation sereine des espaces collectifs et intimes et par là, de la liberté.

1In Paul Ricœur, Ecrits et conférences 2 : L’herméneutique, ed. Seuil, 2010.

2En France, la situation dans les Antilles est toujours préoccupante, notamment en regard de la pollution des terres par l’épandage de pesticides et de la répression des mouvements de protestation. L’activiste féministe et anti-raciste Angela Davis dira même d’un pays comme la Martinique que son fonctionnement, soumis à la Préfecture Française, s’établit toujours comme celui d’une colonie (à la conférence « Moving Together: Activism, Art and Education », Université d’Amsterdam, mai 2018).

3In Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, ed. Flammarion, 2004.

4Discours donné le 22 janvier 2007, Fondation Abbé Pierre.

5http://www.slate.fr/story/196417/supremacistes-blancs-majorite-attentats-terrorisme-interieur-etats-unis

6In Zetkin Collective, Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat, coordonné par Andreas Malm, ed. La fabrique, 2020. Lire aussi l’article de Basta ! Mag, « Déni du réchauffement, mépris pour les renouvelables, haine des réfugiés climatiques : le « fascisme fossile » », 22 octobre 2020.

7https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/28/les-grandes-lecons-illiberales-de-vladimir-poutine-au-financial-times_5482876_3210.html

8Voir l’ouvrage de Fatima Ouassak, La puissance des mères : pour un nouveau sujet révolutionnaire, ed. La découverte, 2020.

9« C’est une idée qu’on nous a mise dans la tête pour qu’on soit d’accord avec la façon dont on maltraite les personnes qui ne sont pas considérées comme appartenant à la norme. Il faut bien se rendre compte que […] la façon dont les gouvernements, les groupes, les institutions, les entreprises et les individus traitent les personnes malades et/ou handi est pire que de vivre avec une maladie et/ou un handicap. Et d’autre part être valide, non malade, est un état temporaire. Il va y avoir un moment dans votre vie où vous allez vous casser la cheville, où vous vous rendrez compte que vous n’êtes pas câblé comme tout le monde, où vous allez tomber malade, où simplement vieillir. » Dans un témoignage du 23 octobre 2020(dont nous tairons la source ici), où iel parle de l’effort constant de sur-adaptation et d’effacement de son handicap. Le « camouflage » (masking) peut en effet s’appliquer aux handicaps de manière plus large.

Crédit photo : « Papillon », La Fille Renne ❤

Genre et sexualisation : processus de différenciation et contexte social

Texte en pdf :

La présence de forces punitives et répressives soutenant les injonctions aux normes de genre face aux divergences vis-à-vis de celles-ci rend difficile à évaluer la part réelle de la population qui en serait affectée. En effet, l’injonction à l’adaptation masque (terme emprunté au lexique d’analyse sociale des neurodiversités) en effet l’émergence des signes distinctifs par lesquels les personnes se reconnaîtraient éventuellement ou pas dans une certaine typologie d’expérience. Comme nous l’avons vu dans l’article « Identité et identification », des assertions du type « C’est un homme » ou « C’est une femme » impliquent tout un univers de sens forgé par les dynamiques sociales et morales en présence, lesquelles agissent sous le mode de la prescription. Ces deux assertions n’ont pas non plus la même valeur sociale – et par extension institutionnelle, voire médicale –, le statut d’homme étant plus valorisé. Par là même, la transmisogynie peut exister à la convergence de la transphobie et de la misogynie.1

Nous avons cité le philosophe post-structuraliste Michel Foucault, chez qui l’emploi des termes d’hétérotopie et d’utopie renvoient à cet état de tension entre des espaces de divergence et leur contexte normatif. C’est vis-à-vis de ce contexte, selon le philosophe, qu’une utopie sociale et intime est placée hors de la cité, renvoyée à un statut d’hétérotopie ; c’est-à-dire que c’est le contexte normatif de la société conçue comme un ensemble cohérent et uni qui formule les processus de différenciation et par conséquent, de friction, de conflit. C’est parce que l’utopie de ces espaces est jugée déviante qu’elle est également jugée différente et assignée à la minorité, c’est-à-dire à un traitement différencié vis-à-vis du droit, un régime d’exception. Nous avons vu en quoi les figures trans* (formulation qui comprend l’intégralité du spectre des identités trans, comme les non-binarités), intersexes, gays, lesbiennes, bies ou asexuelles, racisées, déclassées et/ou invalides physiquement et/ou psychiquement, ou encore la figure de la pute, étaient soumises à un traitement d’exception justement parce qu’elles ne seraient « pas comme nous ». Seulement pour oblitérer le caractère arbitraire et subjectif de cette mise à distance, le jugement d’exception sur la base de l’identité supposée fait recours à la rigidité de la loi morale.

Comme l’explique la sociologue Karine Espiniera, la binarité fondatrice de ces structures morales et la manière dont celles-ci fabriquent la « normalité » et les conditions de son consentement sont celles-là mêmes qui infligent les types de la féminité et de la masculinité auxquels toute personne, y compris les personnes jugées divergentes (LGBTQIA+, racisées, de classe défavorisée mais aussi, par exemple, grosses, neuroatyiques et/ou handicapées physiquement, …) seraient supposées devoir correspondre pour que leur identité – de genre – soit avérée. De fait, selon elle, on a « psychiatrisé le genre »2, ce qui n’est pas sans rappeler la longue histoire de la psychiatrisation des femmes sous prétexte d’hystérie.3 À la fluidité des identités (dont on n’a vu qu’elles ne pouvaient être que des approximations) répond l’illusion d’une loi morale absolue qui fonde l’établissement d’un système de différence et de hiérarchie juridique et sociale, tout en se rendant aveugle à la violence qu’elle inflige et ce de manière d’autant plus forte que nos sociétés dans leur ensemble ont tendance à se précariser, notamment sous l’effet du modèle patriarcal, hétéronormatif, capitaliste et néo-libéral.4 Si une éthique sociale digne de ce nom se devrait avant tout de respecter les conditions d’auto-détermination mutuelle et l’intégrité physique et psychique de chacun-e, le champ de la morale s’appuiera sur la tradition et l’habitude (terme emprunté au sociologue Pierre Bourdieu, plus précisément l’habitus) pour prescrire en priorité les conduites qu’elle juge prioritaires, valorisantes et répondant à des catégories prédéfinies (le cas des opérations non-consenties sur les personnes intersexes à la naissance en est un exemple radical et flagrant, comme le rappelle la militante Maud Yeuse Thomas5). Ce champ moral façonne les interactions sociales et les structures politiques de nos sociétés qui relèguent les espaces non-balisés au champ du fantasme, à l’absence de liens d’entente et à la peur de l’inconnu. L’univers dominant la représentation de soi et des autres est donc un facteur déterminant dans la capacité à laisser s’ouvrir des espaces d’autonomie qui en eux-mêmes peuvent n’avoir pas vocation à se positionner comme différence.

Si une situation de soi dans une identité signalée comme divergente peut avoir comme racine le refus du modèle de conduite dominant, prescrit au mépris de l’expérience intime, affective et émotionnelle de l’individu-e, la majeure partie des personnes qui s’inscrivent dans ces identités le font d’abord par la nécessité impérieuse d’accorder leur identité sociale à la part la plus inaliénable de leur expérience. Celle-ci est aussi la moins communicable par le langage, premier créateur de norme, dont nous avons vu le caractère nécessairement approximatif, qui va de même pour les normes en question. Comme le dit si bien Delphine Montera (Autiste queer le docu), c’est par cette même tentative de figer notre expérience dans le langage que notre relation à nos émotions est cadnassée et par là, notre capacité à l’empathie, laquelle pourrait fonder cette éthique sociale évoquée plus haut. Les espaces de divergence sociale sont en cela d’excellents exemples de la nécessité de réajuster, de reconfigurer ses habitudes de relation avec les catégories normatives et les espaces qui leur correspondent. Ce « faire autrement » souligne la « mobilité sociale » requise, pour reprendre le terme du sociologue Emmanuel Beaubatie6 pour composer avec les suppositions qui sont faites sur les rôles de genre, de race, de classe et autres au sein des interactions sociales et de la distribution des espaces de pouvoir.

« Il n’y a pas de rapport sexuel »

C’est donc la différenciation qui fait l’autre. Si nous reprenons la définition que nous avons faite du trauma dans des travaux ultérieurs (Seeking stability), c’est la distance qu’on ne parvient pas à remplir qui donne matière à l’élaboration d’une différence entre soi, l’autre et la marque de la rencontre, du contact (qui comprend également tout contact sensoriel qui oblige l’individu-e à réactualiser ses modes de relation au monde qui l’entoure). Dès lors, on peut se souvenir de cette fameuse assertion du psychanalyste Jacques Lacan, qu’on cite et commente abondamment : « Il n’y a pas de rapport sexuel. » (Séminaire XX, 1972-1975, qui traite du rapport entre la jouissance et l’amour.) Le critère de différenciation est un critère juridique. Il signifie la démarcation. Reste l’espace d’indétermination qui serait l’espace investi par la « jouissance », ce reste qui « ne sert à rien ». À la détermination par le langage ou par le signifiant, répond la sur-détermination du climax a priori recherché dans la jouissance, à savoir un orgasme. Sur-détermination parce qu’à ce moment-là, on pourrait dire que le système nerveux est saturé, complètement occupé et ne laisse plus de place à une quelconque imagination. Au contraire, on retient son souffle, on suspend tout, d’où qu’il advient que les ressorts par lesquels on se lie à l’autre, qu’iel soit réel et/ou imaginaire (on s’adresse à l’objet du fantasme), s’effondrent. L’idée d’un « rapport » qui s’établirait par la structuration codifiée et signifiante du langage ne tient plus, donc au sens strictement logique (qui est fondateur dans la réflexion lacanienne), « il n’y a pas de rapport sexuel » parce que dans ce moment d’occupation totale du soi (c’est-à-dire de l’appareil psycho-moteur, du corps dans son ensemble), il n’y a plus de place pour une conscience de quelque chose autre – par extension de quelqu’un-e d’autre que cette expérience prescrite et circonscrite dans le temps et l’espace de ce corps-là. Pour autant, quand on en sort, on est bien obligé-e de se remettre en relation avec l’autre et la réalité de son environnement immédiat. Ce que pourrait admettre la théorie lacanienne si elle se l’avouait à elle-même, c’est qu’au final, peu importe le modèle qui structure les relations au sortir du pic de cette jouissance puisqu’au final, ce serait ce pic qui nous intéresserait. Nous allons donc continuer plus loin et dire que non seulement « il n’y a pas de rapport sexuel » mais, comme annoncé dans l’article « Identité et identification », il n’y a pas de sexuel tout court. On parle du « sexuel » dans la théorie et la pratique psychanalytique parce qu’on assume la fixité des catégories qui le fonde ; par exemple, une « jouissance phallique », assignée à « l’homme », contre une « Autre jouissance », assignée à « la femme » – qui selon Lacan n’existe pas mais moins sur le plan symbolique, si le Phallus structure le « sujet parlant » il reste la trace d’une sorte de dynamique différentielle active contre passive, et c’est ce contre qui posa problème jusqu’à Lacan lui-même et l’engagea apparemment à poser un troisième terme de sortie. C’est à partir de ses objets supposés qu’on fonde le « sexuel », sans se préoccuper, encore une fois, des présupposés sociaux, politiques et symboliques qui conditionnent le maintien des structures par lesquelles ces objets de langage et d’imaginaire continuent de contraindre les conduites sociales et intimes. On ne parle pas de socialisation du genre pour rien, parce que les imaginaires qui nous sont transmis par notre apprentissage des règles de conduite en société prescrivent ces dernières comme autant d’espaces exclusifs de réalisation. C’est pourquoi la théorie et la pratique psychanalytiques, entre autre, restent dans une impasse si elles n’admettent pas le conditionnement des catégories supposées du « sexuel » par des dynamiques de pression sociale très concrètes, ne serait-ce que d’être inclus-e dans un milieu professionnel, culturel et/ou scientifique et/ou médical lié à l’adresse du corps et du psychisme humains.

Il n’y a donc pas de rapport sexuel pour autant qu’on considère que le sexuel soit une chose (terme freudien du ça) autonome et structurante. La psychanalyste Laurie Laufer explique que « Chez Freud, la sexualité est pensée comme sexuel élargi [et non stable, illusoire et indisciplinée]. Dans ce premier temps fondateur de la psychanalyse et inaugurant une véritable rupture, il y a chez Freud une dissociation essentielle dans la sexualité entre plaisir et reproduction. La question de la pulsion dissociée de son objet de satisfaction est un moment capital de l’invention freudienne. Freud a conservé jusqu’aux derniers textes l’idée d’une polymorphie de la sexualité infantile. Ce qui caractérise les pulsions sexuelles, dit-il encore, c’est leur immense plasticité et non pas l’objet de la pulsion elle-même. Ce moment fondateur qu’est l’invention freudienne fait du corps un lieu érogène, sexuel, pris dans un excès pulsionnel et à partir duquel une singularité symptomatique devient langage inconscient. Un corps pour la psychanalyse est d’abord pulsionnel. »7 Or l’altérité, fondamentalement, dans l’optique théorique du paradoxe sensorimoteur, c’est la rupture entre la production d’images mentales (de mémoires) et leur ancrage dans la réalisation motrice. Cette main que je vois et qui est la mienne m’apparaît comme n’importe quel autre objet mais si je veux que cet objet demeure, il faut que je renonce à agir, à réaliser l’action vers laquelle je suis tendu-e dans ma relation à cet objet. L’état de tension et de suspension serait présent, dans cette optique, dès le commencement des facultés signifiantes primaires et pourtant, ceelui-ci n’a pas fondamentalement une nature sexuelle. Il y a une accumulation d’énergie, une violence de contension, peut-être une jouissance, mais il y a une marge entre faire l’expérience de cette situation de blocage et l’investir d’une intention et d’une mémoire se référant à l’expérience sexuelle. S’il y a une sexualisation, elle ne peut venir que dans un second temps, attribuant une certaine valeur à cette « absence de rapport », non pas entre le sexuel et le signifiant, mais entre l’image et l’action correspondante (peut-être le champ du fantasme) – plus précisément entre l’image située dans mes modalités de perception et son énaction (terme emprunté au neurobiologiste Francisco Varela) sensorimotrice. Comme le signale le psychanalyste Darian Leader, on ne peut attribuer la catégorie de « jouissance » à tout et n’importe quoi de manière indifférente.8 Sa genèse et son cadre relationnel priment sur les symptômes qui la signalent. Mais plus encore, l’erreur est de considérer la chose sexuelle comme étant si autonome et si impérieuse que le désir et la jouissance de l’individu-e finiraient par sortir complètement de ce cadre relationnel. À partir du moment où on traite du sexuel et qu’on en emploie le terme, c’est même ce que dit Lacan d’une certaine manière, on se met en relation avec un objet signifiant qui nous accapare. Et c’est dangereux de se laisser accaparer par sa propre relation avec ce type de signifiant, qui peut-être emporte une jouissance, une ligne de tension, qui investit vers l’avant le mot d’une pulsion et entraîne le discours à parfois justifier la culture du viol dans nos sociétés et certaines considérations douteuses sur la sexualité dite « infantile » en vertu de l’observation du « pulsionnel ». Or il n’y a de sexualité que construite socialement et historiquement9 (chose déjà soulignée par Michel Foucault et avouée autant par Freud que par Lacan), qui peut l’être chez une personne adulte lorsqu’elle y consent mais jamais de façon pleinement entendue dans ses causes et ses conséquences chez des personnes mineures, quelque soit la manière dont on les sexualise. Ces seuils de compréhension doivent être structurés dans une éthique de l’apprentissage social.

Qu’un-e enfant ou qu’un-e adolescent-e fasse la découverte de son corps, du plaisir et de la douleur est une chose. Qu’on considère cette découverte comme une « sexualité » et comme étant relatif au « sexuel » sur le même niveau que l’adulte est une faute que la psychanalyse ne peut pas se permettre. La question de l’ascendant psychologique et de l’abus de pouvoir dans les affaires de pédocriminalité dépasse de loin la seule question du sexuel, mais pas seulement. Comme le raconte le comédien Océan dans son podcast La politique des putes, même le consentement et le désir peuvent être mus par des nécessités matérielles qui justifient le travail et la transaction sexuelle. Dans le travail du sexe comme dans la vie courante, le consentement et le désir peuvent s’exclure mutuellement, soit parce qu’on désire et ne contrôle pas le fait de désirer sur le moment mais qu’on refuse pourtant l’échange sexuel pour une raison autre (chose qui peut être, contrairement à ce qu’on pense, plus facile dans le travail du sexe que dans d’autres contextes, du fait de sa dimension clairement économique), soit qu’on ne soit pas animé-e d’un désir impérieux mais que par ailleurs, on consente à l’acte pour d’autres raisons, comme la simple envie de sexe, la curiosité, une situation particulière ou dans le cadre conjugal, la préservation de la « paix des ménages », lesquels peuvent ne pas aboutir en soi à une satisfaction sexuelle.10 Nous ne pouvons ainsi être aveugles des rapports pratiques de pouvoir (parfois insoupçonnés) qui fondent nos sociétés humaines et les interactions qui en découlent dans tous les aspects de nos vies. Par ailleurs, le « réel » du trauma, la blessure qui initie son élaboration, s’il ne peut trouver de relais pour se représenter à lui-même, reste une impasse, et nous faisons face à un grave défaut de représentation véridique et légitime de la complexité des voies par lesquelles les individu-e-s, dans leur isolement relatif, élaborent leur relation à leur corps. Cette séparation bien commode entre vie publique et vie privée lorsqu’il s’agit de ce que nos sociétés sont incapables de prendre en compte, comme le souligne Alice Coffin dans son Génie lesbien (2020), ne fait qu’isoler les personnes dont l’expérience ne trouve pas d’écho ni d’écoute ailleurs que dans leur sphère intime, leurs communautés ou un cabinet de psychanalyse (et encore, jusqu’à un certain point).

De la diversité des représentations

Dans nos sociétés actuellement, le corps n’est toujours pas bien pris en charge ne serait-ce que symboliquement, dans nos représentations. En France, il a fallu attendre le magazine Polysème pour avoir une revue papier promouvant de façon exclusive des artistes qui soient des femmes*, des hommes trans ou des personnes non-binaires. La sexualité (à défaut des sexualités) est toujours majoritairement et quasi-exclusivement représentée sur le modèle mécanique et obligatoire de la pénétration comme seul mode de plaisir sexuel socialement viable. Or cette vision mécaniste, focalisée sur l’agissant, c’est-à-dire le pénétrant (sous-entendu masculin), est ce qui permet à Jacques Lacan de définir la position du pénétré (sous-entendu féminin) comme « l’Autre » d’une « jouissance phallique ». Ce point de vue de départ, comme on a déjà pu le voir, élude complètement la partialité de sa propre situation lorsqu’il définit le « rapport sexuel », même râté, comme étant implicitement le fait d’un « homme qui pénètre une femme ». Dans ce système de différenciation, le critère discriminant, c’est l’agent, défini comme intrinsèquement masculin, qui détermine le point de vue opposé, défini comme intrinsèquement féminin, en fonction de ce que celui-ci lui répond (et Lacan affirme qu’il ne nous en dit pas grand chose et pour cause, puisqu’il faudrait être positionné-e pour l’écouter). La nature d’une supposée sexualité féminine est donc définie selon les conditions d’un rapport elles-mêmes déterminées par une répartition binaire des espaces de pouvoir. On retrouve la critique féministe autour du caractère soi-disant « infantile » de la stimulation clitoridienne promu par Sigmund Freud dans les années 20, qui ignorait bien d’une part, que l’orgasme vaginal est lui-même provoqué par la stimulation des branches internes du clitoris, et d’autre part, que la pénétration est loin d’être la seule voie d’accès au plaisir sexuel, ce que savent un grand nombre de femmes cisgenres, d’hommes trans et de personnes non-binaires pour qui la voie vaginale ne permet pas à elle seule d’atteindre un orgasme. C’est ignorer également le nombre et la créativité des modes de relation au corps qui fondent la diversité d’invention des sexualités et leurs singularités sans avoir à subir l’injonction à la performance hétéronormative de la pénétration comme seule voie d’accès à une sexualité épanouie. De manière générale, elles doivent s’émanciper de la stigmatisation des rapports à la sexualité sortant de ce cadre, laquelle assigne d’office les positions féminines et subalternes à le figure de la vierge ou de la putain, de l’objet de sacrifice volontaire ou du monstre à abattre.

Car la question que pose la valorisation hégémonique et obligatoire du coït hétérosexuel, c’est celle de la reproduction, certes biologique, mais aussi sociale. Si beaucoup témoignent d’une culpabilité à ne pas reproduire avec succès cette performance, c’est bien du fait de son mode prescriptif et de la représentation des rôles assignés aux individu-e-s, non seulement en fonction de leur genre supposé mais de leur attribution génitale (nous parlons tout aussi bien d’attribution dans le cas des personnes intersexes assignées à un genre ou à un autre de façon arbitraire et sur la seule base de l’apparence extérieure, sans le consentement des personnes concernées). Puisque ce schéma opère sur le mode de la prescription (« les hommes font ça et les femmes font ça et c’est comme ça ») et si la valeur de l’acte sexuel ne se prend que dans l’aboutissement du coït hétérosexuel (et dans les faits, celui-ci se finit le plus souvent avec l’éjaculation masculine), alors évidemment, il n’y a pas de rapport, puisque l’on est tendu, de façon téléonomique, vers une fin qui est aussi une séparation, un isolement de l’expérience à travers l’orgasme de l’un-e ou de l’autre des partenaires. Si tout l’acte est seulement conditionné par sa fin, excluant tout intermédiaire dans l’expérience des corps, supposant le seul caractère performatif de la pénétration, alors non, en effet, il n’y a aucun rapport, parce que l’emboîtement mécanique n’apporte en soi aucune découverte, aucun lien singulier, aucune relation qui se serait créée spontanément entre les personnes, entre les individualités engagées ensemble dans un moment de partage intime, même au-delà de l’amour. C’est la raison pour laquelle la philosophe féministe matérialiste Monique Wittig déclarait dans La pensée straight (1992) que « les lesbiennes ne sont pas des femmes », simplement parce que dans ce mode de « rapport » hétérosexuel, les lesbiennes ne prennent pas la place de « la femme ». Elles élaborent un autre territoire symbolique, de la même manière qu’il y aurait autant de sexualités que d’identités possibles relatives au genre et aux personnes qui se les réapproprient. Cela n’empêche pas la singularité de l’expérience d’un corps qui correspondrait à un certain type biologique, qui a son objectivité lisible, notamment, dans un pénis, une vulve ou une intersexuation. Mais cette singularité d’expérience est d’abord et en premier lieu vécue par la personne elle-même, qui a priorité sur le sens à donner à cette expérience, laquelle n’est pas communicable de façon littérale par le langage et lui appartient en propre, de façon inaliénable.

Le sexuel n’est donc pas une catégorie d’analyse valide parce qu’elle embarque avec elle un monde de sens chargé de violence. En fait, elle présume d’un certain état des choses qu’elle considère comme donné, dont il faudrait s’accommoder, sans remettre en cause les conditions de son élaboration et de son maintien. Ce premier article sur les questions liées au genre et à la sexualisation devrait, je l’espère, permettre de rétablir l’exigence d’une généalogie de nos rapports à nos corps, à nos expériences sensibles et aux autres, en société comme en intimité. Encore une fois, si l’expression féministe « L’intime est politique » est souvent répétée, c’est parce que nous construisons constamment notre relation à notre propre corps et à nos expériences en fonction de notre apprentissage social et de ses règles, à travers les dimensions du langage, lesquelles incorporent toutes les aspérités de l’élaboration traumatique. Toute rencontre sensorielle et émotionnelle donne lieu à l’élaboration d’un trauma, ne serait-ce que du fait de leur caractère éphémère et momentané. Le trauma a à voir avec la perte d’une rencontre, d’une situation, d’un contact qui laisse une trace et avec laquelle trace nous devons composer et recomposer notre rapport au monde. La rencontre avec la stimulation sexuelle annonce l’élaboration d’une sexualité qui formule notre manière de composer avec cette expérience et son contexte d’émergence. Il n’y a de sexualité que singulière car il n’y a d’expérience que singulière, ni de dialogue et de partage qu’avec des corps et des lieux propres à eux-mêmes qui forment une rencontre.

Nous espérons pouvoir ici ouvrir un site de réflexion où les moyens de cette élaboration sont rendus possibles.

1Vous pouvez écouter aussi les témoignages de l’épisode 25 de Un podcast à soi, « Les mauvais genres : trans et féministes », Arte Radio, avril 2020.

2Dans le même podcast, mais ses propos rejoignent ceux de Julia Serano dans Manifeste d’une femme trans, ed. Cambourakis, 2020.

3Nous vous rappelons l’enquête pionnière de la journaliste Nellie Bly, en 1887, 10 jours dans un asile, qui démontrait déjà le caractère abusif de l’internements des femmes dès lors qu’elles s’écartaient des rôles prescrits, notamment dans les classes sociales défavorisées.

4Voir les propos du sociologue Emmanuel Beaubatie dans le podcast cité.

5Idem.

6Idem.

7In Jean-Jacques Rassial et al., Genre et psychanalyse, ERES, « Psychanalyse poche », 2016, p. 42. Laurie Laufer ajoute : « Il est vrai cependant que l’inventeur de la psychanalyse n’a pas échappé aux corsets idéologiques et aux préjugés de son temps. Lors de cette première période de l’histoire, Freud met en perspective l’œdipe comme complexe structurant la vie psychique, la différence des sexes comme point de départ théorique de toute pensée de la différence. La psychanalyse est un savoir constitué en un temps où les femmes n’étaient pas encore des citoyennes, étaient assignées aux rôles d’épouses et de mères. Ces préjugés essentialistes ont eu des échos durant un bon moment dans la pratique et la théorie analytiques. »

8In Darian Leader, La jouissance, vraiment ?, ed. Stilus, 2020.

9C’est précisément le combat futile mené pour verrouiller les significations à l’intérieur du cadre qu’on leur a assigné qui fait du genre un objet historique intéressant, un objet qui ne contient pas seulement ce que Foucault appelle des “régimes de vérité” sur le sexe ou la sexualité, mais également les fantasmes et les transgressions résistant à toute régularisation ou catégorisation. C’est le fantasme en effet qui sape toute notion d’immutabilité psychique ou d’identité figée, qui insuffle un désir inépuisable dans les motivations rationnelles, qui participe des actions et des événements que nous appelons l’histoire » in J.W. Scott, De l’utilité du genre, trad. fr., Paris, Fayard, 2012, p. 14.

10Ecouter l’épisode 5 du podcast La politique des putes, « Désirer », produit par Nouvelles Écoutes, 2020.

Crédit photo : « Papillon », La Fille Renne ❤

Annexe – Expertises minoritaires, enjeux majeurs

Texte en pdf :

La lecture du livre de la journaliste et activiste Alice Coffin, Le génie lesbien (2020), me donne beaucoup à réfléchir. Notamment, sur cet écartement de l’expertise militante de l’espace médiatique et politique en France. La peur générée par le soupçon de « communautarisme » est selon elle symptomatique. L’injonction à la « neutralité » cache en fait mal l’idée selon laquelle « certains peuvent écrire sur tout quand d’autres ont des biais. C’est établir un privilège », analyse Alice Coffin. « En territoire journalistique, il est particulièrement puissant. C’est le pouvoir de raconter toutes les histoires. D’être celui qui peut tout voir, tout dire, qui n’est jamais biaisé puisqu’il n’existe pas, puisqu’il est neutre, évanescent. »1 Le « neutre » serait ainsi le seul habilité à dire l’ « universel », contrairement aux points de vue localisés dans des expériences particulières. Par « neutralité », on sous-entend évidemment le point de vue d’un homme blanc hétérosexuel et cisgenre, comme si celui-ci n’était pas lui-même une expérience située socialement, politiquement et culturellement. Ce facteur normatif est tellement ancré dans l’universalisme français qu’il se rend aveugle à d’autres situations et configurations dans lesquelles se trouvent les autres groupes sociaux et culturels du pays et participent pourtant de sa réalité tangible.

Or, comme le rappelle l’universitaire Maboula Soumahoro à propos des questions raciales2, c’est à partir du moment où les populations soumises à la traite et à l’esclavage ont été déplacées hors de leurs espaces d’entente et sur un même territoire qu’elles ont été constituées comme un groupe uniforme au début de l’ « ère moderne », celle des classifications. Elles ne se percevaient donc pas comme « Noires » ni même comme « Africaines » avant d’être instituées sous un régime d’interprétation dépendant d’un marqueur de différenciation. Ce marqueur crée tout autant la figure du « Blanc », même si celle-ci croit ne pas avoir à l’énoncer. Comme nous l’avons vu précédemment, c’est ainsi le stigma qui crée la différenciation – de la même manière que nous avons vu comment le trauma permet au sujet l’élaboration de stratégies alternatives de relation au monde.

Le système universaliste français enjoint donc toustes les individu-e-s à souscrire à ce point de vue édicté comme la norme d’usage et de bienséance (laquelle a également une histoire, politique et académique, si l’on considère à quel point l’Académie Française se présente comme gardienne de la langue), même si cette souscription implique de rendre invisible des vécus et des expériences particulières bien que résultant d’un même contexte systémique violent. Cette violence-là se traduit de manière autant physique, matérielle que symbolique et morale. La glorification de la masculinité conquérante trouve ses limites dans une histoire sans cesse réactualisée de confiscation des paroles assignées au champ minoritaire. On n’en trouve pas un exemple aussi littéral que dans les massacres ou internements de minorités ethniques partout dans le monde encore actuellement (tribus d’Amazonie, Ouïghours en Chine, Kurdes en Turquie et au Moyen-Orient, Arméniens dans le Haut-Karabakh, …) et les liens entre moyens logistiques et militaires avec l’économie géopolitique capitaliste.

De la même manière qu’Alice Coffin questionne le mépris du « je » dans le champ du savoir lorsque celui-ci revendique un point de vue jugé « communautaire » – c’est-à-dire sortant du consensus établi par les lieux du pouvoir, lesquels distribuent la légitimité de l’usage de la violence physique, matérielle et symbolique – je pense qu’il faut établir la question de la minorité sociale et culturelle à sa juste place. Comme l’a précisé Maboula Soumahoro, ces minorités (raciales notamment) ont commencé à exister en tant que telles suite à une histoire du déplacement. C’est notamment parce que des groupes de population ethniques différents (et établissant leur propre différenciation sur la base de leur appartenance à telle ou telle de ces ethnies) ont été déplacés et regroupés sur un même territoire (par exemple, au Portugal puis aux Amériques) que leur différenciation s’est établie sur la base d’indices visibles assimilables. Aussi, la couleur de peau naît comme un principe discriminant et oppositionnel, de la même manière que l’attribution génitale dut acquérir cette fonction de diviseur politique et symbolique, en particulier à l’ère industrielle avec la redistribution de l’espace social. Il y a ainsi une assignation raciale, minoritaire socialement, de la même manière que dans le vocabulaire trans* on parle d’assignation de genre à la naissance sur la base d’un indice visible qui est l’appareil génital. Un groupe n’est pas minoritaire par essence, comme donné, mais bien assigné à un statut social mineur, en but du partage et de la distribution des espaces de pouvoir de façon discriminée. Cette discrimination est stimulée par les dynamiques de représentation, de cooptation et de transmission au sein de la hiérarchie établie entre les espaces de pouvoir.

D’un processus extérieur aux groupes minorisés, on débouche à une injonction à se conformer aux espaces de droit particuliers (qu’ils soient exprimés ou établis de fait) alloués aux populations concernées et à un long et laborieux travail de conformation et d’apprentissage dans le but d’assurer sa propre survie physique et morale. Cette pression à la conformation a pu déboucher sur ce qu’on a appelé, par exemple en ce qui concerne la genèse douloureuse de la culture Africaine-Américaine, les ressorts de la double conscience ou du signifying3. Ceux-ci décrivent la performation presque obligatoire des stéréotypes assignés aux groupes minorisés par les individu-e-s elleux-mêmes (se conformer à l’image qu’on se fait de nous pour éviter la sanction physique et psychologique) tout en participant d’une entente souterraine et tacite avec les autres qui partagent le même sort. La communauté d’expérience sert ici avant tout à survivre moralement, en conservant tant bien que mal la vitalité d’un imaginaire commun, préservé du regard des forces d’oppression (propriétaire, police, population blanche de manière générale). « Je joue ce rôle, mais toi et moi savons qu’il en est autrement dans notre sentiment, dans le vécu de notre chair et dans notre âme. » Il ne faut pas oublier que dans toutes les dynamiques d’oppression, même les moins visibles, il y a un corps châtié quelque part, qui forme une localité particulière et fonde le rapport singulier de la personne au monde qui l’entoure. (La difficulté des jeunes générations descendant des diverses immigrations en France comme ailleurs peut également se comprendre par le fait de ne pas avoir connu « l’avant », la période de déplacement et l’effort d’adaptation. Nées sur le territoire avec la nationalité correspondante, il peut être difficile de comprendre à quoi et pourquoi on les presse de s’adapter à ce qu’elles sont déjà censées être.)

Aussi, la critique d’Alice Coffin porte bien également sur l’aveuglement, dans la culture politique et médiatique française, face à la performativité des rapports de pouvoir. À se réfugier derrière la norme de la « neutralité », on s’assure de n’être pas exposé-e à notre possible propre divergence en tant que corps qui pourrait se voir assigné à une minorité (ne serait-ce que dans le soupçon d’homosexualité). De même, toute appartenance minoritaire doit être systématiquement signalée pour peu qu’on mette en avant le travail des personnes y appartenant, dans le but illusoire de conserver l’ « universalité » à une certaine catégorie de créations artistiques ou littéraires jugées conformes, en elles-mêmes ou vis-à-vis de leurs auteurs-rices.4 Longtemps, j’avais analysé la spécificité française sous l’angle du rapport au corps et à la langue française. J’avais été marquée du commentaire sur les acteurs-rices français-es dont on disait que le corps était absent, mis de côté, concentrant tout l’effort dans la tête et dans une performance cérébrale du dire. Et c’est vrai que la langue française en elle-même est une des langues à la prosodie la plus pauvre, c’est-à-dire une langue linéaire avec peu d’accents toniques. Le corps, l’expression corporelle et gestuelle, est donc très peu sollicitée (mises à part les singularités régionales). À force de manquer à l’habitude de mobiliser le corps dans l’expression de la parole, ce manque finit par devenir une gêne, une pudeur, un tabou face à ce qui serait perçu comme de l’excentricité, une peur « que ça dépasse », pour reprendre les mots d’Alice Coffin. C’est la peur d’autres manières d’impliquer le corps qui fonde aussi la terreur et le repli panique sur soi du système de représentation dans la culture française. Un ami me disait aussi souvent : « La France n’est pas un pays de musique. C’est un pays de littérature, un pays de philosophie, mais pas un pays de musique. » Et toutes ces dimensions sont extrêmement liées.

Et ça questionne ma propre position militante dans mon travail, théorique comme pratique. Dans quelle mesure met-on de côté sa propre subjectivité dans sa relation à la souffrance des autres ? Dans quelle mesure reconnaître cette souffrance, c’est accéder à la demande de l’autre, et dans quelle mesure serait-ce une mauvaise chose ? Qu’est-ce que nous avons peur que l’autre prenne en y accédant ? L’idée d’un espace intermédiaire délibérément ouvert entre soi et l’autre n’implique-t-elle pas au contraire que nous choisissions de façon consentie et en pleine conscience ce que nous y mettons en commun ? Penser que l’autre veut quelque chose de nous suppose que nous constituions un espace de pouvoir, que l’autre puisse faire quelque chose sur nous. Or c’est l’espace entre soi et l’autre qui compte et qui est un espace de possible.

Encore une fois, la critique d’Alice Coffin et de bien d’autres, qu’elle soit féministe, anti-raciste ou d’un autre tenant, voire cumulés, concerne les systèmes (d’abus) de pouvoir, d’influence et de domination au-delà des simples individu-e-s qui les soutiennent. C’est un appel à ce que le politique prenne en charge le « changement radical de société » qui opère déjà – et permet au personnage de la juge américaine Ruth Bader-Ginsburg (Felicity Jones) dans le biopic Une femme d’exception (Mimi Leder, 2018) d’articuler son discours juridique pour que le droit accompagne ce changement qui a déjà cours. Comment articuler à notre tour la défense des groupes assignés à la minorité sociale – lorsque ceux-ci ne promeuvent pas la violence ni la haine contre d’autres groupes minoritaires – et la rendre audible et visible au-delà de nos propres communautés, et ce tout en revendiquant tout aussi bien « la légitimité de l’universel », comme l’explique Marie de Cenival, initiatrice du collectif La Barbe, à Alice Coffin.5 L’absence de relais médiatiques rend difficile de s’organiser et de compter dans le champ politique pour faire évoluer les structures sociales, lesquelles sont particulièrement mises à mal par la doctrine néo-libérale, y compris dans leurs relations avec les écosystèmes naturels. En France, affirmer la communauté d’expérience, c’est pointer du doigt l’imperméabilité des normes qui fondent le système majoritaire face à des expériences divergeant du récit national.

Or, la crise que connaît la société française aujourd’hui vient justement de la tension entre la pensée articulée par les groupes minorisés socialement par rapport à leur propre expérience, et ce système majoritaire qui évalue dans leur manque de moyens une apparence adolescente, négligeable et dévalorisée alors même que cette pensée est au plus près de l’expérience. Ces sources de première main sont constamment discréditées. Ce sont les modalités formelles d’expression d’une pensée, aussi articulée soit-elle, qui priment, toute la certification sociale d’un entre-soi qui ne se dit pas, en vertu notamment du prestige littéraire et philosophique français dont l’histoire a été construite en grande partie sous des monarchies et imprégnée d’un imaginaire vantant les qualités du héros masculin blanc et civilisé – par rapport aux populations pauvres sur place comme dans les territoires (anciennement) colonisés. C’est sans rappeler que les fondements de cette civilité s’appuyaient justement sur ceux de l’aristocratie et de la bourgeoisie, seuls prétendant au titre de citoyenneté.

Ma situation dans les espaces queer n’est pas négligeable, d’autant plus qu’elle serait censée devoir m’obliger à me conformer moi-même au champ de la « neutralité », de montrer patte blanche. C’est de cela aussi que je voulais parler, de comment articuler une pensée générale à l’intégrité de sa propre situation à la fois morale et épistémologique.

1In Alice Coffin, Le génie lesbien, ed. Grasset, 2020, p. 50.

2In Maboula Soumahoro, Le Triangle et l’Hexagone – Réflexions sur une identité noire, ed. La Découverte, 2020.

3Lire Paul Gilroy, L’Atlantique noir : Modernité et double conscience, ed. Amsterdam, 2003.

4Ecouter à ce sujet l’épisode 3 du podcast Kiffe ta race, « La geisha, la panthère, la gazelle ».

5In Alice Coffin, op. cit., p. 119.

Crédit photo: « Papillon », La Fille Renne ❤

Identité et identification

Texte en pdf :

« For those of us

who were imprinted with fear

like a faint line in the centre of our foreheads

learning to be afraid with our mother’s milk

for by this weapon

this illusion of some safety to be found

the heavy-footed hoped to silence us

For all of us

this instant and this triumph

We were never meant to survive. »

Audre Lorde, « A Litany for Survival », 1997

« Dafna avait l’air d’ignorer qu’en Occident nous baignons tous dans la conviction que chaque humain quitte l’enfance tôt ou tard, et refoule alors sa première identité. Ce passage obligatoire […] implique une différence radicale entre les âges et postule le caractère pathologique des simplets qui ne parviennent pas à adopter une conduite estampillée adulte. Que des enfants revendiquent leur spécificité, leur droit à la différence, n’est légitime à nos yeux que s’ils consentent à mûrir un jour ou l’autre ! »

Alexandre Jardin, Les Coloriés, ed. Gallimard, 2004, pp. 85-86.

Notre identité est intimement liée à la manière dont nous apprenons à réagir aux autres ainsi qu’à la façon dont les autres elleux-mêmes réagissent à notre présence, notre apparence, notre comportement, la façon dont iels nous informent de notre impact sur ce qui nous entoure et dès lors, nous identifient comme quelque chose qui les aura poussé-e-s à se prononcer sur la personne que nous étions censée être aux yeux du monde. C’est une boucle. Il n’y a pas de limite franche entre un ensemble constant constituant notre identité et la nécessité de s’assurer d’être identifié-e de façon constante et familière. Notre identité est liée à qui nous sommes pour les autres et à qui nous apprenons à être pour nous-même comme un objet d’observation et de constatation. Nous devons à chaque instant, à travers le flux de nos pensées, rétablir le caractère intersubjectif et performatif de ce qui nous permet d’être identifié-e et de ce qui en assure la stabilité, notamment face à la possibilité d’un refus, d’une agression, de l’étrangeté.

Dans son poème Good Mirrors Are Not Cheap (« Les bons miroirs ne sont pas donnés »), Audre Lorde ose affirmer que « le miroir ment » et nous renseigne sur le sentiment d’altérité. L’image que nous voyons dans le miroir est censée nous être intime. Dès lors, comment faire lorsque d’autres que nous semblent s’arroger la préséance sur notre corps à notre place ?

Si la citation du roman d’Alexandre Jardin en en-tête concerne la rupture fondamentale qui est opérée dans nos sociétés occidentales par rapport à l’enfance (que l’on pourrait rapprocher de celle concernant la vieillesse), elle pointe aussi la question délicate de la conduite sociale. Nous citons souvent l’idée du neurobiologiste chilien Francisco Varela1 à propos de la vision néo-darwiniste de l’évolution des espèces, selon laquelle ce modèle dominant fonctionnerait sur le mode prescriptif et qu’il serait avisé de changer de paradigme. Au lieu de se contenter d’établir des limites vis-à-vis des quelques choses interdites, car menaçant l’intégrité physique et/ou psychique des individu-e-s et leurs capacités de reproduction (dans l’optique du maintien dans le temps de l’espèce) – ce qui laisserait libre cours à chaque individualité ou groupe pour développer son propre équilibre sans nuire à celui des autres (c’est là le modèle proscriptif promu par Francisco Varela) – , le modèle prescriptif impose une norme d’adaptation, à laquelle on attend que les individu-e-s s’adaptent de façon optimale.

Cette vision trouve sa réplique dans le darwinisme social, selon lequel seul-e-s les plus adapté-e-s au système en place survivent, étant entendu qu’il serait alors « naturel » que les plus faibles disparaissent, niant toute possibilité de coopération et de soutien ; en somme, de répartition des ressources à travers une diversité d’espaces intermédiaires où chacun-e pourrait développer ses propres modalités d’existence. Là où chacun-e devrait pouvoir s’interroger sur son identité dans une totale liberté (dans la mesure où cette liberté est mutuelle et respecte celle des autres) et élaborer les moyens de son auto-détermination, les rapports de domination et la confiscation des espaces de pouvoir sous la doctrine « impérialiste, suprémaciste blanche, capitaliste et patriarcale », selon l’expression de bell hooks, de surcroît néo-libérale, rigidifient les mécanismes d’identification, plongeant les personnes en prise avec ceux-ci dans la menace de l’aliénation. Nous ne sommes pas égaux-les devant le capital et il n’y a pas que le genre qui se performe (Judith Butler, 1990), il y a aussi le discours de classe qui produit ses propres justifications – y compris pour nier ses fondements sexistes, racistes et validistes et les subjectivités qu’ils écartent.

Dans un article récent sur Mediapart2, le philosophe Paul B. Preciado interroge lui aussi la question des limites de l’identification, surtout lorsque celle-ci se trouve à l’intersection de plusieurs injonctions s’excluant mutuellement. S’appuyant sur le roman de l’écrivaine Fatima Daas, lesbienne et musulmane, il y explique la contradiction intense qui anime celle-ci dans son sentiment de ne pouvoir être l’une et l’autre en même temps. Être lesbienne la forcerait à s’identifier au modèle de la femme blanche tendant à atteindre à un statut social équivalent à celui de la femme hétérosexuelle – c’est-à-dire que sa singularité s’effacerait au sein, notamment, du modèle universaliste, laïc et républicain d’un certain féminisme français. « Il n’est pas possible de s’affirmer en tant que musulmane lesbienne sans nier l’un des deux termes : une bonne lesbienne est une lesbienne qui renie l’islam. Une lesbienne doit être une bonne femme de la nation. La bonne lesbienne se bat avant tout pour la liberté républicaine de « toutes les femmes », et se dresse donc, avec une force égale, contre « l’esclavage«  des femmes dans la prostitution et contre la « soumission » des femmes musulmanes – elle n’a même pas besoin de leur parler car elle considère qu’elles manquent de souveraineté puisqu’elles sont sous l’influence de la prostitution ou de l’islam », développe Paul B. Preciado – critique de l’assimilation d’une partie de la communauté gay et lesbienne au modèle capitaliste dominant qu’on retrouve aussi développée par le sociologue Sam Bourcier.3

De même, pas question, en tant que musulmane, de s’affirmer lesbienne. Poursuivant l’analyse intersectionnelle de la juriste américaine Kimberlé Crenshaw, Preciado propose l’idée d’une disjonction politique pour exprimer « la condition normative qui rend inhabitables et non énonciables certaines zones d’intersection des différents vecteurs d’oppression. » Celle-ci comprend les dynamiques exclusives liées au genre et à la sexualité, aux critères raciaux et à la classe sociale autant qu’à celles liées à la validité physique et/ou psychique avec leurs propres critères d’exclusion de la participation politique et sociale. Le philosophe cite aussi autant Audre Lorde, l’écrivain Édouard Louis que l’artiste chilienne trans peignant de la bouche et du pied Lorenza Böttner ou l’activiste féministe chicana Chela Sandóval, où les thématiques de déclassement côtoient celles liées à la maladie, au corps comme objet de lutte et à la langue. Preciado identifie ainsi « trois figures disjonctives qui font exploser le féminisme républicain blanc hétéronormatif : la position trans ou non binaire, celle des travailleuses du sexe, et celle de femmes racisées (marquées comme migrantes, parfois comme musulmanes, d’autres fois simplement comme « esclaves«  ou « sauvages« ). » Selon l’activiste queer et autiste Delphine Montera, on pourrait même questionner leur intersection avec un facteur d’oppression tel que le validisme (penser l’organisation de la société seulement autour d’un seul standard qui serait celui des personnes valides physiquement et/ou psychiquement). En effet, celui-ci « ne concerne pas seulement les handicaps visibles/invisibles et les personnes ayant des maladies, […] il n’y a pas d’entité essentialiste du validisme » mais il « évolue en fonction des situations politiques et des autres oppressions »4, comme on a pu le voir avec la crise sanitaire, politique et sociale du Covid-19 et la baisse des budgets de santé. Identifier ces enjeux, c’est cerner les dynamiques de pouvoir et d’exclusion qui les composent.5

On pourrait également, comme le fait le comédien Océan dans son podcast La politique des putes (2019), interroger les multiples définitions du travail du sexe, comme force de travail incluant les diverses formes de sexualisation du corps (même sans acte sexuel au sens strict du terme) et comme contrat (dans la perspective féministe marxiste et sur le modèle du syndicat), lequel peut autant inclure les échanges sexuels contre de l’argent que le sexe asservi au capitalisme hétéropatriarcal dans des contextes sociaux « ordinaires » (jusqu’à la structure conjugale conventionnelle, où le sexe peut constituer la « monnaie d’échange » à la protection et à l’équilibre marital et familial). Ces derniers ont trait, justement, aux diverses injonctions faites aux femmes et aux corps divergents à suivre des conduites sociales prescrites par les structures de pouvoirs les érigeant comme seules admises. C’est pourquoi il n’est pas rare de trouver chez les travailleuses-rs du sexe des personnes très politisées (contrairement aux stéréotypes de la victime ou de la « garce »), de tendance marxiste ou anarchiste (naviguez par exemple sur les réseaux sociaux de Par et Pour, tenus par l’association Polyvalence, ou intéressez-vous au travail de Bertoulle Beaurebec, afro-féministe et travailleuse du sexe).

Dans une lignée similaire, on trouve chez l’essayiste italo-américaine Sylvia Federici des idées communes avec les préoccupations de Francisco Varela sur les structures proscriptives. En effet, selon elle, « une perspective féministe est importante, précisément parce qu’elle se concentre sur ce qui est fondamental s’agissant des objectifs ou des conditions de la lutte : le changement qui s’opère, partout dans le monde, au niveau de la reproduction de la vie quotidienne, c’est-à-dire la reproduction sociale comme la reproduction domestique. La reproduction de la vie inclut en effet le travail domestique, la sexualité, l’affectivité, mais aussi l’environnement, la nature, la campagne, l’agriculture, la culture, l’éducation… Le féminisme touche à une gamme très variée de thématiques qui sont liées à la reproduction de la vie et se trouvent au fondement de tout changement social, à la racine de toute lutte. Il ne saurait y avoir de lutte victorieuse sans un changement de ces aspects les plus existentiels de la vie. »6

Il s’agit donc bien ici de garantir la circulation entre les espaces d’élaboration des identités et d’y identifier les valeurs « les plus existentielles de la vie » ; en d’autre terme, déterminer les seuils et points-limites en-deçà desquels l’intégrité physique et/ou psychique des individu-e-s est menacée, puis à partir desquels garantir la possibilité pour chacun-e de trouver et d’élaborer son propre équilibre dans le respect de celui des autres. Selon Sylvia Federici, les mouvements féministes (notamment d’Amérique Latine) « ne [prennent] pas seulement en compte un secteur de la vie des travailleur-ses [dont le « travail domestique »], un secteur du prolétariat dans le capitalisme, mais bien la totalité des individu-e-s. » La démarche anticapitaliste des féminismes auraient permis « de pointer les inégalités, parce que le capitalisme repose sur une production de rareté (et non de prospérité), et sur la production d’inégalités. Le capitalisme produit des marchandises, mais aussi des divisions et des hiérarchies comme conditions primordiales de son existence. » Il s’agit aussi pour elle de faire se rencontrer des personnes et groupes de personnes qui ont des choses en commun mais restent séparées les unes des autres, ce qui rejoint la prise de conscience des dynamiques intersectionnelles, dans un monde capitaliste menacé par une « insurrection continue » et répondant par la violence.

L’essayiste développe l’idée du corps comme territoire, qui renvoie à sa dimension collective. « Qui gouverne qui ? », demande-t-elle. En particulier, qui gouverne le corps des femmes et les corps subalternes ? Comment dépasser une situation d’isolement et de subornation pour proposer un rapport au corps ouvert, désireux de se connecter à ce qui l’entoure, y compris en questionnant ce qui nous fait mal et permet de faire émerger les limites du corps (son idée d’enclosure du corps induite par l’isolement, ici dans une critique du néolibéralisme et d’un militantisme « triste », rejoint les réflexions du psychanalyste anglais Darian Leader sur les dérives du concept lacanien de jouissance dans son traitement contemporain7) ? On retrouve d’ailleurs une autre préoccupation proche de celles de Varela, qui est de penser les corps dans d’autres termes « que les capitalistes et que la science d’aujourd’hui, à savoir un corps machine, un agrégat de cellules dans lequel chaque cellule, chaque gène possède son propre programme, comme si ce corps n’était pas organique. » En somme, autres que des termes de fragmentation, c’est-à-dire de parcellisation, de contrôle.

Le problème du signifiant

Intéressons-nous maintenant à la question des transidentités. Celle-ci souligne de façon brutale la difficulté du système hétéropatriarcal à penser le corps en-dehors des questions de pouvoir. Le corps, en tant qu’objet d’un discours normatif, y apparaît comme la justification (« biologique ») a posteriori des conséquences structurelles et symboliques de la répartition inégalitaire du pouvoir politique en fonction des marqueurs de genre, de race (en tant que facteur social discriminant), de classe ou d’autres critères d’exclusion.

Cette question de ce qu’on exclut est d’ailleurs intéressante si on regarde la définition que le psychanalyste Jacques Lacan donne de l’identification dans le séminaire qu’il dédie à cette question durant l’année 1961-1962. Si l’on prendra une distance critique avec une partie des thèses lacaniennes, on peut néanmoins interroger cette idée qu’une identification, c’est une identification du sujet au signifiant, ce qui veut dire que nous nous identifions à une projection qui est déjà un objet en soi. Le signifiant, comme support linguistique de l’identité (ce par quoi un mot, par exemple, désigne une chose), est en soi la chose à laquelle nous nous relions lorsque nous établissons un discours. Le champ du discours travaille sur ses propres éléments, ses propres ressources, ses mémoires, son domaine imaginaire, son rythme et ses liens logiques.

D’une certaine façon, le signifiant ne peut pas être ce qu’il signifie. Il ne fait qu’indiquer un objet d’expérience à laquelle on se réfère à l’aide d’un lexique commun établi par convention. Vient alors cette formulation étrange de la part du psychanalyste :

« Si je pose qu’il n’y a pas de tautologie possible [c’est-à-dire de A = A, qu’on pourrait traduire par signifiant = signifiant, en-dehors de son rapport à l’objet signifié], ce n’est pas en tant que A premier et A second veulent dire des choses différentes que je dis qu’il n’y a pas de tautologie : c’est dans le statut même de A qu’il y a inscrit que A ne peut pas être A. Et c’est là-dessus que j’ai terminé mon discours de la dernière fois en vous désignant dans [Ferdinand de Saussure, linguiste suisse] le point où il est dit que A comme signifiant ne peut d’aucune façon se définir, sinon que comme n’étant pas ce que sont les autres signifiants. De ce fait : qu’il ne puisse se définir que de ceci justement de n’être pas tous les autres signifiants, de ceci dépend cette dimension qu’il est également vrai qu’il ne saurait être lui-même. »8

D’une certaine façon, on pourrait dire qu’on peut penser à un signifiant, par exemple le mot « chien », de façon complètement détachée de la réalité qu’il est censé signifier, de l’état de tension vers la chose qu’il est censé déterminer. Dès lors, qu’est-ce qui détermine, en lui-même, l’objet dont nous usons pour décrire notre réalité vécue et celle partagée et évoquée avec les autres ? Le discours, d’une certaine manière, nous éloigne parfois plus des réalités auxquelles il est censé nous permettre de toucher qu’autre chose. Dans notre étude des conséquences du paradoxe sensorimoteur9, nous avons déjà évoqué la question du paradoxe du mot « moi », qui dès lors qu’il est prononcé nous écarte de la réalité sensible qu’il vise, puisqu’il tend à impliquer le regard de quelqu’un-e d’autre que nous cherchons à convaincre de celle-ci. Nous parlons pour et à destination de quelqu’un-e d’autre, voire à soi-même comme un-e autre. Nous disons « moi » en empruntant la parole et le langage, qui sont des biais de convention. Nous cherchons à établir la convention autour de l’existence possible d’un moi digne de considération. De cette sorte, nous pouvons dire que dans l’identification, « le sujet « pur parlant » comme tel – c’est la naissance même de notre expérience – est amené, du fait de rester « pur parlant » à vous prendre toujours pour un autre. »10 C’est la distance irréconciliable entre le mot et la chose, puisque la parole, le discours ou tout autre langage n’est pas seulement un moyen mais une expérience à part entière qui mobilise notre engagement, notamment sensorimoteur et imaginaire. Nous nous mettons bien en relation avec quelque chose, mais quelque chose qui s’appuie sur des fondements relationnels et mémoriels, dont nous engageons notre expérience de corps – d’où que Sam Bourcier déclarait dans un entretien que Michel Foucault (nous y viendrons plus tard) avait « manqué le corps » dans ses élaborations constructivistes.11 Selon l’idée des modalités de perception de Francisco Varela, nous recréons autant de mondes que nous en percevons, et il en va de même de notre rapport au langage, au symbolique et à l’imaginaire.

A partir de là, nous ne nous aventurerons pas dans les méandres lacaniens, du fait de leur ancrage dans un système de pensée partial pour ce qui est des identités et du genre. Celui-ci ne parvient en effet pas à sortir des dimensions hétéropatriarcales des structures du discours dans lequel sa réflexion s’inscrit. Toutefois, à ce stade-là, sa définition tient un bout du problème.

L’avantage de fonder sa réflexion sur le paradigme du paradoxe sensorimoteur (le rôle de nos mains durant notre évolution en tant qu’espèce, c’est-à-dire la relation privilégiée que nous avons avec elles, l’ouverture d’une scène de mes mains comme situation de suspension du système sensorimoteur et de « retard des réponses » – condition d’Edelman, du nom du biologiste Gerald M. Edelman), c’est de ne pas anticiper l’intervention du langage et de ses structures d’interprétation. Le soi comme un autre apparaît dans une situation dont les propriétés sont pleinement inscrites dans le sensorimoteur, à la fois comme suspension et comme relation imaginaire à moi-même comme un objet qui forme une altérité et que par ailleurs, je peux contrôler à distance. Aussi, s’ils sont ancrés dans le corps, les fondements de ce paradigme n’ont a priori pas de genre, pas de couleur, pas de classe sociale ni de privilège psychologique et/ou physique. Il s’agit d’une situation antérieure qui forme les conditions de possibilité de l’élaboration de multiples systèmes d’interprétation, c’est-à-dire d’établissement d’analogies, leurs combinaisons et leurs fixations au sein de systèmes de règles et symboliques. Néanmoins, il reste toujours dominé par une expérience de corps, qui est la condition sine qua non de toutes les autres expériences.

Ces divers systèmes possibles sont donc à chaque fois situés, pour reprendre le terme de la philosophe américaine Donna Haraway, et ancrés dans une dimension émotionnelle et affective – nous faisons ici référence aux travaux d’Ellen Dissanayake dans le champ neuroesthétique et évolutionnaire.

Identifier le genre

Le corps tombe alors à son tour et a posteriori (nous disposons avec la théorie du paradoxe sensorimoteur d’une généalogie théoriquement possible de l’évolution de notre système cognitif, liée aux processus de mémoire et à la sensorimotricité) sous le coup d’un système d’interprétation. Celui-ci s’appuie sur un ensemble de critères plus ou moins fixes donnés à l’identification et ses indices (corporels mais aussi vestimentaires, comportementaux, …). Ces indices font bien office de signifiant et nous allons nous assurer de leur conformité d’avec les références normées que nous partageons avec les autres. Ces ensembles de référence forment eux-mêmes des entités synthétiques distinctes – notamment, les catégories exclusives « homme » ou « femme », « masculin » ou « féminin », mais aussi encore une fois, des catégories raciales et sociales, de validité et autres qui viennent s’y croiser. Bon nombre de ces catégories sont l’héritage d’une évolution de nos sociétés occidentales depuis le XVIIIe siècle puis l’ère industrielle, laquelle recomposa les dynamiques de répartition du travail (y compris « domestique ») et sociale.

On peut dès lors supposer, en effet, que la définition de Jacques Lacan prend sens lorsque nous nous demandons ce que vise une affirmation telle que « c’est un homme » ou « c’est une femme », puisque vérifier la conformité de la personne avec le genre qu’on lui suppose induit une incertitude dans le fait même de l’affirmer. A priori, avant d’être déterminé par un acte de langage, un corps s’appréhende par l’expérience. Cela implique aussi que les comportements qui font l’usage dans un contexte social et culturel donné puissent être pris pour norme, naturalisés comme étant « l’ordre des choses ». Nous nous formons, en tant qu’identité, à partir d’une expérience d’un ensemble de conduites dont la cohérence tient aux structures sous-jacentes de pouvoir qui organisent la société, et que l’enfant apprend notamment à comprendre ou à imiter. L’idée que nous avons développée ailleurs d’une méta-herméneutique signifie que tous les indices par lesquels un corps se manifeste vont entrer sous le coup d’un régime d’interprétation et d’un monde de sens orienté culturellement et socialement, et c’est cet ancrage qui régule la surveillance infligée à soi-même quant à sa propre conformité aux normes. Cela explique en partie la difficulté de bon nombre de personnes à prendre du recul avec ces habitudes d’identification, à moins d’être projetées hors du statut social qui permettait leur cohérence, les forçant à adopter un point de vue subalterne. Nous nous impliquons dans la détermination que nous faisons des corps qui nous entourent en les identifiant à partir des indices visibles par lesquels ils se présentent à nous. Il s’agit de vérifier si l’assomption que nous en tirons est bien conforme à notre expérience de la réalité, autant qu’on espère rétablir un rapport à cette réalité qui nous autorise une certaine mesure de contrôle, mais aussi une certaine liberté d’action sous condition. Identifier les corps, c’est identifier ceux avec lesquels on peut interagir librement ou non – de la même manière qu’on apprend dès l’enfance quels sont les objets que l’on a le droit de toucher et de prendre ou non. Notamment, on tente de réaffirmer son rapport au genre en tant que système d’appartenance et d’identification, de garantir aux autres que l’on s’associe et fait bien partie de ce système d’interprétation et d’entente sociale, dont on espère tirer une liberté d’agir, contre la privation (système punitif) dont s’ensuivrait leur transgression. Nous émettons le désir de participer d’un même monde de sens qui saurait nous inclure, quitte à nous y conformer plus que de raison, attendant d’y retrouver une garantie affective autant qu’existentielle. A travers cette tentative, il y a la manifestation d’un apprentissage traumatique de la soumission et de ses dommages sur nos corps (au sens où le trauma est la réponse à une situation de contact sensoriel et émotionnel dont nous sommes l’objet).

Ainsi, le processus d’identification selon de tels critères justifie son efficacité relative – « les choses sont bien telles qu’on les dit parce que je dois avoir raison pour maintenir ma position d’équilibre » – par son adhérence d’avec les processus politiques qui actent la répartition des espaces de pouvoir. Le constat féministe que « L’intime est politique » vient bien du fait que l’assomption faite sur les corps pour ce qui est de leur genre supposé participe d’une exclusion du pouvoir dans sa dimension autant individuelle que collective. L’identification est efficace si elle répond aux attentes de l’entité morale qui la réclame (ici majoritairement fondée sur le modèle patriarcal, blanc, hétérosexuel et cisgenre, issu des milieux aisés), c’est-à-dire que nous identifions toujours face à l’absence de protection. Identifier embarque avec nous un monde de sens qui fait office de communauté, qu’elle soit choisie ou non – et c’est bien la question du choix conscient et consenti qui est posée ici.

Selon les termes du philosophe post-structuraliste Michel Foucault, on pourrait ainsi questionner les rapports de tension entre les normes de la sexualité (et par extension du genre) définies par la société bourgeoise, notamment « par ses institutions (mariage, famille) [de façon à ce qu’elles] tendent à passer pour sa vérité de nature »12, et les différentes hétérotopies sociales (comme lieux divergents) qui s’y opposent mais pourraient tendre ou non à s’y intégrer. De fait, ces hétérotopies, qu’elles incluent ou non la question du consentement, du couvent jusqu’aux lieux où les sexualités alternatives trouvent refuge, ont souvent été frappées du sceau de l’utopie ou de la perversion. Parce qu’elles ne sont pas reliées au monde de sens qui trouve sa continuité dans la publicité de la norme, ces hétérotopies se décrivent comme des objets de fantasme. S’il a été si facile pour certain-e-s d’assimiler pendant longtemps l’homosexualité ou les transidentités à des pratiques pédophiles13, de la même manière qu’on associe aujourd’hui l’Islam au terrorisme, c’est parce que sur le plan symbolique, ces espaces imaginaires exclus des représentations et des lectures plurielles se valent et peuvent être pris l’un pour l’autre. On n’identifie rien pour le seul désir d’identifier, puisque l’acte d’identifier résulte déjà d’un processus d’apprentissage, lié notamment à l’apprentissage précoce et relationnel de la langue et des règles d’interprétation de l’action qu’elle véhicule (c’est l’aspect méta-herméneutique du langage). Un objet isolé est un objet dont on peut a priori se saisir sans en demander l’autorisation et lui faire faire ou dire n’importe quoi sans lui accorder la qualité de sujet. L’absence de sanction dans l’abus éventuel que nous en faisons nous place dans une situation d’anticipation, qui signifie une certaine jouissance de transgression. C’est en veillant à la sanction que le libre arbitre se perd dans un abîme sans mesure, qui fit dire à Hannah Arendt toute la « banalité du mal » des gens ordinaires placés dans des circonstances sans commune mesure. Il s’agit d’abord de répondre à une demande de l’autre de faire – structurellement, d’une autorité parentale – et notre dépendance face à cette demande peut venir court-circuiter le distance de jugement indispensable au retrait du sujet face à ses objets. L’empathie nécessaire à la reconnaissance de la qualité de sujet sensible à l’autre ne peut venir que si l’on abandonne la tentative de le déterminer en tant qu’objet de substitution à notre insécurité face à l’avenir.

De fait, si on m’enjoint à identifier un arbre, l’injonction à répondre à cette demande précédera la validité de mon effort, qui aurait pu être initié de façon autonome. Mais mon acte ici est lié à la demande de l’autre. De même, on l’a vu, la stabilité du système d’identification des corps a d’abord pour objet la stabilité du système moral qui sert de justification à une distribution arbitraire des espaces de pouvoir selon le genre, la race, la classe et les autres critères. Identifier l’autre, c’est identifier sa place et la mienne au sein d’un système de répartition des espaces de pouvoir, qui est un pouvoir-faire. Identifier les autres, c’est se donner la licence de ne pas s’exposer soi-même à un déclassement, en tentant de renforcer sa cohésion d’avec un système de pouvoir qui a fait ses preuves. (C’est pourquoi l’on dit souvent que les personnes qui s’identifient comme des hommes cisgenres, notamment blancs, hétérosexuels, de classe sociale suffisamment aisée et valides, « n’ont pas de corps », dans le sens où ils pensent rarement leur corps comme étant un sujet de domination, du fait de leur adhésion d’avec la norme même du pouvoir symbolique dans nos sociétés. On peut en effet dire qu’ils sont le pouvoir tant ils tentent majoritairement d’en épouser la structure. Dans une dimension hégélienne, on pourrait même ajouter que l’effort de se maintenir à une position d’avantage sociale sous condition de domination d’autres groupes sociaux implique nécessairement la négation de leur existence comme sujets auxquels on pourrait s’identifier, mais aussi à sa propre condition de sujet soumis à la perméabilité. Le contraire constituerait une transgression qui pourrait bien renverser le système hiérarchique sur lequel la répartition des espaces de pouvoir s’appuie – c’est le propre des masculinités toxiques de verrouiller la porosité de ces espaces et c’est là aussi la pertinence, par exemple, des études décoloniales de souligner le rôle de l’esclavage et de la colonisation dans l’essor des sociétés capitalistes. L’altérité, comme le souligne l’écrivaine Toni Morrison, signifie aussi le refus d’admettre l’humanité de celleux qu’on domine.14)

De fait, l’identification d’un objet ou d’un être pris comme un objet intervient toujours dans la perspective d’en faire quelque chose. Se déterminer soi-même comme un objet de discours indique du même coup un effort de réappropriation de sa capacité à agir. Il s’agit de savoir si l’on a le droit ou pas de le faire, si la situation de rencontre ne va pas contredire notre capacité à rétablir notre position utopique de sujet qui identifie afin de conserver sa capacité à se saisir des choses en toute liberté (c’est-à-dire à se dédouaner vis-à-vis de l’autorité compétente ou dans le meilleur des cas, à établir les conditions d’un consentement éclairé). Être un corps minoritaire, c’est s’exposer à une répression et à la négation de sa propre légitimité à agir à l’intérieur d’un même monde de sens. C’est peut-être être une hétérotopie, pour reprendre les termes de Michel Foucault, puis un « non-lieu » pour soi-même dès lors qu’on ne peut plus se relier à aucun espace social et symbolique où prendre sens (défaut de sens qui s’exprime, par exemple, dans le concept d’intersectionnalité pour ce qui est de la prise en compte des points aveugles de nos représentations). Plus loin, du point de vue psychanalytique, le désir comporte un élément d’utopie, puisque dans le moment du geste de demande que l’individu-e fait, avant de se poser la question de la censure éventuelle, la spontanéité de cette demande propre peut le, la ou lae déplacer hors du lieu du pouvoir tel qu’il se formule sur le plan symbolique et social. Comme analysé avec Darian Leader autour du terme de la jouissance, c’est la mémoire de la sanction qui place le sujet dans une démarche de transgression qu’iel peut alors soit interrompre, soit poursuivre malgré l’état de tension, de douleur, et même la négation de tout sujet – transgression qui formule l’état de la jouissance.

Si dans ce contexte et comme l’affirme le psychanalyste Fabrice Bourlez, « La démarche analytique interrompt la prise en compte des développements linéaires, des téologies [sic] bien-pensantes pour s’intéresser à la répétition », faisant prévaloir les liens qui « vont des corps au langage par le biais du sexuel »15, il est difficile de réifier le réel de la sexualité. Notre appui sensorimoteur nous permet d’évaluer une nuance : il n’y aurait pas de sexuel, une entité fixe et objectifiée, mais plutôt il y a une sexualisation, en tant que potentialité, du fait même du principe d’énaction (selon Francisco Varela, l’interactivité constante de notre action avec nos modalités de perception) et selon des modalités d’interaction intriquées à la manière dont la réalité que nous percevons s’offre (parce qu’elle semble toujours s’offrir à l’interaction) à nous. De même, s’il y a un réel (terme lacanien par excellence), c’est un réel perçu et investi de tentatives qui dès lors qu’elles passent à un autre objet (la chaîne du signifiant, chaque signifiant équivalent à un autre pour ce qui est de leur mode de rapport – terme qui indique une séparation – arbitraire à la chose), « ratent » en effet quelque chose en rompant la relation initiale. Fabrice Bourlez tente bien cela-dit d’étayer que « le désir n’est pas manque [mais] serait fait de flux, de branchement, de connexions. »16 Le modèle proposé par Gilles Deleuze et Félix Gattari dans L’Anti-Œdipe (1972) d’une invasion du réel et de l’imaginaire par une sexualité « machinique », moléculaire et non-déterminée socialement (ici aussi un « non-lieu »), s’il opère déjà un changement de paradigme, ne rend pas totalement compte du fait que la sexualisation intervient comme fondue dans les modalités générales d’interaction que nous empruntons avec nos environnements d’expérience. Si les limites de L’Anti-Œdipe sont soulignées par le psychanalyste, le corps ne peut se concevoir comme une seule machine à faire jaillir de la jouissance sans le faire tomber sous le coup d’un filtre moral, qu’on se place à son envers (le « réel ») ou pas. Le sensoriel n’est pas un tel événement qu’il dût tomber directement sous le champ du sensuel et de la sexualité. Mais au contraire, la sexualité se « modalise » en fonction des espaces ouverts par nos environnements d’interaction et d’interprétation, sous une contrainte, qu’elle soit ferme ou légère. Le corps n’est sexuel qu’à partir du moment où on le sexualise, c’est-à-dire à partir du moment où on l’associe à une expérience de la sexualité et à la mémoire qui s’y réfère – au sens où cette mémoire est transitive et non figée, de même que l’inconscient n’existe pas comme lieu, comme objet, mais comme potentialité activement refoulée.

Si la remise en cause du modèle œdipien est primordiale pour ouvrir à d’autres voies de formalisation de l’inconscient et à la déconstruction des schémas rigides concernant le genre, le corps ni le discours ne peuvent être l’effet l’un ou de l’autre. On ne rétablit pas « le réel » et son angoisse par rapport aux catégories du discours. Dès lors qu’on s’adresse au « réel », on le quitte, néanmoins il faut bien rétablir une pratique du discours sur soi qui ne s’enferme pas indéfiniment dans un discours sans borne. Il faut bien comprendre que le discours, comme la sexualisation de nos investissement sensibles sont des modalités d’expérience indissociables de celle-ci. Si l’on peut opposer un devenir linéaire à la compulsion de répétition et inspecter leur état de tension par le prisme de la philosophie, avec Friedrich Nietzsche puis Gilles Deleuze, ou de la psychanalyse avec Sigmund Freud puis Jacques Lacan, notamment, cette mise en tension s’effondre à partir du moment où on ne renvoie plus leur élément commun au sexuel mais à la constante modalisation des moyens par lesquels nous interagissons avec nos environnements perçus. Notamment, pour ce qui est de notre expérience et de notre apprentissage dans les sociétés humaines, nos environnements perçus sont tous plus ou moins déterminés par le champ social, politique, moral et symbolique, ne serait-ce que parce que nos modèles d’interaction (tout d’abord les parents qui s’occupent de nous) en voient leur conduite fortement conditionnée, ne serait-ce que par l’emploi des modalités du langage. « Comment prendre part aux processus moléculaires si l’on n’a pas concrètement subi la domination de [l’Homme blanc hétérosexuel] au quotidien ? »17, demande Fabrice Bourlez, en évoquant les critiques féministes et queer du texte de Deleuze et Gattari. La réponse est évidemment du côté des savoirs situés. En attendant, nous nous retrouvons toujours face à des situations où une députée écologiste ouvertement lesbienne, Alice Coffin – qui a participé activement avec sa collègue Raphaëlle Rémy-Leleu de la démission d’un adjoint à la Culture de Paris à l’été 2020 pour son soutien à l’écrivain Gabriel Matzneff, aux activités ouvertement pédocriminelles – peut être mise sous protection policière suite à des menaces de mort et à du cyberharcèlement lesbophobe, et démise de ses fonctions d’enseignement18, tandis notre système politique, économique et judiciaire protège encore largement les auteurs présumés ou avérés de violences sexuelles. Nos modalités d’interaction et d’investissement de nos environnements, tous dynamiques malgré leurs constantes, ne sont pas neutres de leurs champs sociaux, politiques et symboliques, intriquées à l’expérience directe que nous avons des corps qui nous entourent.

Il s’agit donc de légitimer son droit d’agir, en répondant d’avance et de façon compulsive19 à la possible demande qui nous sera faite de nommer ce qu’on voit pour s’assurer de sa conformité et de la nôtre, de sorte à ce que cela plaise à l’autorité qui a la compétence symbolique sur notre domaine d’existence et d’y justifier notre positionnement. D’où vient que Foucault questionne à quel point les « déviances » par rapport à la norme dominante peuvent y être intégrées après transformation sociale ou pas. On pourrait questionner, par exemple, l’angoisse du soupçon d’homosexualité dans l’éducation aux masculinités toxiques comme formant un conflit autour du désir et de sa conformité au modèle dominant. Jacques Lacan dira que « l’angoisse c’est la sensation du désir de l’Autre »20, affect « sans objet » puisque l’on serait soi-même l’objet du désir de l’Autre sans savoir ce que cet objet est au juste ni du coup le posséder. La peur d’être possiblement interprété comme « un homme homosexuel » pour un homme cisgenre indique bien l’ambiguïté du rapport de soumission à l’autre, en tant qu’instance imaginaire et symbolique susceptible de nous sanctionner. (Sauf que Lacan s’empêtre alors encore dans l’idée du phallus comme médium sur le plan symbolique, d’où sa partialité en ce qui concerne le genre.21)

L’altérité est donc bien formulée à partir de sujets de peur, qui est une peur générée moins par l’objet que par le soupçon du danger qui lui serait lié. (Sigmund Freud, fondateur de la psychanalyse à la fin du XIXe siècle, définissait de son côté l’angoisse comme anticipation.22) L’altérité prend la forme de la punition. La transmisogynie, par exemple, est autant liée à la licence à soumettre les femmes qu’à l’angoisse d’une sanction liée au soupçon d’homosexualité. Mais c’est bien la sanction morale et sociale qui confère au pénis, notamment, sa facture de totem symbolique, rendant nécessaire de l’ériger comme symbole d’une virilité hétérosexuelle, et non sa qualité intrinsèque. Le concept du phallus dans la théorie lacanienne héritée des années 50-60 échoue ainsi à rendre la mesure et la valeur d’un sexe féminin qui pourrait autant être une vulve que le pénis d’une personne trans ou non-binaire – lesquels peuvent exister sans aucune perte symbolique, au contraire de ce que suggère une certaine théorie psychanalytique en ce qui concerne le genre et les sexualités. C’est en érigeant un point de vue unique comme norme que ce système hétéropatriarcal, dans l’effort de se maintenir, peut nier d’autres types de subjectivité autonomes. Aussi, le souhait de conformité permet, selon Lexie (du compte Instagram AggressivelyTrans), aux personnes hétérosexuelles et cisgenres de ne pas faire de coming-out, de ne pas avoir à se déclarer comme une spécificité, une singularité, une possible altérité pour d’autres personnes. « De fait, explique-t-elle, les hommes cishétérosexuels sont rarement ceux qui se définissent comme hommes cishétérosexuels. »23 Comme le rappelle aussi justement Océan dans le deuxième épisode de La politique des putes, c’est le stigmate qui crée la figure de la pute. Il cite en cela la chercheuse américaine Gail Pheterson lorsqu’elle affirme que « Les droits de l’ensemble des femmes sont indissolublement liés aux droits des prostituées parce que le stigmate de putain peut s’appliquer à n’importe quelle femme pour disqualifier sa revendication à la légitimité et peut jeter la suspicion sur n’importe quelle femme accusée d’avoir pris une initiative dans le domaine économique et/ou sexuel. »24 L’identification, évidemment, comme outil de contrôle est intimement liée à un outil de police.

Comme il s’agit principalement de répondre à la demande qui nous est faite d’adopter telle ou telle conduite, laquelle favorisera l’autorisation pour nous de faire, la permission d’agir, la demande de l’autre participe donc d’une cartographie du monde que l’on est susceptible d’investir en tant qu’agent-e. La forme de la demande ou de l’invitation nous dirige vers des modalités d’interaction privilégiées parmi d’autres possibles. Le monde de représentation au sein duquel nous nous formulons notre action et sa valeur est donc intimement formé par l’expérience de la demande des autres. Le système d’identification justifie ainsi la demande qui nous est faite d’agir d’une certaine manière et pas d’une autre, s’agissant d’un système prescriptif qui prend valeur de loi générale, en jouant sur sa domination symbolique et affective qui crée ses propres conditions de réalisation. De fait, une identité = un objet aux contours et au comportement bien délimités qui formule nos modalités d’interaction avec lui, de façon à ce que nous soyons confortable avec son usage. Quand on nous apprend ce qu’est un arbre, on nous indique aussi comment l’on est censé-e se conduire en présence d’un tel objet et l’usage que cet objet a pour nous en fonction de sa nature supposée. La dénomination, le signifiant essentialise en partie ses objectifications sur le plan imaginaire et symbolique. Il incorpore notre expérience et notre mémoire intime de contact et d’interaction avec les objets qui nous entourent ainsi que leur charge affective. La relation tactile et précoce à l’objet participe de notre capacité à nous projeter vers des espaces intermédiaires25 où s’identifier signifie aussi élaborer progressivement son identité, dans l’intimité de chacune de nos interactions avec nos environnements sociaux, symboliques et naturels.

Identifier n’est donc pas neutre. Comme acte de discours, il s’inscrit dans une expérience complexe et dans un contexte relationnel et intersubjectif. Bien identifier, c’est d’abord être encouragé-e à le faire. Lorsqu’on encourage un-e jeune enfant à mettre les carrés, les cercles et les triangles dans les bons trous, on lui indique une conduite dans laquelle la réponse à la demande de l’autre est aussi importante que la réussite en elle-même, comme le montrait déjà le psychiatre René A. Spitz.26 Le travail d’Ellen Dissanayake insiste aussi régulièrement sur l’importance des premières interactions entre l’enfant et sa mère, autres parents ou substituts dans l’apprentissage, la formalisation et l’esthétisation, la colorisation expressive donnée aux réponses et l’invitation interactive au jeu.27 Cela place évidemment le discours au-delà de la seule question du langage comme sémantique mais comme modalités d’interaction et d’interprétation, sur le plan sensorimoteur, émotionnel mais aussi du travail de réorganisation et de réaffectation du trauma.

Aussi, logiquement, reconnaître le genre, la couleur de peau, la classe sociale ou la conformité physique et/ou psychologique de quelqu’un-e à travers le prisme du discours, c’est d’abord le faire à l’intention de quelqu’un-e d’autre qui nous enjoint à établir cette identification comme validité à l’usage d’un discours conforme, c’est-à-dire par la récompense d’une relation fluide à l’autre, qui n’interrompt pas ma licence à l’action. En tant qu’acte de discours, de la même manière que solliciter la reconnaissance d’un « moi », il s’agit de solliciter un monde de sens commun qui joue le rôle de soutien affectif, dans la mesure où dès l’enfance, nos parents et tout notre environnement nous ont enjoint-e-s à les y retrouver. Nous identifions pour justifier notre participation à un système de répartition des espaces de pouvoir au sein duquel nous aspirons à trouver notre place et à conserver notre habilité à produire du discours, de façon à être accueilli-e-s et écouté-e-s. A partir de là, puisque identifier nous rattache à un lieu de pouvoir (au sens même littéral de « pouvoir faire »), nous identifier nous-même peut aussi équivaloir à revendiquer un lieu alternatif du pouvoir-faire et à questionner la validité relative du modèle assigné d’office. Ces lieux alternatifs, dans la mesure où ils assurent la mutualité du droit à l’auto-détermination, sont autant de lieux de résilience et de résistance.

Éléments de base de l’identité

De façon plus élémentaire, l’identité suppose, par définition, une comparaison entre plusieurs éléments. Le but est de déduire une ou plusieurs constantes à partir de cette comparaison. C’est à partir de la récurrence et de la permanence d’un objet dans le temps qu’on l’établit comme constante. Et c’est ensuite à partir de cette constante supposée qu’on évalue la persistance du système de comparaison que celle-ci permet de soutenir. Qui dit constante dit évidemment point d’amarre, d’accroche, d’équilibre et de référence, une situation.

Les constantes peuvent être, en sorte, les éléments fixes permettant une identification. Nous nous assurons de ce que nous voyons. Par exemple, un escargot est reconnaissable par sa coquille, sa forme et sa viscosité, ses antennes, etc., dont nous établissons schématiquement une réduction, laquelle forme une unité synthétique formée d’indices visibles. Le problème c’est : qu’est-ce qu’on identifie lorsqu’on identifie ? On l’a vu avec Jacques Lacan (il s’agit tout de même ici aussi de cerner en quoi certains aspects du modèle lacanien peuvent être dépassés), identifier nous expose à l’autre. En prenant l’autre pour autre chose, nous nous exposons à une dette, de devoir répondre de notre présomption à nous saisir d’une telle opportunité. Nous demandons à l’autre de prendre part à notre propre reconnaissance en tant que sujet, et c’est à propos de cela que jaillit une angoisse quant à notre validité, comme vu précédemment. Ce processus suppose la position de sujet comme structure relationnelle, à partir de laquelle sont ordonnés les éléments permettant l’identification de l’objet en question, c’est-à-dire dans une relation de co-dépendance avec cette structure du sujet, puisque l’objet est identifié à partir de la position de celui ou celle qui identifie – sans même présupposer, encore une fois, que l’objet en question puisse être par lui-même un sujet à part entière, d’où l’incongruité du désir de l’autre (au sens de ce qui ne peut s’assimiler complètement à ma propre identité, me laissant en reste de ce désir de l’autre et d’une certaine image et représentation de ce que je suis pour elle, lui ou iel, d’où la nécessité d’un tiers espace de mise en commun).

Si tel était le cas, on pourrait s’attendre à rencontrer un refus, un rejet de l’identification qu’on suppose à l’objet de notre discours et à la validité de notre position par rapport à lui. Surtout, on l’a vu, cette position de sujet embarque avec elle une position de pouvoir. Il est dans la définition même du sujet de s’attacher à une action, d’où l’aspect performatif du verbe, notamment dans les traditions religieuses mais aussi esthétiques. Le pouvoir de nommer, c’est le pouvoir de créer des objets symboliques, sous forme de représentations, mais c’est aussi vouloir les maintenir pour maintenir soi-même sa propre position et capacité à faire. L’art comme la religion nous maintiennent en état d’ouverture sur un monde de possibles qui ne soit pas susceptible de se refermer sur nous. Il s’agit donc de pouvoir se servir de ces dénominations pour élaborer un discours sur sa propre action dans le champ social, moral, politique ou esthétique.

Mais on pourrait répondre au sujet qui énonce : « Non, ce n’est pas forcément un escargot. Car si j’enlève la coquille, j’ai une limace », quelque soit la possibilité de vérifier cette assertion, puisque nous jouons ici avec des signifiants. On pourrait tout aussi bien questionner l’habilité du sujet à émettre des suppositions sur la réalité qu’iel partage avec les autres. Comme le dit Darian Leader, « Nous avons tendance à penser que les enfants peuvent parler quand ils enregistrent la primauté du signifiant – et que, à partir de là, le chat peut faire « Ouaf ! » et le chien « Miaou ! » – mais l’enfant peut se sentir très perturbé par les décalages référence et, en effet, les refuser. »28 Si nous posons un lien irréfutable entre appareil génital et genre, de même, l’affirmation d’une transidentité surgit spontanément comme une contradiction dans les termes – sauf que le genre, contrairement aux vocalisations de deux espèces animales différentes, élabore sa réalité précisément sur la question du sens et de sa médiation. Pour le dire autrement, changer la perception du genre ne change pas l’espèce, mais seulement les modalités par lesquelles nous conduisons nos expériences. Le genre oriente et colore nos modalités d’expérience au monde qui nous entoure, dans la mesure où nous l’associons à des indices lisibles de notre existence les plus en adéquation possible avec notre expérience sensible, émotionnelle, invisible et non-communicable par le langage. Dans tout l’apprentissage social du langage et du discours, nous l’avons vu, c’est autant la capacité à identifier qui est en jeu que la position même de sujet capable de se poser comme référent dans le processus d’identification des choses et des êtres, laquelle peut être mise à mal. Une transgression telle qu’une transidentité pose un danger pour sa propre détermination face aux autres, puisqu’elle nous expose à une sanction et à la négation de notre légitimité à agir sur un monde commun – une excommunication. Dans le refus d’aboutir l’enchaînement logique qui consiste à identifier un chien (même sans avoir à le nommer) et à s’attendre à ce qu’il fasse « Ouaf ! », du fait de la mémoire d’une récurrence, il y a le refus d’aboutir le geste qui consiste à identifier, c’est-à-dire à anticiper le déroulement des choses. Identifier s’insère donc dans un monde de sens, de modalités de lecture et d’anticipation où l’action locale prend sa mesure en fonction d’un système de reconnaissance de formes plus vastes, comme un vers ou une métaphore dans un poème.29 Une transgression entame les limites définies de ce monde et ses marges. Elle incarne l’incapacité à penser ces limites en tant qu’identité qui se formule à elle-même dans le but de se contenir face à une menace d’éclatement.30 C’est placer les limites en-deçà de ce qu’elles sont vraiment.

La personne concernée pourrait être fragilisée dans sa capacité à attester correctement de la réalité qui l’entoure – mais c’est un rejet du champ de l’action et de la capacité d’agir de façon plus globale : un rejet de l’imaginaire, c’est-à-dire de la capacité à épouser une absence de limites fondées sur une instance sociale et morale. Lorsque le psychanalyste anglais Donald W. Winnicott évoque l’effort de compensation de l’enfant face à une mère ou substitut psychiquement absente comme un point de départ possible des psychoses infantiles31, il s’agit bien d’une demande de l’enfant d’identifier la valeur de sa propre action dans les réactions de son ou sa tuteur-rice qui est refusée. L’imaginaire lui-même est mis en attente, dépendant du souhait de l’autre d’être présent ou non. L’enfant ou la personne pourrait se sentir assez en confiance pour faire un nouvel essai avec les éléments dont iel dispose, ou alors tenter de se rassurer de façon plus immédiate en renforçant d’abord et de façon compulsive sa position de sujet capable de présupposer de la nature des choses en tant qu’objets d’identification qu’iel est supposé-e pouvoir identifier. Néanmoins, l’absence de certification de la part de l’adulte dont iel dépend (qui est une forme de violence) place l’enfant dans un désarroi qui opère une rupture des modalités d’interaction sociale et émotionnelle qui sont le premier relais de la sensorimotricité, laquelle est vitale pour notre expérience de corps, à l’entrée dans le monde humain. C’est la distinction qu’établit Darian Leader entre « être fou » et « devenir fou », dans le sens où bon nombre de personnes dites psychotiques arrivent tant bien que mal à composer avec la réalité qui les entoure sans pour autant opérer obligatoirement un « passage à l’acte » (ce qu’on appelle couramment les « psychoses blanches »), comme le suggèrent au contraire les représentations traditionnelles et l’imaginaire populaire et spectaculaire.32 Cette injonction de la chose ou de l’être à être un objet que j’identifie selon mes capacités et mon point de vue situé nie par nécessité la possibilité que cet objet soit un sujet par lui-même, lequel aurait quelque chose à dire sur la validité de l’identification qui lui est faite – ce dont le sujet qui identifie a la plupart du temps conscience lorsqu’iel transgresse la limite du consentement de l’autre, ce qui n’exclut donc pas son propre état de tension et la violence morale qui peut l’habiter. Si la qualité de sujet est délivrée justement par l’apprentissage de notre capacité à répondre d’une demande d’identification de ce qui nous entoure, la marque affective de cet apprentissage peut donc avoir un impact durable sur notre difficulté à ne pas le faire, d’où son caractère souvent compulsif. L’insécurité quant à la capacité et la possibilité de ne pas répondre à cette demande immédiate plongera le sujet dans un cycle de réassurance à court-terme, lequel ne peut qu’être accentué par la brutalité des espaces sociaux qui l’entourent. (La doctrine capitaliste néo-libérale, fondée sur l’instrumentalisation des crises33, participe aujourd’hui fortement de cet effondrement des espaces d’élaboration intermédiaires, l’isolement et la rupture de liens.)

Or, l’identité et le processus d’identification dont elle découle sont nécessairement approximatifs, évolutifs, foncièrement arbitraires et dépendants des situations d’intersubjectivité et de convention où ils prennent place. Le corps de l’autre et son propre corps en tant que soumis à l’interprétation des autres, sont ainsi constamment soumis à ce type de renforcements de leur propre position, à moins de déconstruire les schémas et topologies intersubjectives qui les ont vu naître. Les transgressions des normes de genre, de race, de classe ou de validité (qui comprend la conformité aux normes corporelles dont découlent la grossophobie et l’âgisme, entre autre) ne font que répondre aux injonctions abusives à la conformité qui nient l’existence des sujets en tant que tel-le-s et le fait que celleux-ci sont les premiers témoins de leur propre expérience.

Pour conclure

Ces propos peuvent paraître arides, pourtant ils disent beaucoup de choses sur l’assomption que nous avons à identifier les personnes, les êtres et les choses qui nous entourent selon des habitudes d’identification souvent criticables. Celles-ci se basent à la fois sur des indices extérieurs (corporels, vestimentaires, comportementaux, …) et sur des pratiques d’apprentissage ne remettant pas en cause le caractère arbitraire et approximatif des moyens de cette identification. En outre, l’observation de récurrences ne dit absolument rien sur leur genèse, à moins de la figer dans un système de prescription à valeur rétroactive – ce qui revient à ajuster l’observation à nos moyens et biais d’interprétation, tout en niant d’autres mondes possibles d’expérience. Il y a une médiation, par exemple, entre identifier un « pénis » et l’associer à des valeurs d’apprentissage social. À quoi est-ce que je me réfère lorsque j’affirme qu’une personne qui porte un pénis est un « homme » et qu’est-ce que je sous-entends par cette catégorie ? Celle-ci n’offre pas une portée critique sur le contexte affectif dans lequel l’apprentissage que j’en ai fait a eu lieu et les rapports de pouvoir qu’elle implique en amont et auxquels je me confronte. C’est parce que je rencontre des lieux de pouvoir qui tendent à m’exclure que j’élabore des stratégies pour m’en rapprocher ou m’en défaire. Or, être un corps ne nous dit pas comment nous comporter avec et n’équivaut pas à embrasser une catégorie destinée à nous y conformer. Il y a deux choses distinctes : l’expérience et le discours. L’une est irréfutable. L’autre est toujours discutable, toujours approximative et à élaborer collectivement. C’est justement la participation collective à la manière dont on interprète et accueille ou non une pluralité d’expériences possibles qui est confisquée et génère alors une contrainte morale qui à elle seule définit la portée d’une violence contre laquelle nous nous débattons parfois férocement.34 Pour citer la psychanalyste suisse d’origine polonaise Alice Miller : « La morale peut certes nous prescrire ce que nous devrions faire et ce qui est interdit, mais non ce que nous devrions ressentir. »35

Lorsque ce professeur d’histoire du droit de la Sorbonne compare le Mariage pour tous et l’homosexualité à la zoophilie, ou relègue les transidentités au rang de « folie »36, celui-ci ne questionne pas la position de pouvoir qui lui permet de le faire ou dont il veut supposer qu’elle lui sera suffisante pour renforcer, ne serait-ce que momentanément, son désir de répondre à une soi-disante urgence, c’est-à-dire celle d’identifier quelque chose qui s’offre à soi d’une façon qui l’arrange. Ce professeur donne son « avis » et ce discours s’annonce comme une réponse qui se présente comme valide à l’encontre d’une réalité dont il suppose que c’est à lui d’en établir l’identité réelle – exactement comme on suppose enfant qu’on doit répondre encore à la demande qui nous est faite de mettre les carrés dans les carrés et les ronds dans les ronds pour être valide face à cette demande. C’est une valeur qu’on s’attribue à soi-même, dans une prise de posture, laquelle reproduit une scène de gratification et « d’héroïsme » – de la même manière que les député-e-s qui ont quitté l’Assemblée Nationale en récusant la présence de Maryam Pougetoux, syndicaliste étudiante de l’UNEF et voilée, se posant en défenseurs de la laïcité. Sauf que souvent, on ne sait plus d’où vient cette demande, tant elle a été sédimentée dans la dimension symbolique du discours de soi – qui n’est pas un discours sur soi établi avec une certaine distance mais l’illusion de se réaliser dans le discours face au regard des autres. Le discours de soi est un appel à la légitimité qui ne dit rien sur les formes qu’il emprunte sinon sur la demande intime d’être soutenu-e par un monde de sens jouissant d’une stabilité relative.

Identifier un objet est toujours corrélé à la possibilité, voire à l’autorisation de s’en saisir, et il y a deux façons de se sentir légitime à se saisir d’un objet que l’on identifie : cette légitimité peut venir de notre environnement d’apprentissage et/ou de « l’objet » lui-même. Notre environnement d’apprentissage, notamment social, peut nous encourager à identifier un objet d’une certaine manière, prétextant que c’est dans la nature de l’objet de s’offrir à la saisie, et à nous en saisir sans pour autant que le supposé « objet » y consente. Les interactions que cette identification supposerait autoriser peuvent très bien aller à l’encontre du sentiment de cet « objet », dans le cas où il s’agirait en fait d’un être sensible et d’un autre sujet possible. Identifier pose la question de ce qu’on identifie à soi-même, et dans quelle mesure l’altérité forme des objets d’opposition et non des sujets de dialogue. Il n’y a, en quelque sorte, que des objets d’interaction pour des êtres sensibles, mais la reconnaissance de l’autre comme sujet à part entière nécessite un espace ouvert entre soi et l’autre qui autorise cette coexistence de deux sujets ou plus qui ne prennent pas l’autre pour objet tout en élaborant leurs propres conditions d’échange, de dialogue et de mise en commun. C’est l’idée des espaces intermédiaires, laquelle assume le caractère approximatif des moyens d’identification et admet leurs fluctuations, n’étant précisément qu’un espace ouvert à la rencontre, laissant volontairement une part d’indéterminé. L’espace entre deux se désigne lui-même comme l’objet même du dialogue et ses conditions, mettant en miroir l’aspect aliénant du langage et de la parole : lorsque je parle, j’engage l’autre – comment donc faire pour être sûr-e qu’iel y consente ? Les modalités d’identification des termes du dialogue impliquent toujours les modalités d’interaction supposées et les dynamiques de régulation sociale qu’elles entraînent, notamment lorsque les espaces de médiation font défaut.

Cet article est en partie venu en réaction aux divers rassemblements en France devant les bâtiments du Crous – qui est l’organisme public dédié à la vie étudiante sur le territoire – suite au suicide de Doona ce 23 septembre 2020, et souhaite lui rendre femmage. Doona était une jeune femme trans de 19 ans qui a subi les maltraitances transphobes, psychophobes et institutionnelles de la part du Crous et des services hospitaliers de Montpellier. Quels moyens, quels biais d’identification ont permis à ces personnes de juger Doona – comme Mathilde, Laura et d’autres avant elle – indigne de l’écoute et de l’accompagnement qu’elle était censée recevoir ? Et quels mécanismes de pression sociale, mais aussi économique et politique, permettent le renforcement de telles conditions d’identification et d’interprétation de l’autre, non en tant que sujet qui a à voir avec sa propre détermination, mais en tant qu’objet dont on peut disposer à sa guise et dont la parole ne compterait que peu ? Un autre cas récent, ici concernant le racisme, est celui de Joyce Echaquan, une jeune femme de 37 ans de la communauté indigène Atikamekw de Manawan, au Québec, morte ce 30 septembre 2020 suite au refus des infirmières de la soigner. Celles-ci lui ont injecté une haute dose de morphine alors qu’elle y était allergique, tout en lui assénant des injures racistes et grossophobes tandis qu’elle agonisait.

Il ne faut pas oublier qu’il y a une pratique de la norme, laquelle participe du maintien de certaines garanties de protection pour celles et ceux qui sont prêt-e-s à se soumettre à un régime de domination et s’y sentent porté-e-s par leurs environnements sociaux. Il existe donc des conditions de l’identification des autres. Il existe un sujet qui émet des identifications et c’est ce type de sujet-là qui est valorisé, mais quelles en sont les conditions ? Identifier les autres, c’est aussi prendre l’autre à l’endroit où l’on n’est pas soi-même. Soyons vigilant-e-s à ne pas chercher à tromper une forme d’oppression qui pèse sur nous en déplaçant la cible sur d’autres que nous, parce qu’il serait plus facile de nous dégager des espaces dans lesquels iels vivent. Tout dépend en fin de compte de là où l’on porte le regard, lequel peut fuir le danger ou malgré toutes les offenses, faire exister les lieux de paix.

1Dans l’ouvrage de référence, F. Varela, E. Thompson & E. Rosch, L’inscription corporelle de l’esprit, 1991.

2https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/051020/avec-fatima-daas-naissance-d-une-subjectivite-politique-entre-desir-et-rebellion?onglet=full

3 In Sam Bourcier, Homo Inc.orporated : Le triangle et la licorne qui pète, ed. Cambourakis, 2017.

4Voir sur les réseaux sociaux, @autistequeer_le_docu, « Le validisme, question politique en pleine épidémie de Covid et effondrement du système de santé publique », 05/10/2020.

5Écouter aussi, sur les questions raciales, le passionnant podcast Kiffe ta race, par Rokhaya Diallo et Grace Ly.

6Lire par exemple https://www.revue-ballast.fr/silvia-federici-le-feminisme-detat-est-au-service-du-developpement-capitaliste/

7In Darian Leader, La jouissance, vraiment ?, ed. Stylus, Paris, 2020.

8http://staferla.free.fr/S9/S9%20L’IDENTIFICATION.pdf , p. 22.

9Voire Three paradoxes and concentric circles, 2019.

10In Jacques Lacan, op. cit., p. 16.

11Sam Bourcier – Entretien – La Théorie Queer dans « Les Chemins de la philosophie » avec Adèle Van Reeth (2014).

12In Michel Foucault, La Sexualité suivi de Le discours de la sexualité, « L’utopie sexuelle », ed. EHESS/Gallimard/Seuil, 2018 (1964-1969), p. 196.

13Bien qu’une certaine intelligentsia française, homosexuelle ou non, ait pu avoir la latitude, en profitant de la culture du viol, d’ériger la pédophilie en doctrine, notamment dans les années 60-70 et jusqu’à nos jours (de René Schérer à Gabriel Matzneff, en passant par des Frédéric Mittérand ou des David Cohn Bendit). Mais là encore, des dynamiques de classes sociales interviennent en plus des questions sexuelles à proprement parler, puisqu’il s’agit d’abus de pouvoir.

14LireToni Morrison, L’origine des autres, ed. Christian Bourgois, 2017.

15In Fabrice Bourlez, Queer psychanalyse : Clinique mineure et déconstructions du genre, ed. Hermann, 2018, pp. 52-53.

16Ibid., p. 79.

17Ibid., p. 93.

18https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/08/la-catho-se-separe-de-la-militante-feministe-alice-coffin_6055249_3224.html

19Lire Julia Serano, Manifeste d’une femme trans, ed. Cambourakis, 2020.

20Ibid., p. 117.

21Ce qui lui permet d’élaborer dans ce sens : « L’angoisse de castration donc, vous allez voir ici qu’elle a deux sens et deux niveaux. Car si le phallus est cet élément de médiation qui donne au désir son support, eh bien, la femme n’est pas la plus mal partagée dans cette affaire, parce qu’après tout, pour elle c’est tout simple : puisqu’elle ne l’a pas, elle n’a qu’à le désirer, et ma foi dans les cas les plus heureux, c’est en effet une situation dont elle s’accommode fort bien. Toute la dialectique du complexe de castration, en tant que pour elle, elle introduit l’Œdipe, nous dit FREUD, cela ne veut pas dire autre chose. Grâce à la structure même du désir humain, la voie pour elle nécessite moins de détours – la voie normale – que pour l’homme. Car pour l’homme, pour que son phallus puisse servir à ce fondement du champ du désir, va-t-il falloir qu’il le demande pour l’avoir ? C’est bien quelque chose comme ça dont il s’agit au niveau du complexe de castration. » Ibid., p. 118. Merci bien.

22In Sigmund Freud, Au-delà du principe de plaisir, PUF, 1920.

23« Se nommer et nommer les autres : analyse des étiquettes Partie 1 », https://www.instagram.com/p/CFTPWdSAsZ3/

24In Gail Pheterson, Le prisme de la prostitution, ed. L’Harmattan, 2001.

25Lire Donald W. Winnicott, Jeu et réalité : L’espace potentiel, ed. Gallimard, 1975.

26Lire René A. Spitz, De la naissance à la parole : La première année de la vie, PUF, 2002 (1968).

27Lire, par exemple, Ellen Dissanayake, « The Artification Hypothesis and Its Relevance to Cognitive Science, Evolutionary Aesthetics, and Neuroaesthetics », Cognitive Semiotics, Issue 5 (Fall 2009), pp. 148-173.

28Op. cit., p. 123.

29Lire Paul Ricœur, Temps et Récit I, ed. Seuil, 1983.

30Lire Denis Vasse, L’ombilic et la voix : Deux enfants en analyse, ed. Seuil, 1974, sur les psychoses infantiles.

31Lire Donald W. Winnicott, La capacité d’être seul, 1958.

32Lire Darian Leader, Qu’est-ce que la folie ?, ed. Stilus, 2017.

33Lire Naomi Klein, La stratégie du choc, ed. Actes Sud, 2008.

34Rappelons que selon Paul Ricœur (Ecrits et conférences 2 : L’herméneutique, ed. Seuil, 2010), « parce qu’il y a la violence, il y a la morale », dont nous avons retourné le corollaire : « parce qu’il y a la contrainte de la morale, notamment dans un exercice inégalitaire du droit, il y a la violence ».

35In Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, ed. Flammarion, 2013, p.31.

36Lire « La Sorbonne condamne les propos d’un professeur associant Mariage pour Tous et zoophilie », Huffington Post, 30 septembre 2020

Crédit photo : « Papillon », La Fille Renne ❤